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Purpan – Samu des mers

Dernière mise à jour : 2 févr.

Sur toutes les mers du Globe, en cas de problème de santé, les marins peuvent compter sur les urgentistes toulousains du Centre de consultation médicale maritime. Un service unique en France qui traite chaque année 5000 appels de navigateurs en détresse, et qui nous a ouvert ses portes de l’aube au crépuscule.


La Méditerranée est à une heure de route, l’Atlantique à près de trois heures, mais c’est pourtant à Toulouse, dans les locaux du Samu 31 du CHU de Purpan qu’est ancré le CCMM. C’est à l’intérieur d’un petit local vitré, sur le plateau du Centre de réception et de régulation des appels (CRRA) du Samu, qu’officie l’équipe de Patrick Roux, médecin urgentiste, responsable du CCMM. Parmi la quarantaine d’urgentistes régulateurs du CRRA, dix médecins, formés à la médecine maritime, se relaient 24h/24 pour assurer une aide médicale gratuite aux équipages des navires de commerce, de pêche, de services (câbliers, scientifiques), aux plaisanciers et aux passagers de ferries. « Nous sommes le centre français d’assistance médicale mais dans les faits, nous sommes le centre de tous les francophones et de tous les marins en détresse qui n’ont pas de centre dédié », précise le docteur Patrick Roux, médecin urgentiste, responsable du CCMM. Ce jour là, c’est le docteur Emilie Dehours qui est à la manœuvre. Arrivée à 8h, elle quittera le pont à 18h.

8h15 Elle commence sa journée en traitant les appels non urgents de la nuit : une douleur au ventre, une conjonctivite, un mal de dent… « La nuit, on est là pour répondre aux urgences vitales et ressenties. Dans les autres cas, nous demandons au bateau de nous rappeler le lendemain pour une consultation. Beaucoup oublient le décalage horaire avec la France », explique-t-elle. Trois écrans lui font face : celui de gauche affiche la fiche de renseignement et le dossier d’un patient blessé à la jambe. Sur le moniteur de droite, une photo d’un abcès au doigt envoyé par email par le capitaine d’un chalutier français, en face, la liste des appels reçus et de la vingtaine de patients suivis. : « Lorsqu’un marin est malade ou blessé, c’est au commandant ou au capitaine de nous contacter et de suivre nos indications. On fonctionne en binôme. Sans eux, on ne peut pas faire grand-chose pour le patient. Ils sont pour ainsi dire nos yeux et nos mains ! ».   En 2019, le service a pris en charge 2000 patients dont 35 % ont fait l’objet une intervention terrestre : évacuation par hélicoptère, débarquement, déroutement du navire, aide d’un bateau militaire ou de commerce situé à proximité. Dans les autres cas, ils ont été soignés à bord par téléconsultation. « Quand un marin est malade, sans signe inquiétant et qu’il se trouve à plusieurs jours des côtes, nous le prenons en charge, comme si nous étions à bord, jusqu’à la prochaine escale », précise le médecin, urgentiste au CCMM depuis dix ans.

9h  « Allo, docteur, ici le commandant du Cobaty, un de mes machinistes a fait une chute et s’est fracturé la main droite ». Vissée sur sa chaise, casque sur les oreilles, le docteur ouvre un dossier médical : « Quel âge a-t-il ? Peut-il bouger ses doigts ? A-t-il une bonne sensibilité des doigts ? Pouvez-vous m’envoyer une photo de sa main par mail, puis me rappeler ? ». Le porte-conteneur, battant pavillon luxembourgeois, est au large de Majorque et se dirige vers Marseille. Le docteur Dehours consulte la carte de trafic maritime, repère via l’immatriculation du navire, sa localisation et contacte le Cross (Centre régional opérationnel de surveillance et de sauvetage) de Marseille pour l’informer d’une prochaine intervention.

9h30  Un appel l’attend sur une autre ligne avec le capitaine d’un chalutier français en mer du Nord. « Je vous rappelle comme prévu pour monsieur Philippe, son doigt est toujours infecté, ça m’inquiète ». « J’ai vu la photo que vous m’avez envoyée par mail, la blessure est en train de se résorber, continuez les antibiotiques jusqu’à votre arrivée à Rotterdam, recommande-t-elle. Je ne clos pas le dossier, rappelez-moi dans 48h ». Bien que les appels des navires de commerce concernent essentiellement des problèmes médicaux (infections, dorsalgies), ceux provenant des navires de pêche sont liés à des traumatismes : les fractures, chocs, plaies, entorses, luxations nécessitant souvent une intervention terrestre. Les marins constituent la catégorie la plus exposée aux accidents professionnels, en particulier les marins pêcheurs. « En général, quand ils nous contactent, c’est vraiment qu’ils souffrent car c’est un public plutôt rude qui ne se plaint pas ». Un avis partagé par le Docteur Patrick Roux qui constate que les marins étrangers, « notamment les Philippins, taisent souvent leurs maux par peur de perdre leur contrat avec l’armateur ».

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10h15  La photo de la main fracturée arrive par mail, suivi de l’appel du commandant du Cobaty. « C’est une fracture très déplacée du poignet, sans déficit d’aval », diagnostique le médecin. « Je vais organiser son débarquement, une ambulance l’attendra à votre arrivée au port à 6h15 pour un transfert à l’hôpital de Marseille.  Donnez-moi des nouvelles du dossier » conclut-elle à l’adresse du Cross.

11h  « Mon Second se plaint toujours de douleurs aux yeux ». L’appel provient du commandant d’un porte-conteneur français au large de la Guyane, en route pour la Colombie. C’est un suivi de dossier, « Il pense qu’il s’est frotté les yeux avec un produit toxique, ça l’inquiète beaucoup », relate le commandant. « A-t-il des maux de tête, des troubles de la vision ? Continuez le collyre encore 24h et rappelez-moi demain après m’avoir envoyé une photo ». Chaque navire dispose d’une pharmacie : « une dotation médicale » qui selon le type de navigation peut regrouper une centaine de médicaments sous la responsabilité du capitaine. De plus en plus de cargos s’équipent de mallette de télémédecine contenant tout le nécessaire pour effectuer un électrocardiogramme, mesurer la tension, la glycémie. Et transmettre ces données au CCMM. « Cela va révolutionner la prise en charge des marins qui pourront désormais être traités de façon optimale, un peu comme à terre », se réjouit le docteur Patrick Roux.

12h  Les appels s’enchainent : un câblier au large de la Réunion pour la cervicalgie d’un technicien, un porte-conteneur situé à l’entrée du rail de la Manche pour la brûlure à la cuisse d’un mécanicien, un chalutier frayant dans les îles Kerguelen pour une entorse du poignet. 85 % des appels reçus au CCMM proviennent de bateaux français et 55 % des patients sont de nationalité française. « On parcourt le globe dans la journée, s’amuse Emilie Dehours. Mais, aucun de nous ne fait du bateau ! Tous sont montés à bord des navires de pêche ou de commerce, car c’est important de bien visualiser l’environnement de travail des patients, quand on est à des milliers de kilomètres, derrière ses écrans ».

15h  Rendez-vous avec le commandant d’un porte-conteneur français au large de l’Équateur. C’est un appel de clôture de dossier. « Mon machiniste ne se plaint plus, l’antibiotique a bien marché, l’angine est guérie. Merci docteur, bonne continuation ! ». « Nous limitons les risques d’aggravation, là, où dans un cabinet, on aurait prescrit un strepto-test, pour connaitre l’origine de l’angine. En mer, on donne systématiquement des antibiotiques. Nos décisions intègrent plusieurs paramètres : l’éloignement des côtes, la présence des navires à proximité, la qualité des hôpitaux, la dangerosité des ports en cas d’évacuation. On sait que certains, comme ceux situés du côté de l’Angola, sont à éviter. Je me souviens d’un cas dans le golfe d’Aden où nous avons dû faire appel à des militaires pour évacuer un marin souffrant d’une appendicite, alors que des pirates se trouvaient à bord du navire ! »

15h45  Situation tendue, le Cross de Fort-de-France a reçu un appel de détresse. Un skipper américain parti du Cap Vert est décédé. Sa femme et son fils sont à bord, et le catamaran est à 12 jours de Sainte-Lucie. « Aucun navire militaire ou de commerce n’est sur zone, la femme est totalement effondrée, elle craint que sa mort soit due à une maladie contagieuse », explique le Cross. « S’est-il plaint de douleur avant son décès ? Savez-vous si la mère a les compétences pour conduire le voilier ? » demande le docteur. « J’ai la femme du skipper en ligne, l’interrompt le responsable du Cross, j’organise une liaison satellite pour que vous l’ayez en direct ».

16h  Emilie Dehours est inquiète. Elle n’a pas de nouvelle du catamaran américain. « Les plaisanciers sont difficiles à aider, car ils ne disposent pas de beaucoup de médicaments et sont souvent très vulnérables. Avec les marins pêcheurs, ce sont les plus exposés aux fractures, luxations ou aux chocs dus à des retours de vagues. Il y a deux ans, j’ai eu le cas en plein océan indien. Le voilier a chaviré, le père est décédé d’un traumatisme crânien et son fils a été blessé. Nous avons mis en place la cellule d’urgence médico-psychologique du Samu pour le suivre jusqu’à son arrivée au port. Ça a été très éprouvant. »

17h 30  La communication est mauvaise. La femme du skipper décédé est en ligne. Elle explique en anglais que son mari souffrait depuis quelques jours de fièvre et de diarrhée sévère : « Enveloppez le corps dans une bâche et placez-le dans l’eau, à l’arrière du bateau », conseille le médecin, « Et vous et votre fils, comment allez-vous , avez-vous des maux de ventre, de la fièvre ? » La communication est interrompue. « Dans ce type de cas, on part du principe que c’est une maladie contagieuse, mais ça va être difficile de connaître leur état de santé et le contenu de leur pharmacie. On va les suivre jusqu’à leur débarquement. Le Cross et la gendarmerie de la zone sont sur le coup, on aura des nouvelles cette nuit ou demain. » Emilie Dehours passera le relais à ses collègues d’astreinte de nuit. Pour l’heure, elle est attendue à une réunion d’équipe

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