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  • BOUDU

La bite et le couteau

Samedi matin. Le soleil arrose le versant sud de la Montagne Noire. Des routes sinueuses et désertes strient le paysage. À 5 kilomètres de Rieussec, village héraultais de 400 âmes, une troupe s’affaire devant des coffres de voiture ouverts. Chaussures de marche, sacs de randonnée et lunettes de soleil, les sept participants au stage de survie sont prêts. « Videz vos sacs à dos et remettez-les dans le coffre. Ne gardez que ce qui vous paraît indispensable », lance Alexandre, 35 ans, étui à couteau à la ceinture, cheveux noirs pommadés et t-shirt Quechua gris. Un Rambo made in France, les biceps et les abdos en moins.

L’instructeur de survie est satisfait de l’effet de sa formule. Les participants, eux, font mine de ne pas avoir compris… avant de se résigner. Olivier, sexagénaire dégarni coiffé d’un chapeau d’Indiana Jones, éprouve des difficultés à s’alléger de quelques objets. « J’ai une couverture de survie dans la voiture. Ça intéresse quelqu’un ? »

Le groupe s’enfonce dans la forêt. Après dix minutes de marche, il découvre son cadre de vie du week-end. Un site coupé de tout en apparence, et plongé dans un silence relatif troublé par les vrombissements de voitures lointaines. Le reste d’un feu de camp montre qu’ils ne seront pas les premiers à survivre ici. Le mobilier est sans fioritures. Les troncs d’arbre disséminés au sol font office de canapé d’angle, et le cours d’eau qui traverse le site se substitue à la douche à l’italienne.

Chacun part de son côté à la recherche de bois. Tiffany, 31 ans, cheveux roux un peu passé, des yeux clairs cachés par des lunettes de vue, prend les choses en main et se charge du feu. L’ancienne créatrice de bijoux assiste Alexandre, accessoirement son compagnon, pour ce week-end. « Quand je l’ai connu, je ne savais pas que ce type de stage existait. Comme il en parlait toujours à la maison, un jour j’ai décidé de l’accompagner. » Bien lui en a pris. C’est la révélation. Elle suit depuis quelques temps une formation pour devenir monitrice.

Ça me fait chier, c’était un beau couteau suisse, un Victorinox.

Olivier, lui, est venu avec sa compagne depuis Bordeaux. Ici, ils ont retrouvé quatre amis. L’une d’elle, Cécile, 44 ans, short, t-shirt, baskets, précise : « Des potes m’ont offert ce stage pour mon anniversaire. Je me suis dit que ça serait plus sympa de le faire avec eux. Je leur ai demandé de m’accompagner. C’est moi qui les ai embarqués ici ». Et ça se sent un peu. Tout le monde ne met pas la main à la patte avec la même intensité… 

Mais pour retrouver le couteau d’Olivier, tout le groupe s’active. « Ça me fait chier, c’était un beau couteau suisse, un Victorinox », peste-t-il, la mine déconfite. Abattu, il préfère s’isoler. Les blagues de ses amis ne le font plus rire. Alexandre intervient : « La dernière fois que tu l’avais dans les mains. C’était où ? » De l’index, Olivier désigne le pied de l’arbre où les affaires sont entreposées. L’instructeur, sûr de lui, soulève le premier poncho venu. Coup de force. Le couteau suisse se trouve juste en-dessous.

Le rouge et la mauve

À midi, les estomacs gargouillent. Réuni en cercle autour du feu, le groupe prépare des chapati de farine complète et d’eau. Trois tournées de cette petite galette indienne ne rassasient pas l’appétit des plus gourmands. « C’était pas mal comme apéro, on passe au plat principal ? », s’amuse Bruno, 44 ans, casquette All Blacks sur la tête. À l’ombre d’un arbre, le dos calé sur le tronc, il est maintenant à deux doigts de s’endormir. « Je suis habitué à ce genre d’ambiance et d’exercices. Ça me rappelle les scouts. »


À peine sorti des bras de Morphée, la bande retrouve Alexandre sans entrain. Accroupi à côté du ruisseau, il se lance dans une présentation des différentes méthodes pour rendre l’eau potable. Et livre une anecdote scientifique sur l’accident nucléaire de Fukushima : « À l’époque, j’avais pas la télé. Ce jour-là, je me promenais dans les bois. J’ai vu un oiseau coincé sur sa branche qui n’arrivait pas à s’envoler. J’ai trouvé ça bizarre. En rentrant, j’ai tout de suite consulté internet. C’est là que j’ai vu le drame. Six heures après, le nuage chimique était déjà arrivé chez nous. Comme quoi, tout le monde en a bouffé ». Pas convaincus, Olivier et Bruno restent interdits.

Le matin, lors du topo de présentation, Alexandre avait prévenu tout le monde : « C’est arrivé que des stagiaires cèdent à la panique. Peu de gens ont l’habitude d’être confrontés à ce genre de situation. Si vous ne vous ne vous sentez pas bien, prévenez-moi ». Nicolas, la quarantaine, fanfaronne : « Le défi aurait été de trouver nous-mêmes la nourriture. D’essayer de choper un lapin, un sanglier ou un poisson. Mais là, sur deux jours, on n’est pas vraiment en danger ».


La prochaine activité calmera sans doute ses velléités : la cueillette. Ils empruntent à nouveau le sentier par lequel ils sont venus. Mais dans le sens inverse cette fois. « Vous pouvez prendre de la mauve, c’est très bon dans les gratins de pommes de terre », conseille l’instructeur.

Pas de gratin au dîner, pourtant, mais des chapati (pour changer), accompagnés de sauce tomate, saucisson sec, camembert fondu et soupe de plantain. « Qui veut du rouge ? J’ai aussi emmené trois cigares, s’il y a des amateurs… », propose Olivier. La nuit tombe, la fraîcheur avec. Vers 23h, la fatigue convainc les plus émoussés d’aller se coucher.

Pêche et chapati

Cécile et Anne, des copines, sont les premières à rejoindre leur abri constitué de poncho, situé à une cinquantaine de mètres du feu. Quelques minutes plus tard, Anne revient sur ses pas, emmitouflée dans sa parka. « Sans duvet, il fait trop froid pour dormir là-bas. » Pas dérangée par les petites causeries de ses camarades, elle s’endort auprès du feu. Aux abords du ruisseau, dans la nuit noire, deux ombres apparaissent. À l’aide d’une lampe de poche, Alexandre et Tiffany s’essaient à la pêche nocturne. À l’extrémité de la branche de bois, qui remplace la canne à pêche, un morceau de saucisson sec.

À 7h, les visages émergent des duvets et des capuches. Pour Olivier, la nuit a été courte. « Ça fait une heure que je suis debout. J’ai eu le temps de faire le tour du propriétaire. » Son petit-déjeuner à base de chapati et de café englouti, Bruno s’éclipse pour essayer de trouver du réseau sur son portable et « voir le résultat des courses ». À son retour, la question qui l’obsède depuis son réveil, n’est toujours pas résolue : « Bon, on leur annonce comment aux deux moniteurs qu’on se barre plus tôt ? J’ai pas l’intention de rester ici jusqu’à 16h moi ». Deux heures après tout le monde, Alexandre et Tiffany pointent le bout de leur nez, clope au bec, mine fraîche. Le matelas et les duvets qui agrémentaient leur nid douillet y sont peut-être pour quelque chose. Un temps annoncée vers 14h, l’heure de départ est finalement fixée à 11h30. « Juste avant le déjeuner. »


Avant de partir, une dernière animation, et pas la moindre les attend : apprendre à faire du feu. « C’est dommage de voir ça en dernier. Tout ce qu’on a appris depuis hier nécessite la présence d’un feu : filtrer l’eau, faire à manger, dormir… », regrette Gaëlle. Alexandre retrace les différentes techniques depuis les hommes préhistoriques jusqu’au firestyle de Décathlon. Cécile interrompt le speech, « Bruno est en train de brûler Anne là-bas ». Le cancre s’entraîne à créer une étincelle un peu trop près de sa camarade. Le cours de pyromanie terminée, Bruno, Olivier et Gaëlle plient bagage. Les autres attendront le coucher du soleil pour regagner leur véhicule et rallumer les smartphones. Question de survie.


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