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Carole Delga : “Il faut restaurer… la confiance”

La population d’Occitanie ne cesse de croître d’année en année. Comment pensez-vous réussir le tour de force de nourrir tout le monde en conservant une exigence de qualité ?

Aujourd’hui l’urgence n’est pas de produire plus mais de produire mieux ! Le modèle qui a dominé ces dernières décennies échoue à fournir un revenu à nos agriculteurs, comme il échoue à répondre aux consommateurs plus exigeants. Nous devons complétement repenser notre modèle agricole et aider producteurs et éleveurs à effectuer les transitions nécessaires vers un système plus juste pour tous et durable. Je pense à la diversification des exploitations pour aller chercher davantage de valeur ajoutée ou au développement des pratiques de l’agroécologie qui doivent nous permettre de mieux protéger les ressources (sol, eau, air). Cela nécessite également un changement de regard des consommateurs sur le rôle et l’activité des agriculteurs, mais aussi sur leurs difficultés, et bien entendu le rôle de la distribution. Avec le salon Regal Sud de France, ou encore la démarche « L’Occitanie dans mon assiette » menée dans les lycées, nous souhaitons sensibiliser nos concitoyens, en particulier les jeunes, à l’importance du bien produire et du bien manger, et donc, du bien consommer. 

D’ailleurs, qu’est-ce qu’un produit de qualité ?

Pour moi c’est avant tout un produit de la région Occitanie ! Sans caricaturer on dispose, et de manière globale en Occitanie, de produits de grande qualité que ce soit des produits sous labels mais aussi des produits plus traditionnels. Pour ces derniers, l’enjeu c’est bien de les différencier sur les marchés pour qu’ils gagnent en valeur. De manière plus générale, un produit de qualité c’est certes des qualités de goût et des qualités sanitaires mais c’est aussi un produit durable, qui a des vertus économiques, écologiques et sociales, qui crée de la richesse pour ceux qui le produisent et pour ceux qui le mangent.

On est passé en quelques années du Sisqa, salon de la qualité alimentaire, au Regal, salon gustatif et ludique souvent présenté comme le « plus grand marché d’Occitanie ». Faut-il y voir un changement de priorités ? 

D’abord un changement de contexte. Il faut rappeler que Martin Malvy avait créé le salon Sisqa au lendemain de la crise de la vache folle. Il y avait alors du côté des consommateurs un besoin d’être informés et rassurés sur l’origine et la qualité des produits. Sécurité et qualité alimentaire étaient intimement liées et Sisqa répondait à cette attente. Avec la naissance de l’Occitanie, nous avons décidé de donner un nouveau nom à ce salon, qui colle mieux à son identité et à celle de notre grande région devenue 1er vignoble mondial en vins d’origine, 1ère région d’Europe avec plus de 250 produits sous signe de qualité, 1ère région bio de France… Sans négliger la qualité des produits et leur provenance, nous avons voulu mettre l’accent sur les rencontres entre visiteurs et producteurs, sur le partage. Avec Regal Sud de France, nous permettons aux habitants de notre région de découvrir le meilleur de l’agriculture régionale, cet art de vivre qui fait notre fierté. En Occitanie nous sommes fiers de nos agriculteurs et nous les soutenons.


Au MIN en 2019


La confiance des consommateurs dans les labels et les appellations ne cesse de décroître. Les dernières études montrent que le label Bio et le label Rouge sont les seuls à tirer leur épingle du jeu. Notre Région, qui compte le plus grand nombre d’appellations d’origine et de qualité en France, doit-elle s’en inquiéter ? 

Non. Car, au-delà de la question des labels, la qualité des produits et leur origine restent déterminantes dans l’acte d’achat. Les citoyens interrogés lors de la grande consultation citoyenne que nous avons menée l’an dernier l’ont clairement dit : 92 % des participants ont déclaré qu’ils privilégieraient des aliments produits en Occitanie s’ils étaient facilement identifiables. Nos 250 produits sous signe de qualité, et les 10000 produits référencés sous la marque régionale Sud de France, sont une vraie force. Et à la fois, il y a des interrogations légitimes. Les signes de qualité sont pour certains anciens et ne prenaient pas en compte, quand ils ont été créés, les préoccupations des consommateurs d’aujourd’hui. Il y a donc une forme de rénovation à opérer car outre le goût et l’origine ils doivent aussi intégrer davantage les questions environnementales et de bien-être mais aussi les questions de partage de la valeur ajoutée. C’est un travail qui est déjà engagé pour beaucoup d’entre eux.

La vogue du local et du circuit court profite de plus en plus aux paysans et aux artisans de notre région. À tel point que les institutions et les marques semblent jouer parfois sur la confusion entre proximité et qualité. Quel est votre avis sur la question ? Comment promouvoir à la fois la qualité et le local sans laisser penser que tous les produits se valent ?

L’évolution des pratiques engendre des besoins nouveaux dont une plus grande lisibilité sur l’origine et les caractéristiques des produits. Les consommateurs veulent savoir ce qu’ils mangent, ce qu’ils boivent, d’où vient ce qu’ils achètent. Personne ne gagnera à entretenir la confusion à ce niveau-là. Au fond, le problème ce n’est pas la longueur du circuit mais bien l’origine de la production et son mode de distribution. Je peux acheter un produit local de grande qualité chez mon primeur ou mon boucher, comme chez un producteur sur un marché ; ce qui m’intéresse, c’est le système d’économie locale vertueux. Il y a un lien historique entre le producteur et le consommateur et souvent celui qui fait ou faisait le lien c’était le commerçant de proximité. Il faut retisser ce lien, car c’est un lien qui construit la confiance dans ce que l’on mange. L’alimentation et l’agriculture souffrent aujourd’hui d’un manque de confiance, notre ambition à l’échelle de l’Occitanie c’est de le restaurer.

Vous avez déclaré, en 2018, l’alimentation Grande cause régionale. Quel bilan établissez-vous à ce jour et à quel moment considèrerez-vous avoir relevé le défi ?

Le bilan est positif et les engagements tenus. Nous avons mené une grande consultation citoyenne (100 000 participants, je le rappelle) qui nous a permis de bâtir le premier Pacte régional pour une alimentation durable. Nous sommes la première région de France à avoir réalisé une démarche de cette ampleur. Cette année nous avons mené l’acte 2, avec la mise en œuvre d’actions très concrètes sur le terrain tels l’organisation du 1er Printemps de l’alimentation durable à Saint-Affrique, le lancement de l’opération Zéro plastique en restauration collective, la création d’un concours de cuisine régional dédié aux jeunes. D’ici la fin de l’année, nous adopterons les contrats de transition pour l’agriculture durable. Toutefois, le chemin à parcourir reste long, le dernier rapport du Giec sur le changement climatique, les difficultés qu’expriment nos agriculteurs nous le montrent. Mais je suis persuadée que notre système agricole régional est probablement aujourd’hui celui qui est le mieux préparé pour relever ces défis. La Région continuera d’être aux côtés de ses agriculteurs pour trouver des solutions.


Le foie gras est interdit en Californie et le sera à New-York dès 2022, au nom de la protection des animaux. Les Français, qui sont de plus en plus sensibles au bien-être animal, résisteront-ils longtemps avant d’interdire, eux aussi, le foie gras ?

Il y a aujourd’hui une forme de défiance vis-à-vis de la viande et des produits animaux. Cette défiance est minoritaire dans la population mais quelques fois on a l’impression qu’elle est majoritaire dans les médias. Il faut se rappeler d’où l’on vient : pour nos anciens, manger de la viande c’était une forme de réussite sociale et aujourd’hui encore, il ne faut pas oublier que si des personnes pensent manger trop de viande d’autres n’en mange pas ou très peu ou de mauvaise qualité. Je crois que toutes ces interdictions, tous ces dogmes que l’on érige ne cessent de creuser le fossé des inégalités. Car le discours ambiant ne fait pas le distinguo entre riches et pauvres, entre ceux qui peuvent bien manger et faire des choix et ceux qui ne peuvent pas manger comme ils aimeraient. Il ne faut pas perdre cela de vue.

Je veux d’ailleurs le réaffirmer ici, tous les modèles d’élevage ne se valent pas. Si certains sont climaticides, je pense par exemple au « feed lot » américains, le modèle d’élevage à l’herbe tel qu’il est pratiqué dans notre région permet au contraire de fixer et de capter du carbone, il valorise la fonction nourricière de près de 50 % des terres agricoles de la région. Aussi, je veux assurer de tout mon soutien le monde de l’élevage souvent injustement pointé du doigt.

Remise en cause du gavage et dénonciation de la corrida vont souvent de pair chez les défenseurs des animaux. Qu’en pensez-vous ?

Je ne suis pas partisane des interdictions, je crois avant tout et surtout à la liberté des citoyens de faire leur choix en conscience. Je comprends pleinement que la cause animale prenne une place de plus en plus importante dans les valeurs de notre société, mais je ne pense pas que leur protection doit passer par des interdits ni même par la négation d’une forme d’humanisme et de culture. D’autant plus que nous touchons ici à nos traditions, de plusieurs siècles, au socle commun en Occitanie.

Comment analysez-vous la montée de l’activisme et les actions de plus en plus musclées des associations de type L214 ?

Je suis inquiète de la montée des actes violents, quelles que soient leurs causes, leurs moteurs. Je ne peux pas cautionner la dégradation de commerces au nom de la protection animale. Comment peut-on justifier la violence contre les hommes, pour lutter contre la violence envers les animaux ? Mais c’est un phénomène plus global… Ces actes sont le reflet de la colère qui couve en France aujourd’hui. Dans une société qui a confiance en un avenir commun, vous n’aurez pas autant de vandalisme et d’acte de dégradation… Une société plus violente, c’est une société toujours plus divisée. Je crois qu’il faut apporter de l’apaisement, du dialogue. Cela passe d’abord par agir concrètement pour apporter des solutions aux habitants. Sur les problématiques qui sont les leurs : l’emploi, l’éducation de leurs enfants, les transports et la transition écologique qui n’est plus un débat d’expert, mais une inquiétude majeure pour toutes les générations.


Avec Martin Malvy et Jean-Pierre Coffe au Sisqa en 2012


L’Insee vient de révéler qu’un paysan sur cinq ne s’est pas versé de salaire en 2017, soit une hausse de 8 % en un an. Comment expliquer qu’une telle statistique ne crée pas plus d’émotion dans l’opinion publique, et notamment en ville ?

Pour tout vous dire, je n’ai pas envie de me l’expliquer, ou en tout cas, je n’ai pas envie de l’accepter. Qu’un travail aussi essentiel et aussi dur que celui des paysans ne permette pas de vivre décemment est inadmissible. Il y a des laissés pour compte aujourd’hui, au premier rang desquels les agriculteurs, et il est vrai qu’ils ne font la une des journaux que lorsqu’ils manifestent. Mais je pense que chacun d’entre nous, individuellement, ruraux ou citadins, nous sommes touchés par cette situation. C’est d’ailleurs l’un des moteurs du « manger local » qui est très répandu dans les métropoles.

Dans ce contexte, la Région prend ses responsabilités : notre territoire compte 165 000 agriculteurs ou salariés de l’agriculture et de l’agroalimentaire.

Depuis 2016, nous avons augmenté notre budget de 40 % pour les accompagner notamment dans leurs projets d’installation ou de développement. Nous soutenons également les actions collectives de formation et de promotion. Nous accompagnons les agriculteurs vers le bio et dans la transition écologique. Toutes ces actions ont pour objectif de permettre aux agriculteurs de notre région de vivre décemment de leurs terres et de leurs élevages. Cela doit être la priorité de tous les acteurs publics.

Puisque l’agriculture est aux circuits courts et à la consommation locale, faudra-t-il délocaliser certaines compétences du ministère de l’Agriculture aux conseils Régionaux ?

Je plaide depuis des mois, pour une République des territoires. Nous avons aujourd’hui, au sein des Régions, des Départements, des Intercommunalités et des Villes, la maturité pour une plus grande décentralisation de l’action publique. Ce n’est pas le chemin que prennent l’état et son gouvernement, bien au contraire… Mais bien sûr, les Régions, qui sont plus proches des particularités de chacun des territoires, devraient avoir plus de moyens d’action. L’état doit lui se recentrer sur ses pouvoirs régaliens : la sécurité, l’éducation, la justice…

En Occitanie, nous n’avons pas attendu ce transfert pour agir en faveur de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la filière bois et aller au-delà de nos compétences. Ce volontarisme porte ses fruits : l’Occitanie est aujourd’hui championne de France de l’agriculture bio, en 4e position à l’échelle européenne et également leader dans le domaine de la viticulture bio. Il y a ici une bonne dynamique collective parce que nous avons le souci de rassembler, de fédérer.

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