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  • BOUDU

Le savoir faire rire de Ferri

Comment est venue la proposition d’adapter De Gaulle à la plage en dessin animé ? Du patron des studios Cube qui avait déjà produit Athleticus, une histoire d’animaux qui participent à des Olympiades. J’avais bien aimé le dessin animé, lui aussi réalisé par Philippe Rolland (qui a adapté De Gaulle à la plage, ndlr). J’étais donc plutôt confiant. Le petit bout qu’il m’a montré m’a rassuré sur le fait qu’il avait compris l’humour de la bande dessinée. Il a réussi à restituer l’atmosphère, le silence, parce qu’on n’est pas dans un dessin animé de Tom et Jerry. Il y a vraiment du dialogue.

Pourquoi avoir choisi de consacrer une bande dessinée à de Gaulle ? Un peu par hasard. Un jour j’ai dessiné un petit de Gaulle en maillot de bain. Je me suis tout de suite aperçu que c’était rigolo parce que ce personnage n’était pas adapté à ce genre de situation. Aussi quand Dargaud a lancé un album sur la politique et m’a proposé d’y participer, le personnage est ressorti.


© Dargaud


De là à rendre de Gaulle drôle… Ce qui est amusant, c’est que je ne vois pas du tout l’homme politique pesant et tristouille qu’on nous montre. Pour moi, de Gaulle a un vrai potentiel comique. Mais ce qui m’intéresse chez lui n’est pas d’ordre historique ou politique. C’est le personnage lui-même, un peu inadapté, qui se retrouve toujours un peu en porte-à-faux avec ses semblables, comme durant la guerre où il est persuadé d’être le seul à comprendre ce qui se passe, à incarner le pays. Ce caractère, c’est de l’or pour un humoriste. Et la parenté avec Monsieur Hulot de Jacques Tati m’a frappé parce qu’ils ont tous les deux la même silhouette, l’allure un peu dégingandée.

Vous êtes-vous attaché au personnage ? J’ai lu récemment la biographie de Julian Jackson, un Anglais, qui parle bien de la dimension intime de l’homme. Il y a des choses qui sont touchantes. Il n’était pas d’une pièce, il a traversé pas mal de souffrances, notamment par rapport à son éloignement pendant la guerre, sa petite-fille trisomique…

Vos lecteurs attendent la suite des aventures de de Gaulle depuis déjà quelques temps. Est-elle pour bientôt ? Oui, De Gaulle à Londres, c’est le prochain dossier qui m’attend. Le fait de réécrire pour de Gaulle m’a bien remis sur le personnage.


© Dargaud


Qu’est-ce qui vous a amené à la BD ? Ça remonte à loin. Je suis d’une génération où la bande dessinée était LE média de l’enfance, de la jeunesse. C’était la grande époque des hebdos. La BD était mon ouverture au monde, un peu comme la vidéo l’est pour d’autres aujourd’hui. J’avais la chance d’avoir un copain qui était abonné au journal Pilote et je récupérais tous les numéros. Je pourrais presque dire que j’ai appris à lire avec la BD. Aussi quand il s’est agi de raconter des histoires, je me suis naturellement tourné vers la BD. Avec les copains du lycée, on faisait un petit journal, puis une bande dessinée, comme tout le monde… Le problème avec moi, c’est que c’est resté !

Quelle est la première BD qui vous a marqué ? Je pense que c’est Tintin. Ce n’est pas très original mais à l’époque, il n’y avait pas grand-chose sorti de Tintin, Astérix ou Lucky Luke. Les vitrines des libraires ne croulaient pas sous les nouveautés.

Vos parents devaient-ils batailler pour vous faire lire autre chose ? Non parce que comme tous les enfants un peu introvertis, je lisais tout ce qui me tombait sous la main, même les étiquettes de détergent. C’était une manière de voyager. Chaque fois que j’ouvrais un album, je me laissais emporter par la vision de l’auteur.

On dit parfois que la bande dessinée est une manière de prolonger l’enfance. Vous souscrivez ? Oui. Je me souviens d’une remarque d’un vieux monsieur rencontré dans une maison de retraite qui m’avait dit qu’il fallait sans doute rester jeune pour pouvoir faire des BD. Sur le moment, je m’étais un peu vexé croyant qu’il se moquait de moi. Alors qu’en réalité, il enviait tout simplement ma capacité à conserver cette vision enfantine. Sinon que je ne peux pas faire autrement ! En devenant adulte, on passe son temps à s’apercevoir qu’il y a un vrai monde et que tout n’est pas bande dessinée. Heureusement, quand vous êtes vraiment désespéré par le monde, la BD constitue toujours un refuge.

Que vous a apporté d’autre la BD dans votre vie ? L’humour. Il m’a beaucoup servi quand j’étais jeune… même si j’étais parfois à côté de la plaque ! Par exemple il y avait des gags dans Astérix que je ne comprenais pas mais que je mettais derrière mon oreille. C’était devenu une sorte de petit memento. L’humour, c’est une défense, une distance par rapport aux autres, qui m’a aidé à vivre.

À quel moment avez-vous découvert que vous aviez de l’humour ? Quand je voyais ma mère rigoler… même si ça peut parfois être un piège ! Car si votre mère rit un peu trop facilement, vous pouvez vous croire drôle, et c’est le début du malentendu. Plus sérieusement, je considère que l’humour n’est pas de l’humour. C’est quelque chose que l’on dit parce que l’on ne peut pas dire autre chose et qui suscite le rire chez les gens. Mais au fond, vous n’avez fait que vous exprimer. D’ailleurs si j’ai postulé à Fluide Glacial, c’est justement parce que c’était le journal de l’humour.

Fluide Glacial, c’était le graal ? C’était participer à quelque chose de fort, avec des pointures comme Binet, Goossens, des dessinateurs que je lisais depuis des années. On se voyait pour les réunions de bouclage, je venais de mes Pyrénées, j’arrivais à l’issue d’un long voyage, je repartais presque aussitôt après le bouclage, ils se demandaient d’où je sortais et où j’allais. Pour moi, c’était rassurant de voir que je n’étais pas seul à penser de la sorte. Et puis c’est là que j’ai fait la connaissance de certains dessinateurs avec lesquels j’ai travaillé en suite comme Larcenet. Donc oui, Fluide est une période pionnière.

C’est Fluide qui vous assoit définitivement en tant que dessinateur ? En BD oui parce qu’avant je faisais surtout des illustrations pour les journaux jeunesse, notamment pour Milan. Lorsque le rédacteur en chef de Fluide m’a appelé pour me dire qu’il allait me publier, je me suis dit que quelque chose s’ouvrait.

Vous accédez à une plus grande notoriété avec le succès de Retour à la terre coréalisé avec Manu Larcenet. Pourquoi cette série est-elle devenue culte pour autant de lecteurs ? Peut-être parce qu’ils sont nombreux à rêver de ce retour à la terre, de tout quitter pour partir à la recherche du bonheur. Beaucoup de gens, parmi ceux qui ont vécu ce retour à la terre, nous ont dit s’être retrouvés dans ce que décrit l’album, la voisine, le maire. Le fait d’avoir toujours exercé à la campagne, dans un milieu qui n’était pas forcément réceptif à mon activité de dessinateur, pour parler poliment, a aussi donné de la vérité à l’histoire. Ça m’a fourni tout un terreau de gags que j’ai plaqué sur le dos de ce pauvre Larcenet qui les a vécu aussi… mais plus tard ! Par exemple, le maire qui lui confie la réalisation de l’affiche du cochon, ça lui est arrivé. Ce n’était pas le cochon, mais ce n’était pas loin !

Retour à la terre, au fond, n’est pas vraiment une ode du monde rural ? Je n’ai pas pris parti pour le citadin ou le campagnard. Par contre il y a la description d’une communication difficile ! Ce que j’ai vu, c’est les difficultés rencontrées par les gens qui ont fait la démarche.

Selon les albums, vous êtes scénariste ou dessinateur, voire les deux. Avez-vous une préférence ? Je crois que je suis plus scénariste dans le sens où je ne suis pas un dessinateur compulsif comme Larcenet qui ne peut pas passer 10 minutes sans tenir un crayon. J’aime bien dessiner mais j’éprouve vraiment du plaisir à bâtir une histoire, à faire en sorte que ce soit juste.

Pourriez-vous nous expliquer comment vous fonctionnez lorsque vous travaillez avec un dessinateur, comme Larcenet, dans Retour à la terre ? L’histoire est singulière : Larcenet, un beau jour, m’annonce qu’il va partir de Paris pour habiter à la campagne. Je pense qu’il ne va pas tenir parce que c’est pour moi un pur citadin. Je lui envoie un petit dessin par fax qui le montre avec son ordi sur l’épaule, complètement azimuté, perdu dans la forêt, avec le fil qui court jusqu’à sa maison. Le dessin l’ayant beaucoup fait rire, il m’a proposé de raconter ce qui arrive à ce gars-là, c’est-à-dire lui-même. Et c’est comme ça qu’est parti l’idée. J’ai écrit l’histoire de son retour à la terre et il s’est dessiné comme un acteur. Je me servais non pas de ses anecdotes mais de la connaissance que j’avais de son caractère. Et puis des choses se sont recoupées avec la réalité comme lorsque sa femme est tombée enceinte, d’abord dans l’album, puis dans la réalité.

Comment arrive-t-on à mettre en réseau des cerveaux ? Il faut une grande complicité ? Il faut poursuivre le même but, dans ce cas précis, celui de faire un album marrant. Mais il est vrai qu’il arrive, quand vous travaillez de cette manière, que le dessin ne corresponde pas au gag tel que vous l’aviez imaginé. Parfois, il ne faut pas hésiter à refuser le dessin ; mais parfois, la proposition du dessinateur peut aussi fonctionner. Mais il y a souvent une difficulté pour le scénariste à accepter la version du dessinateur. Dans Retour à la terre, graphiquement, Larcenet avait vraiment saisi l’esprit du truc. On ne sentait pas le mec qui ramait derrière le gag. Avec Conrad dans Astérix, on travaille de manière différente puisqu’il vit de l’autre côté de l’Atlantique. Il n’y a pas ces échanges quasi quotidiens au téléphone, où on rit ensemble. C’est beaucoup plus professionnel.

En vous écoutant évoquer votre collaboration avec Larcenet, on pense à Voulzy et Souchon… Oui, tout à fait. Il y a avec Larcenet une espèce de pot commun d’humour, comme la poésie pour Souchon et Voulzy. Il n’y a pas 36 personnes avec qui on peut vivre une telle complicité. Cette dimension affective se retrouve d’ailleurs tout au long de l’histoire puisqu’il y a par exemple des gens qui ont baptisé leur enfant du prénom du bébé de l’album.

Retour à la terre est-elle la bande-dessinée qui vous ressemble le plus ? Je ne sais pas. Ce qui est bien dans cette BD, c’est que c’est l’une des rares où le temps passe, où l’on peut parler de ces petites choses vraies du quotidien. C’est sans doute la plus complète de ce point de vue.

L’autre album pour lequel vous êtes mondialement connu est Astérix. Racontez-nous la genèse de cette collaboration… L’histoire est amusante : lorsque j’ai été contacté pour la première fois, on ne m’a pas dit que c’était pour Astérix. Vu que je travaillais sur la suite des aventures de De Gaulle, j’ai décliné la proposition. Puis lorsque les gens d’Hachette ont demandé à une quinzaine d’auteurs de trouver un pitch pour un album, j’ai d’abord pensé que ce n’était pas faisable. J’ai donc trainé un peu des pieds avant de me décider à envoyer, juste avant la date limite, une petite demi-page pour ne pas avoir de regrets. Et j’ai été pris ! C’est, je crois, le côté minimaliste de mon pitch qui a séduit Uderzo.


Storyboard pour l’album Asterix et la fille de Vercingétorix – oct. 2019 © Editions Albert Réné


Écrire la suite des Aventures d’Astérix, c’est endosser la responsabilité de continuer à faire rêver les enfants… C’est d’autant plus vrai que j’ai parfaitement conscience de l’importance que cela a eu sur ma propre vie. À la difficulté d’être à la hauteur s’ajoute celle d’être en adéquation avec un monde qui a changé. Que faut-il raconter pour plaire aux jeunes aujourd’hui ? Le contexte n’est plus le même que celui du temps de Goscinny. Donc j’y suis allé doucement parce que c’est bien beau d’envoyer 1/2 page mais après il faut faire un vrai album ! Surtout que je viens du format court. Donc j’ai appris en faisant. Et c’est seulement maintenant que je commence à sentir les particularités d’un Astérix.

L’héritage a-t-il été si lourd à porter ? En travaillant sur Astérix, je me suis rendu compte du talent fou de Goscinny. Son écriture, notamment au moment de l’âge d’or (les 10-12 premiers albums), est extraordinaire. Il y a une sorte de jaillissement, on ne voit pas les coutures, c’est fluide, travaillé, les ellipses sont où il faut, ça tombe vite et bien. Du grand art ! Quand je démarre, je ne suis évidemment pas à ce niveau-là.

Le personnage principal a-t-il évolué ? C’est la place du héros qui a changé. Astérix, bien qu’un anti-héros, l’était quand même. C’était le leader, celui qui a toujours des idées, qui fonce devant. Goscinny s’était toujours arrangé dans ses scénarios pour qu’Astérix passe devant tout le monde, qu’il tire son épingle du jeu. Or je me rends compte, à notre époque, que le héros a plus de mal, qu’il est plus en retrait, qu’il subit plus les évènements qu’avant. Et j’ai constaté que mon Astérix était plus en retrait, au bénéfice d’Obélix.

À vous entendre, ce n’était pas conscient… Spontanément je crois que j’ai eu du mal à maintenir le statut d’Astérix. Avec le temps, je corrige ça. Dans le prochain numéro, je le rebooste. Parce qu’à l’origine, Astérix est une caricature de Français, râleur, mauvais coucheur, bâfreur, rigolard. Peu à peu il l’a laissé à Obélix qui a endossé ce rôle comique. Mais je trouve qu’il doit garder un peu ce côté caricatural.

Le prochain album, c’est secret défense ? Oui, c’est un principe, je ne peux pas dire où ça se passe. Ne comptez pas sur moi pour vous dire qu’il se déroule en Ariège (rires).


Ferri


L’époque que l’on vit est-elle inspirante ? On est trop dedans pour qu’elle soit inspirante. Et ce n’est jamais plaisant de voir qu’il y a de la souffrance autour. Il n’y a pas la réceptivité parce que les gens sont trop inquiets.

N’ont-ils pas justement davantage besoin de rire ? Si, en effet, on me l’a d’ailleurs fait sentir à l’occasion de la diffusion du dessin animé parce que c’est un humour qui ne fait pas référence à quelque chose de chaud. Un dernier mot sur vous que l’on dit timide, réservé, discret, introverti. Qu’en est-il au fond ? Disons que je me suis toujours tenu loin de la grande ville. Par goût personnel.

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