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  • BOUDU

Viticulture : Solide comme un Roc des Anges


On dit souvent que l’amour donne des ailes ou qu’il permet de déplacer des montagnes. C’est sans doute ce qui s’est produit pour Marjorie Gallais lorsqu’elle a décidé d’acheter en 2001, avec son compagnon Stéphane, des vignes sur les hauteurs de Montner, dans les Pyrénées-Orientales. Car la native de Grenoble était jusqu’alors habituée aux prestigieuses vignes de Côte-Rôtie et de Condrieu. Pas exactement du même acabit que celles de Montner, situées sur l’appellation Côtes-du-Roussillon villages. Mais le jeune couple, qui s’est rencontré sur les bancs de l’école d’agronomie de Montpellier, a de la suite dans les idées. Et l’intuition, dès le début de son histoire, qu’il va partager plus qu’une histoire d’amour. « On a tout de suite su qu’on allait monter un domaine ensemble. C’était comme une évidence. Et puis le vin a ce petit atout par rapport au maraîchage qu’il y a une dimension artistique dans la transformation d’un produit brut. » Loin d’être refroidis par la réputation peu flatteuse des vins du coin, ils perçoivent tout de suite le potentiel de ces terres pleines de schistes, et ambitionnent immédiatement de réaliser des vins de garde.

Pas question donc de fonctionner comme les autres vignerons du cru, qui ont pour habitude de faire vinifier en cave coopérative. Le domaine Roc des Anges s’étend au démarrage sur 4 hectares. Comme Stéphane a pris la direction technique d’un grand domaine à Maury, Marjorie travaille seule sur l’exploitation. Elle embouteille et vend toute sa production dès la première année. Son secret ? Un bon vin… et l’export ! Une question d’adaptation au marché : « À l’époque, on nous a mis dans le même sac que tous les vins du Languedoc-Roussillon. C’est-à-dire un vin de masse. En France, le vin est un marqueur social et les gens ont beaucoup de préjugés sur les étiquettes. À l’étranger, ils sont beaucoup plus ouverts ». Flairant la brèche, elle s’y engouffre et parcourt le monde (Japon, Etats-Unis, Singapour) pour trouver des débouchés : « Pour vendre un Roussillon, vu que ce n’est pas une appellation porteuse, il faut mettre ses tripes sur la table ».


Elle fait rapidement taire ceux qui lui promettaient un échec rapide. « Ici, c’est très rural. Les gens ont la tête dure. Par exemple, dans leur conception, la femme n’est bonne qu’à ramasser les sarments taillés par son mari. Alors moi, quand ils m’ont vue arriver, à 23 ans, conduire le tracteur, labourer, tailler, ils ne m’ont pas prise au sérieux. » Marjorie sait pourtant précisément où elle va. Après avoir composé avec les (vieilles) vignes existantes, elle se convertit progressivement à la sélection massale, c’est-à-dire à la greffe de sarments de ses plus beaux pieds de vigne, parfois centenaires, sur ses jeunes vignes. Une technique qui n’est pas sans risque mais qui permet de conserver une haute qualité de production : « C’est sûr que c’est plus aléatoire que la sélection clonale. Ça coûte plus cher à produire, les vignes sont moins productives, et le rendement est plus irrégulier. On a par exemple une vieille vigne de grenache gris qui ne donne qu’un an sur deux. Mais on n’a rien sans rien ! On ne peut pas faire de grand vin sans revenir à la génétique ».

Une reconnaissance que Roc des Anges va obtenir petit à petit, à mesure que le domaine s’agrandit (il fait aujourd’hui 40 hectares) et que Marjorie, rejointe depuis 2008 par Stéphane, affine ses vins. Avec un palier décisif franchi en 2011, lorsqu’ils décident de passer l’ensemble des vignes en biodynamie. Un choix pleinement assumé dans une région peu habituée à ce type de culture : « On y est allé pour faire un vin avec un supplément d’âme, de l’énergie, et très digeste. La biodynamie a cette intention d’impacter le produit final ». Désormais à la carte des plus grandes maisons, comme le Georges V ou Troisgros, Marjorie mesure le chemin parcouru en 18 ans : « En 2001, on courait tellement après un terrain avec de la pente et des cailloux que l’on ne s’est pas rendu compte que l’on était sur des sols très pauvres et très secs. Les anciens l’appelaient ” le triangle de la soif ” ». Malgré un rendement plafonné à 20 hectolitres par hectare, le couple a su faire contre mauvaise fortune bon cœur : « On a un tempérament de guerrier. On s’est mis au travail, on a pris des risques et on a progressé pas à pas ». Au point d’arriver, aujourd’hui, (presque) à la plénitude : « Nos vins sont globalement équivalents à ceux que l’on faisait au début. Ils sont juste plus singuliers : on est à deux doigts de toucher la quintessence » 

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