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  • BOUDU

Toxalim. La vie de labo

« D’après une étude »…C’est l’expression consacrée des articles scientifiques. Derrière ces études, des heures et des heures de travail fournies par des laboratoires comme Toxalim et ses 75 spécialistes en toxicologie. Cette unité de recherche créée par l’Inra en 2011 s’est notamment penchée sur le bisphénol A, perturbateur endocrinien présent dans le plastique, le glyphosate, ou encore sur les liens entre viande rouge et cancer colorectal.

Les neuf équipes du laboratoire Toxalim étudient les contaminants alimentaires (pesticides, perturbateurs endocriniens, additifs alimentaires, nanoparticules) ou les contaminants naturels (mycotoxines) et leurs effets sur la santé. Le laboratoire s’empare ainsi de toute question de santé publique relative à ces domaines… en fonction des moyens qu’on lui attribue : « Le nerf de la guerre c’est l’argent, grince Isabelle Oswald, directrice de l’unité de recherche spécialiste mondiale des mycotoxines. Pour être financés, on doit répondre à des appels à projet qui seront évalués par des pairs avant d’être approuvés ». Interlocuteurs privilégiés : l’Agence nationale de la recherche (ANR), l’Europe, l’Agence nationale de sécurité sanitaire (ANSES), les fondations pour la recherche ou encore des entreprises privées.


Pas question pour les chercheurs de proposer eux-mêmes un projet sans montrer des résultats préliminaires prometteurs. C’est que la compétition est rude : l’ANR valide seulement un projet sur dix en moyenne. Le système s’est complexifié : il y a 30 ans, les laboratoires recevaient de l’argent pour leur fonctionnement directement de leurs tutelles. « Ce système actuel d’appel à projets est déstabilisant, estime Isabelle Oswald. La sécurité sanitaire des aliments est une problématique importante pour le consommateur donc on arrive à avoir des moyens. Mais on ne ménage pas notre peine ! » Résultat : Toxalim est aujourd’hui la plus grosse structure dédiée à la recherche sur la toxicologie alimentaire en France.

Lorsque leurs efforts ont porté leurs fruits, les scientifiques commencent le travail, sans jamais savoir vers quoi il les mènera. À chaque chercheur son ou ses sujets. Mais pour que tout le monde collabore, l’équipe se réunit une fois par semaine et discute des résultats obtenus, de l’avancée des projets et des prochaines expériences à mener. Dans le laboratoire, chacun se tutoie, l’ambiance est détendue même lorsque certains affichent leur esprit de compétition. Mais surtout, tout le monde travaille énormément. « Je pense que 90 % des chercheurs font plus que leurs 38 heures hebdomadaires », affirme Isabelle Oswald.

On les imagine penchés sur leurs paillasses, pipettes à la main. Pourtant, une grande partie de leur travail s’effectue sur l’ordinateur. Grâce aux moyens actuels, on peut analyser plus de 60 000 gènes simultanément et déchiffrer toutes les altérations biologiques induites par les contaminants alimentaires. Le chercheur obtient ainsi plus de données à traiter. Mais il a bien sûr recours aux expériences pour tester ses théories. Les chercheurs de l’équipe qui étudie la cancérogenèse par les aliments ont ainsi découvert que la viande rouge marinée limitait les risques de cancer colorectal.

Une idée de génie ? « Le stéréotype du chercheur qui se lève d’un coup avec une idée géniale, ça peut arriver parce qu’on rame et un jour l’idée naît enfin, mais c’est plutôt rare, s’amuse Vassilia Theodorou, directrice adjointe et responsable de l’équipe de neuro-gastro-entérologie. Ces expériences sont basées sur des données, des mécanismes. » Les chercheurs se sont aperçus que les effets cancérogènes de la viande passait par le stress oxydant. Pour diminuer les effets, ils ont donc utilisé des anti-oxydants comme l’huile ou le curcuma, avec succès.

Cependant, l’intuition et l’ouverture d’esprit restent indispensables pour être un bon chercheur. Tout comme la résistance à la pression. Le chercheur doit rendre à son financeur un travail intermédiaire, puis un rendu final, avec des délais précis. « C’est la justification de l’argent investi, c’est normal, mais c’est toujours compliqué de finir à temps, sourit Isabelle Oswald. On promet de faire beaucoup de choses pour remporter l’appel d’offres et aussi parce qu’on est des éternels optimistes ! » Mais pas le choix, il faut terminer le projet. « Dans ce cas de figure, toute l’équipe est sur le pied de guerre. C’est dur mais c’est aussi fédérateur », témoigne Vassilia Theodorou.

En plus des 80 titulaires de l’Inra, Toxalim intègre des agents de l’ecole d’ingenieur de Purpan, de l’ecole veterinaire et de l’université Paul Sabatier pour diversifier les formations (ingénieurs, universitaires, vétérinaires) et élargir les domaines de compétence du laboratoire. Il dispose également d’une animalerie avec des rongeurs et des porcs car il est impossible pour les chercheurs de se contenter de tissus biologiques ou de cellules. Mais chaque protocole est validé par un comité d’éthique et de bien-être animal. « Il y a la clim’ dans l’animalerie mais pas dans les bureaux, plaisante la directrice. On a le souci de leur bien-être aujourd’hui, les expérimentations ne sont plus faites à la one-again ! »

Dans le laboratoire, on parle français ou bien globish, cet anglais simplifié utile lorsque la directrice discute avec les chercheurs afghan ou chinois de son équipe. Isabelle Oswald ne « pipette » plus mais fait « de la recherche par procuration » en supervisant Toxalim. Et surtout, elle publie ses résultats pour les rendre accessibles à tous. C’est l’occasion de valoriser son travail en essayant de publier dans les meilleurs journaux de la discipline.


«  Aujourd’hui, On a le souci du bien-être des animaux. les expérimentations ne sont plus faites à la one-again !  » Isabelle Oswald, directrice de Toxalim et spécialiste mondiale des mycotoxines


Encore faut-il que le sujet soit attractif… « Parfois les résultats sont très intéressants mais pas assez médiatiques. Si on avait révélé que le bisphénol S avait le même effet que le A, pas sûr que ç’aurait été très vendeur. » Et c’est en effet parce que les résultats de leur étude sur le bisphénol S (BPS) ont suscité l’inquiétude, que Toxalim a fait parler de lui en juillet 2019. Le BPS est le remplaçant principal du bisphénol A, un composé chimique reconnu comme perturbateur endocrinien dont l’utilisation est interdite pour les contenants alimentaires depuis 2015. Après avoir démontré les risques du bisphénol A, les chercheurs de Toxalim se sont penchés sur la question du BPS. Conclusion de l’étude : une fois absorbé, le bisphénol S persiste plus longtemps dans l’organisme et à des concentrations 250 fois plus élevées que le bisphénol A…

Mais une fois que le danger potentiel d’un contaminant est révélé, le laboratoire laisse la place aux instances qui décident des réglementations. « Nous, on ne fait pas les lois. On participe à des expertises et on éclaire les législateurs, comme avec le bisphénol A », détaille Isabelle Oswald. Une manière d’apporter un éclairage scientifique sans prévaloir sur d’autres aspects comme l’économie. « Si on interdit trop vite le bisphénol S, par quoi on va le remplacer ? On mettra des « alternatives regrettables », qui n’ont pas été testées et ça va être open bar ! » Chez Toxalim, on reste pragmatique : le rôle du chercheur c’est d’abord d’alerter, puis d’essayer de trouver de meilleures options, « petits pas par petits pas ».


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