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AZF : ceux qui restent

Dernière mise à jour : 5 févr.

Alors que se conclut le 3e procès AZF, le souvenir de l’explosion continue d’imprimer sa marque sur le paysage urbain. À proximité immédiate de l’usine, de Langlade à La Pointe, des terrains vagues et des commerces murés témoignent de la difficile renaissance des lieux. Boudu est allé chercher derrière les murs et les clôtures l’histoire de ces sites désertés.

C’est un symbole. L’ancien Bikini, lacéré par l’explosion d’AZF, abandonné puis mis en vente sur Le Bon coin à l’automne dernier. Le signe que, 16 ans plus tard, les traces de la catastrophe sont encore visibles au sud de Toulouse.

Il suffit pour s’en convaincre de se promener dans les anciens quartiers ouvriers constitués notamment de maisons construites par les salariés de l’ONIA (ex-AZF). Ici, entre la route d’Espagne et la route de Seysses, de part et d’autre du périphérique, les vitres ont éclaté, les toits sont tombés, les écoles ont été ravagées et les usines ont plié bagages. Depuis le 21 septembre 2001 à 10h17, nombre de commerces du quartier n’ont jamais rouvert leur porte. Les maisons, pour la plupart, ont été joliment rénovées, mais certaines n’ont pas bougé depuis 16 ans. Seules les fenêtres ont été murées. Dans la coquette rue d’Orbesson, une impressionnante bâtisse affiche de pareils attributs : boîtes aux lettres abandonnées, parpaings aux fenêtres, jardin en friche et toit crevassé. « Les propriétaires n’ont pas réussi à se mettre d’accord, c’est laissé comme ça. On ne peut rien faire, ça relève du droit privé… », explique un voisin. Parmi les 18 000 logements considérés comme inhabitables, beaucoup sont situés dans ce secteur. Au total, 80 000 dossiers d’indemnisation.

Depuis AZF, de nombreux commerces n’ont pas rouvert dans le quartier.

Après la catastrophe, les sinistrés se réunissent en association, comme celle de la Rue d’Orbesson. Puis, vient la reconstruction. Le quartier commence à changer de visage. « Grâce à l’argent de l’indemnisation, certains propriétaires ont amélioré leurs biens et en ont profité pour augmenter les loyers. Des locataires ont dû quitter le quartier », précise Gilles Couralet, habitant du quartier et sinistré. Dans le parc social surtout, c’est l’hécatombe. De l’autre côté de la route de Seysses, 500 habitants de la cité du Parc n’ont jamais pu revenir dans leur appartement.

Rond-point de Langlade, sur la route d’Espagne. Face aux immeubles de bureaux, on aperçoit des tentes dans un grand terrain vague, des gravats, des arbustes, des broussailles, et les marques d’un ancien parking, seules traces de l’ancien magasin Darty, soufflé par l’explosion. Ce no man’s land est l’une des dernières empreintes de la catastrophe. Car quelques semaines à peine après l’explosion, les autorités ont tout fait pour effacer au plus vite ces cicatrices de l’espace urbain. Sans véritable plan coordonné. Ainsi, en juin 2002, les propriétaires de bâtiments gravement sinistrés reçoivent un courrier de la municipalité les encourageant à « démolir ce qui n’est plus réparable ».

Zone franche, marché de dupes

À quelques centaines de mètres de la friche, un bâtiment à l’abandon. À l’intérieur, un réfectoire giflé par le vent. L’ancienne cantine des salariés d’EDF a été délaissée après le drame, et sera bientôt démolie.

Du bâtiment abritant les agents EDF tout proche, il ne reste qu’une plaque commémorative. Ici, plus aucune trace non plus du centre de formation, l’AFPA, ou des magasins Speedy et Brossette. Des bâtiments rasés après AZF pour laisser la place à 300 000 m2 d’immeubles de bureaux dont tous ne semblent pas avoir trouvé preneur. « En 2004, une zone franche urbaine a été dessinée au sud de Toulouse pour relancer l’activité économique, raconte Michel Lasserre, gérant de l’imprimerie Didot, route de Seysses. Nous avons obtenu qu’elle soit étendue jusqu’à La Pointe, car nous espérions qu’elle dynamise le quartier. » En échange d’économies d’impôts, les entreprises qui s’installent sur la ZFU ont pour obligation d’employer des habitants du territoire. « Il y a eu beaucoup d’opérations immobilières, mais c’est un échec ! Sur 300 000 m2 de bureaux, 100 000 seulement sont occupés », lance Michel Massou, du comité de quartier Croix-de-Pierre. Plus loin, dans les rues résidentielles, on remarque une proportion étonnante de plaques d’assureurs, de podologues et d’avocats. « Ils sont nombreux à avoir pris une adresse ici pour profiter de la ZFU, poursuit-il. Mais ils n’ont pas joué le jeu, ils n’habitent pas, ne consomment pas ici. Bref, ils ne font pas vivre le quartier. »

Route de Seysses, l’enseigne de la boucherie n’a pas bougé depuis le drame. Ses couleurs se sont simplement affadies. Les bouchers ont plié bagage. Vitres et vitrines murées. Dans le jardin, un homme a élu domicile avec ses deux chiens. « Moi, je vis sous la tente, je ne veux pas rentrer là-dedans, c’est trop dangereux », lance t-il. Malgré les jolies maisons retapées avec soin, de ce côté-ci de la Garonne, la vie n’est plus la même depuis le 21 septembre 2001. « Avant, il y avait de nombreux petits commerces, la boucherie, des boulangeries, un primeur, un mercier, des mécanos… Une vraie vie de quartier ! », se souvient Francis Pornon, écrivain et riverain.

Ils sont nombreux à avoir pris une adresse ici pour profiter de la ZFU, mais ils n’ont pas joué le jeu.

Ni la ZFU, ni les indemnisations des assureurs n’ont suffi à donner un nouveau souffle : « Les commerces qui vivotaient en ont profité pour partir, explique Michel Lasserre. Quand un commerce était entièrement détruit, les assureurs encourageaient le déménagement, c’était moins cher que la reconstruction et la perte d’exploitation ». À l’époque, pour dynamiser le quartier, Michel Lasserre monte une association de commerçants, ACE21. Pour lui, l’après AZF prend des airs de parcours du combattant. Dévastée, son imprimerie va enregistrer quatre années de perte d’exploitation. Comme d’autres, son commerce a dû réapprendre à vivre, une part de la clientèle en moins : « Nous travaillions pour le SAV de Darty, pour le lycée Galliéni et le lycée Françoise, qui a été reconstruit à Tournefeuille… Beaucoup de nos clients sont partis, d’autres ont mis des années avant de rouvrir ».

À côté du rond-point du 21 septembre, rue de l’Oasis, une friche accueille des camionnettes vieillissantes. Des ronces dépassent des clôtures. Sur le portail, le panneau Linde est le seul indice du passé du site. Linde Gaz était un atelier de remplissage de bouteilles d’oxygène. Pour Michel Massou, « il ne s’est pas remis d’AZF et a déménagé quelques années plus tard. Les gens ne voulaient plus des usines ici ». Aujourd’hui, le terrain a été racheté par des promoteurs. En attendant qu’un projet immobilier soit validé, il illustre parfaitement un changement profond : après AZF, la coexistence des habitations et des usines, autrefois considérée comme positive, devient problématique. Montrées du doigt, la plupart des entreprises du pôle chimique ont dû plier bagage. Emportant avec elles 2 500 emplois. Et changeant pour de bon l’image de l’ancien quartier ouvrier.


azf langlade la pointe toulouse
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