top of page
  • BOUDU

Audrey Dussutour : blob buster


C’est dans son laboratoire du CNRS, à l’université Paul-Sabatier, qu’Audrey Dussutour, chercheuse spécialisée dans le comportement des fourmis et des organismes unicellulaires, nous a donné rendez-vous. Non sans fierté, elle nous présente ses trois sujets d’études : l’Américain, l’Australien et le Japonais. Avec une certaine affection, elle commente l’état de santé de l’Américain : « Il est vieux, ça fait quatre mois qu’on s’en sert pour les manip’. Il fatigue, il n’a même pas fini ses flocons d’avoine ce matin ! » Et sans pudeur, elle marque sa préférence pour l’Australien : « Il a une belle couleur jaune, presque fluo. On voit qu’il est en forme. Et c’est un Bisounours ! L’Américain, lui, fait n’importe quoi dans les manip’. Quand au Japonais, il est plus sensible aux infections… » Sans bouche, ni oreille, ni nez, il se guide grâce aux molécules qui se déplacent dans l’eau.

Les trois piles de boîtes de Petri qui s’entassent sur la table n’ont pourtant rien de ragoutant. Une substance jaune et grumeleuse tente même de s’en échapper par endroit. Mais la chercheuse poursuit ses explications et peu à peu, l’enthousiasme nous gagne. Physarum polycephalum est un être inclassable : il présente la pigmentation des fleurs, se reproduit par spores comme les champignons et se déplace comme les limaces. Un être unicellulaire et polynucléaire géant, pourtant ni plante, ni champignon, ni animal, qui mange et grandit jusqu’à atteindre dix mètres carrés. Un myxomycète, diront certains. Audrey Dussutour, elle, préfère l’appeler « le blob », en référence à la créature monstrueuse du film du même nom, venue d’une autre planète et qui dévore tout sur son passage. Son blob à elle est bien plus pacifique : « C’est un prédateur… de bactéries. Dans la nature il mange des champignons, mais au laboratoire, il raffole des flocons d’avoine. » Depuis huit ans, la chercheuse teste les capacités de ce drôle d’organisme, qui offre pas moins de 720 sexes différents et semble quasiment immortel. En découpant inlassablement ses trois souches (le blob peut être cloné à l’infini, puisque ses membranes cicatrisent en quelques minutes), elle a ainsi montré qu’il est capable de choisir la nourriture adaptée à ses besoins nutritionnels, qu’il ne passe jamais deux fois au même endroit ou que l’Australien est plus sociable que l’Américain, qui montre des penchants cannibales.

Lichen, orties et préservatifs Les spécimens d’Audrey Dussutour viennent des quatre coins de la planète. Mais le blob aime par-dessus tout les forêts de feuillus humides et les climats tempérés. Vous pourriez donc bien trouver des blobs dans un coin de votre jardin. Pour s’en convaincre, il suffit de suivre Audrey Dussutour dans le petit bois qui s’étend sous les fenêtres de son laboratoire, un carré de 100 mètres sur 100, qu’on dit peu fréquentable. Munie d’une boîte de Petri contenant un blob Australien, la chercheuse nous entraîne dans une chasse aussi improbable qu’incertaine. « Le sol est bien trop sec, il n’a pas plu récemment. Or le blob évolue dans un environnement humide, sinon il s’enkyste. » Autrement dit, il sèche, jusqu’à ne devenir qu’une trace de lui-même, où l’on devine le réseau de veines qui structure la cellule. Mais le blob ne meurt pas pour autant, et peut même rester ainsi des mois, en attendant l’hydratation qui le ramènera à l’état de plasmode (cellule visqueuse). L’eau est d’autant plus essentielle au blob qu’elle lui permet de trouver sa nourriture : sans bouche, ni oreille, ni nez, il se guide grâce aux molécules qui se déplacent dans l’eau.


Nous voilà donc embarqués au milieu des ronces et des orties, à scruter les troncs d’arbre et les souches mortes. « Il pourrait aussi se cacher dans les amas de feuilles mortes, où il trouve facilement à manger. Si vous prenez de la terre en forêt et que vous la placez dans une étuve, il en sortira probablement un blob ! Dans un gramme de sol, il peut y avoir 50 myxomycètes différents. » Mais dans la poussière de la terre sèche, difficile de distinguer quoi que ce soit. Avec un sourire, la chercheuse explique qu’elle reçoit souvent des photos de lichen, envoyées par des amateurs persuadés d’avoir trouvé un blob. « Il y une dame qui en a repéré un dans la forêt de Fontainebleau. Elle y retourne régulièrement et elle me tient au courant : des fois il est là, et puis il disparaît… » En revanche, aucun blob signalé à Toulouse et dans ses environs. Alors qu’on s’apprête à rebrousser chemin et à installer l’Australien sur une vieille souche « pour la photo », le regard d’Audrey Dussutour est attiré par une protubérance orangeâtre émergeant d’un arbre déraciné, entre deux vestiges de préservatifs. De la pointe d’un outil à dissection, elle la titille, prélève un morceau. « C’est bien un blob ! Un fuligo septica, une espèce que les Américains surnomment “dog vomit” et les Mexicains “caca de luna“. Les Français, plus poètes, l’appellent “fleur de tan”. » La chercheuse jubile : « C’est ma première chasse au blob, on a vraiment du bol d’en avoir trouvé un ! ».

bottom of page