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  • BOUDU

Graines de star


Pour arriver chez Pascal et Rachel Poot, mieux vaut ne pas avoir peur de se perdre. Une fois la pente caillouteuse domptée en voiture, il faut encore suivre à pied un chemin de terre rouge sur une ligne de crête, longer des enclos où paissent ânes, chèvres et chevaux, avant de s’aventurer dans la forêt. Là, il faut encore garder l’œil bien ouvert pout dénicher sa petite maison à demi cachée par les chênes et les châtaigniers. Partout autour : des collines arides et des champs escarpés où pointent encore, en ce jour de novembre et malgré de longs mois sans eau, quelques légumes bientôt à maturité.

De quoi déstabiliser les voisins qui, lors du retour de Pascal Poot sur ses terres natales héraultaises au début des années 2000, le jugeaient fou de vouloir faire pousser des légumes là où même les vignes les plus coriaces refusaient jusque-là de produire la moindre grappe. « Rien ne poussait ici à part les cailloux », s’amuse aujourd’hui le paysan-semencier. « Il n’y avait pas de canalisation, et pas de pluie entre avril et octobre, alors vouloir arroser des cultures ici, c’était comme essayer d’éteindre une botte de paille en feu avec une cuillère à soupe d’eau… »

Pourtant, aujourd’hui, Pascal Poot réussit à faire pousser sur ses 6 hectares de terres arides 220 variétés de tomates « qui donnent parfois des fruits jusqu’à la mi-janvier », et quelque 150 variétés de légumes. Le tout sans traitements (par choix) ni arrosage (par la force des choses). Alors en quelques années, derrière ses faux airs d’ermite retiré du monde, Pascal Poot est devenu une star pour les jardiniers qui désespéraient de voir quoi que ce soit pousser dans leurs potagers trop secs, trop humides ou touchés par le mildiou, et les paysans à la recherche d’alternatives aux variétés hybrides des grands semenciers.

La mémoire dans la graine

Son secret ? L’épigénétique. Soit la capacité des êtres vivants à transmettre à leur descendance via leurs gènes ce qu’ils ont appris au cours de leur vie. « Celles qu’on appelle des mauvaises herbes sont très résistantes sans arrosage ni traitements, souligne le paysan- semencier. Pourquoi ? Parce que personne ne les a dorlotées. Aujourd’hui, quand un légume n’a pas d’eau, on lui en donne, quand il est malade, on le traite. Alors il n’a pas besoin d’apprendre à résister à la sécheresse ou à la maladie. Ici, les plantes apprennent à se débrouiller et transmettent leur savoir à leurs descendants par leurs gènes. »

Ce savoir, Pascal Poot ne le tient pas d’un quelconque diplôme en biologie ou en agronomie. Le quinquagénaire, qui a commencé son premier potager à 4 ans et quitté l’école trois ans plus tard, est entièrement autodidacte. « J’ai tout appris en observant, en faisant preuve d’intuition et en testant. Des amis chercheurs confirment souvent ce que je devine instinctivement. On m’a même dit que l’Inra suivait de près ce que je faisais. »


Depuis plus de 30 ans, sur des parcelles précédentes puis à Lodève, il fait endurer à ses plantes les pires conditions de culture possibles : la chaleur, le manque d’eau, les maladies, le gel. Sans une quelconque aide, mis à part un peu de compost. Chaque année, il récupère toutes leurs graines, en vend une partie, et replante l’autre la saison suivante pour obtenir des plants un peu plus résistants. Quelques-uns meurent, certains ne progressent pas vraiment, beaucoup sont plus résistants.

Mais pour Pascal Poot, pas question de sélectionner uniquement les plants les plus performants. « Je récupère et réutilise toutes les graines de tous les plants. Quand on sélectionne, si on se concentre sur une seule qualité, on peut faire disparaître une autre qualité essentielle sans même s’en rendre compte. » Comme c’est arrivé à l’oignon de Stuttgart. Un oignon autrefois rond, parfois un peu plat, qui pouvait se conserver de longs mois. « Et puis les cuisiniers ont trouvé que les plats étaient plus simples à couper. Alors les sélectionneurs n’ont gardé que ceux-là. Et sans s’en rendre compte, ils ont sélectionné les individus qui se conservaient moins bien, et toute l’espèce est devenue plate avec une capacité de conservation médiocre. »

D’où l’importance aussi pour Pascal Poot de bien connaître l’origine et la qualité de ses graines souches, les « mères » de tous ses plants actuels. La plupart d’entre eux descendent directement des légumes qu’il cultivait enfant dans son potager, ou de graines collectionnées par un ami de son père, passionné de variétés anciennes. « Toutes nos variétés sont des variétés anciennes jamais hybridées qui étaient déjà presque toutes dans le catalogue Vilmorin de 1910 », précise le paysan semencier. « C’est important parce qu’aujourd’hui, les variétés anciennes vendues dans le commerce sont en fait des hybrides qui sont bien moins résistantes. » Et de citer en exemple une expérience qu’il a menée l’an dernier pour comparer la résistance de ses plants à ceux vendus en magasin. « On a planté sur une parcelle, dans des conditions identiques, la même variété de salade ancienne, mais avec deux types de semence : la nôtre et une semence du commerce. Après un mois de canicule, toutes les salades anciennes du commerce étaient mortes. Les nôtres avaient tenu le coup. »

Médocs en stock

La clope au bec en permanence et un bilan de santé récent lui assurant qu’il a « la santé d’un jeune homme de 20 ans qui n’a jamais fumé », Pascal Poot assure également que ses légumes auraient des vertus quasi-médicinales. « Depuis 30 ans, mes plantes, en développant leur système immunitaire pour résister à la sécheresse et aux maladies, ont – ça a été mesuré – augmenté leur teneur en antioxydants et en polyphénols. Or beaucoup de chercheurs pensent aujourd’hui que les polyphénols sont les molécules les plus anticancéreuses, car ce sont des anti-inflammatoires naturels qui n’abîment pas les reins. Et sans inflammation, pas de cancer. Alors certains médecins estiment qu’avec leur teneur en polyphénols, nos légumes, ce n’est plus de l’alimentation, c’est presque du médoc. Au moins en préventif », assure-t-il, tranquillement assis au volant de son tracteur sous une pluie fine.


Il est temps de ramasser en bords de champs les quelques cageots qui contiennent la récolte de tomates de ces derniers jours. Une récolte qui se fait le plus tardivement possible « pour que les plantes aient pu affronter la chaleur, la sécheresse, les maladies, puis la pluie et le froid ». Les cagettes sont ensuite remontées à l’atelier. Un abri en bois et en tôles dans lequel salariés et stagiaires venus du monde entier « pour avoir la chance de travailler avec la star du milieu » préparent les semences. La pulpe est extraite des fruits puis, pour les tomates, mise à fermenter pour faire se décomposer la gélatine qui entoure les graines et les empêche de germer. Une fois nettoyées, les graines de tétons de Vénus, noire de Crimée et autres légumes, sont mises à sécher dans de petits tamis suspendus près du poêle à bois. Elles seront ensuite conditionnées dans de grands seaux pour être replantées la saison prochaine, ou ensachées pour être vendues dans le magasin du couple à Lodève. Depuis 2016, Rachel Poot, vend aussi les semences sur internet. « La première année, on a tout vendu en 2 mois. À tel point que des gens qui n’avaient pas pu en avoir m’agressaient au téléphone. »

Parmi les clients du couple, des agriculteurs et beaucoup de particuliers qui cherchent à faire pousser des légumes sous des climats peu cléments, de la Normandie – très touchée par le Mildiou – à la Guyane. « Nous avons beaucoup de clients corses, dont des anciens du FLNC. Ils ont compris qu’avant de demander l’indépendance, il leur fallait d’abord l’autosuffisance alimentaire », sourit le paysan. « Il y a aussi de gros semenciers qui achètent nos graines incognito – du moins ils le pensent – pour créer des hybrides de variétés anciennes. » Mais voir le produit de son dur labeur récupéré par les grands groupes ne l’inquiète pas tant que ça. « Je pourrais déposer des brevets, mais je ne vois pas sous quel prétexte je m’approprierais le travail qu’ont fourni des générations et des générations depuis 10 000 ans… »

D’ailleurs, il compte bien poursuivre ses expériences sur d’autres variétés. « Dans les grands groupes de semences, le savoir est volontairement fragmenté. C’est le principe du diviser pour mieux régner. Je suis le seul à avoir accumulé toutes ces connaissances sur l’ensemble du processus, de la plantation à la graine. Alors je vais continuer à faire des recherches. Sûrement sur des pommes de terre et des plants de grande culture comme le blé. Parce qu’un jour ou l’autre, la Terre entière aura besoin de plants résistants, et on me les demandera. » 

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