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  • BOUDU

Le grand ras-le-job

« La société dans laquelle je vis me dégoûte ; la publicité m’écœure ; l’informatique me fait vomir. Tout mon travail d’informaticien consiste à multiplier les références, les recoupements, les critères de décision rationnelle. Ça n’a aucun sens. Pour parler franchement, c’est même plutôt négatif ; un encombrement inutile pour neurones. Ce monde a besoin de tout, sauf d’informations supplémentaires. » Cette confidence synthétise si bien les témoignages que l’on recueille en cet automne 2020 auprès de nos contemporains qu’elle pourrait avoir été entendue tout à l’heure à la sortie d’une PME de Toulouse, Labège ou Montpellier. Il n’en est rien. On la trouve à la page 41 du roman de Houellebecq Extension du domaine de la lutte, paru il y a un quart de siècle. On le saura la prochaine fois : pour connaître l’avenir de la société, mieux vaut lire Houellebecq que les journalistes et les sondeurs. Ces derniers, d’ailleurs, sont bien meilleurs pour décrire le présent. Preuve en est cette enquête Ifop parue en juin : 58% des salariés y estiment que le confinement a changé leur rapport au travail, et 81% déclarent que le bien-être constitue désormais leur enjeu prioritaire… contre 56% à peine en 2018 ! Parmi les éléments garantissant ce bien-être, 31% mentionnent « donner du sens à son activité ». Quant aux principaux changements attendus, la « meilleure conciliation entre vie personnelle et vie professionnelle » concerne 27% des sondés.

Ainsi s’annonce la nouvelle donne post-covid du monde du travail. Phénomène que Stéphane Pannetier, salarié toulousain que Boudu a rencontré et qui a quitté son emploi pour vendre du fromage (voir p.31) appelle « l’effet confinement. »  Effet à la fois perturbateur, révélateur et accélérateur, que mesure depuis le printemps Marielle Bovo, consultante en ressources humaines au club CIBC AgirE en Haute-Garonne, Lot et Tarn-et-Garonne : « Je rencontre de plus en plus de personnes pour qui le confinement a été un accélérateur de prise de décision, avec des projets plus ou moins mûris. Je vois des salariés de 30/35 ans qui ont consacré 10 ans à leur activité professionnelle et qui souhaitent aujourd’hui des conditions de travail plus compatibles avec leur vie de famille. J’observe que les conditions de travail qui étaient acceptées il y a quelques années le sont beaucoup moins aujourd’hui. » Au sein de cet organisme qui propose Bilan de compétences et Conseil en évolution professionnelle, deux dispositifs-clefs du parcours de reconversion professionnelle, Marielle Bovo constate que près de la moitié de ceux qu’elle rencontre souhaite s’orienter vers des métiers différents. Elle cite pour illustrer ses propos ce pharmacien qui se rêve boucher, et cet assureur qui reprend un petit commerce avec sa compagne : « Il y a le souhait d’être utile à la collectivité, et de se sentir plus citoyen » résume-t-elle.

Inspiration Être utile, donner du sens. Nous voilà au cœur des aspirations nouvelles. Tout sauf une passade. Un véritable phénomène de société si l’on en croit Hélène Picot. Cette ancienne de Publicis devenue coach de reconversion se définit comme un « incubateur à rêve », et une « fée des temps modernes » capable de reconnecter à leur être les candidats à la reconversion : « La quête de sens est une lame de fond dans la société, amplifiée par la Covid-19. Pour beaucoup, le fait d’avoir moins de travail ou de se retrouver au chômage partiel a libéré du temps pour se questionner. Et là, le non-sens des bullshit jobs (les fameux “jobs à la con” théorisés en 2013 par l’anthropologue américain David Graeber ndlr) est apparu avec son lot de questions : “Ai-je envie de passer 80% de mon temps dans un travail qui n’a pas de sens ? Quelle est ma place dans le monde ? Comment changer ça ?”. C’est enthousiasmant ! Cette période éveille les consciences. Et à partir de ces prises de consciences individuelles se dessine un changement de société. »

Les fées des temps modernes ne sont pas les seules à accompagner le vent du changement. À l’IoT Valley, l’écosystème de startups sis à Labège et fondé en 2011 par le patron de Sigfox Ludovic Le Moan, on aide aussi les porteurs de projet à franchir le pas. Le 24 septembre, l’association organisait au Gaumont Wilson un événement baptisé : Focus, inspiration, reconversion : « Dès le mois de juin, on a senti arriver la vague de PSE. On s’est dit que la rentrée serait compliquée et qu’on ne pouvait pas rester là sans rien faire. La question de la reconversion étant prégnante, on a eu l’idée d’organiser un événement inspirant et positif dans une période qui serait tout sauf inspirante et positive ! » explique Stéphanie Pautal, responsable événementiel à l’IoT Valley. Devant l’écran du Gaumont, 9 speakers dont 7 Toulousains. Une prof des écoles devenue développeuse web, un ingénieur biochimiste mué en directeur d’association dans le domaine de l’écoemballage, ou encore une ancienne étudiante toulousaine devenue, après 10 ans à Paris dans le marketing, la com, l’innovation, brasseuse artisanale avec son jules près de Rouen.

Malgré les contraintes sanitaires, les 200 places disponibles pour cet événement sont parties en quelques heures. Signe d’un intérêt accru pour ces parcours de reconversion vers des métiers qui ont du sens. Intérêt dont Stéphanie Pautal peine à mesurer l’ampleur, mais qu’elle sait inexorable : « Dans notre écosystème on propose une formation de 3 jours en entrepreneuriat startup, éligible au Compte Personnel Formation. Parmi ceux qui la suivent, on trouve des personnes en reconversion. Ce n’est pas un phénomène massif mais il s’accroît. Les questionnements relatifs à l’écologie et au social, qui tiraillaient déjà les jeunes générations avant la covid, explosent depuis le confinement. Le modèle de nos parents fondé sur la carrière et la sécurité disparaît peu à peu au profit d’un autre qui se résume en trois mots : réussir sa vie ». Parmi ces jeunes et ces moins jeunes, un certain nombre choisira l’entrepreneuriat. D’où l’intérêt que leur porte l’IoT Valley, qui dispose des outils, des programmes et des formations pour ce genre de projets d’entreprise.

Aspiration Le grand saut dans l’entrepreneuriat n’est pourtant pas la règle. La plupart des reconversions qui s’opèrent pour des motifs éthiques et de sens restent dans le cadre du salariat. C’est le cas de Julia Grigel. Cette jeune Toulousaine titulaire d’un CAP pâtisserie a subi la crise de son secteur. Elle était satisfaite de son poste de cuistot et serveuse dans un salon de thé bio, un commerce écoresponsable qui correspondait bien à ses aspirations. Mais la fermeture et le chômage partiel l’ont conduite à s’interroger. Elle s’est mise à fréquenter les sites de recherche d’emploi. Sur indeed.fr, là où d’autres mentionnent le salaire, les avantages en nature ou le domaine d’activité comme critères prioritaires, elle n’a tapé que trois mots-clefs : Toulouse, planète et environnement : « Dans ma génération, il y a ce sentiment d’urgence. On voit notre avenir s’écrouler devant nos yeux. Le climat se dérègle, l’environnement se dégrade. J’ai très peur pour ma fille. Alors, puisqu’on passe la majeure partie de notre temps au travail, il me paraît normal que ce travail offre des solutions à ces problèmes ».

Un jour, une annonce matche avec ses mots-clefs. Une offre d’emploi d’Ilek, jeune entreprise toulousaine spécialisée dans la distribution d’électricité verte (hydroélectricité, éolien, solaire) et de biogaz (méthanisation). Une société certifiée B-corp, label international octroyé aux sociétés qui, tout en demeurant rentables, répondent à des exigences précises en matière de gouvernance, d’environnement et de social. Le discours offensif d’Ilek, qui se construit contre « les pratiques des fournisseurs d’énergie en France : greenwashing, tarifs excessifs et mauvaise relation client », séduit immédiatement Julia Grigel. L’entreprise, en pleine croissance n’a pas cessé d’embaucher au cours du confinement. Bien au contraire. Ilek a recruté 22 personnes en 2020 et vise les 150 collaborateurs en 2023 : « À l’heure où les individus veulent prioritairement travailler dans des entreprises qui s’engagent pour eux comme pour la planète, on propose des perspectives d’emploi qui s’inscrivent dans cette quête de sens, promet Rémy Companyo, le cofondateur de la société. On s’aperçoit que les candidats sont plus nombreux depuis la crise sanitaire. Pour ceux qui arrivent, le salaire n’est plus le premier critère. Les missions de la boîte, la façon dont elle les mène, la finalité de l’activité comptent beaucoup dans leur choix. Comme on est une entreprise centrée sur les collaborateurs, qui pratique naturellement le télétravail, avec une finalité qui a du sens et un modèle qui permet aux collaborateurs de prendre une part financière du projet, on coche toutes les cases. Cela nous est profitable pour le recrutement : plus on a de candidats, et meilleurs sont les profils ».

Tournant le dos à la pâtisserie et au service à table, Julia Grigel est donc aujourd’hui conseillère énergie chez Ilek. Elle dit avoir le sentiment d’être utile, de contribuer à faire évoluer les choses dans le bon sens, et être en accord avec les aspirations de sa génération : « On critique beaucoup la génération Y. On blâme son égoïsme, ses exigences, ses attentes impossibles à combler. Pourtant, vouloir travailler 5 jours sur 7 dans quelque chose de positif, intéressant et bénéfique aux autres, ce n’est quand même pas le bout du monde ! ». La sincérité de ces élans altruistes est sans doute le plus grand motif d’espoir en ces jours difficiles. Marielle Bovo note même un « réel engouement pour les métiers du soin ». Car même si ces métiers peinent à attirer, du fait des conditions de travail et des niveaux de rémunération, elle sent comme un frémissement : « J’ai eu quelques demandes depuis la crise sanitaire sur le métier d’infirmier. Demandes qui venaient principalement… d’hommes ! » Par bonheur, dans la vie, les raisons d’espérer sont plus nombreuses que dans les romans de Houellebecq.

ILS L’ONT FAIT

Derrière la fenêtre de son bureau des Laboratoires Fabre, l’ancien designer rêvait de nature, d’agriculture et de grand air. Trois mois après la fin du confinement, il a quitté son écran pour plonger les mains dans le lait caillé de la ferme de Cabriole.  


Designer

@ Orane Benoit


Il y a quelques mois encore, Loris créait des infographies pour des boîtes de médicaments et des flacons de cosmétiques. Et puis le confinement, propice à l’introspection, est passé par là : « J’ai fait des recherches sur l’impact de l’activité de graphiste sur l’environnement.  J’ai trouvé des trucs terribles. Je me suis dit : si tu continues dans ce domaine après tout ce que tu viens de lire, c’est que tu n’es pas droit dans tes bottes ! » Il refuse pourtant qu’on le qualifie d’écolo. Il déteste ce genre d’étiquettes. Cela ne l’empêche pas de trouver que « c’est aberrant de produire des milliers de boîtes en plastique en 2020 ». Lorsqu’il retrouve son bureau, en mai, il ne se sent plus à sa place : « J’ai compris que le sens pouvait passer avant l’argent ». Poussé par sa compagne qui l’encourage à « s’écouter », il donne sa démission au mois d’août, laissant dubitative une grande partie de son entourage. Il se met alors en quète d’un métier manuel avec en tête un critère non négociable : pas d’écran : « Je passais 9 heures face à 30 cm² de LED. L’écran masquait ma vie. » Citadin depuis 10 ans, Loris est fils de céréalier. Il a grandi non loin de la ferme de Cabriole et arbore fièrement son statut d’urbain-rural. L’idée de se tourner vers la fabrication de fromage lui traverse ainsi naturellement l’esprit. Après une visite à Toulouse auprès de François Bourgon, le MOF de chez Xavier, il décide de franchir le pas. Il entre comme stagiaire en octobre à la ferme de Cabriole. Et deux jours plus tard, la gérante Cornelia Fricker l’embauche : « Dans le milieu rural, si tu sais ce que tu veux et que tu tombes là où il faut, il suffit de 48 heures ! On ne va pas te faire poireauter avec des périodes d’essai. » Depuis son embauche, l’ancien des Laboratoires Fabre est sur un nuage : « C’est génial, je suis captivé et passionné. Je fais partie d’une équipe avec des gens patients et heureux de transmettre. Je suis fier de ce que je fais. C’est un truc qui ne m’était pas arrivé depuis longtemps ».

 

Plus de matchs, de mariages ni de séminaires. Patrick Contreras, 49 ans, intermittent dans la restauration événementielle, propose désormais ses épices et sa vanille de Madagascar sur les marchés de plein vent.


Patrick Contreras

@ Rémi Benoit


Patrick Contreras, maître d’hôtel dans l’événementiel et agent logistique dans l’équipe événements du Stade Toulousain, a vu ses activités s’effondrer avec la Covid-19 : plus de mariages, plus de séminaires, et des matchs à huis clos. Ce grand sportif, avec ses 44 ans de rugby et ses 20 kilomètres à pied par jour comme maître d’hôtel, ne pouvait rester inactif. « Pendant le premier confinement, j’ai pris la décision de passer le permis poids lourds, en me disant que ça pouvait servir. » Mais surtout, il a mis son énergie dans le développement de sa microentreprise, Émil’epices, créée avec sa cousine Émilie. « Mon père a refait sa vie à Madagascar, je m’y rends régulièrement et il y a un an et demi, on a eu l’idée de monter une petite boutique en ligne d’épices et de vanille. » Il se fournit directement auprès de paysans qu’il connaît sur place, leur assurant un revenu décent : pas d’intermédiaires, des prix fixes. « En plus, pas d’engrais chimiques. Uniquement de la bouse de zébu ! ». Patrick Contreras est fier d’expliquer que ses épices ne sont pas trafiquées, que le gingembre est frais, réduit en poudre sous ses yeux. De petits volumes de marchandises qui alimentaient jusque-là son réseau personnel : les restaurateurs qu’il côtoie depuis des années ainsi que son immense famille – sa mère a 18 frères et sœurs ! – éparpillée entre la France et l’Espagne, où ses aïeux élevaient des brebis et produisaient du manchego. Une grande tribu au sein de laquelle il a été biberonné à l’optimisme et à la combativité, et placé sous la figure tutélaire d’un grand-père engagé dans l’armée républicaine espagnole, arrivé en France en passant les Pyrénées à pied. Une ascendance qui lui a forgé un moral d’acier. « Je ne suis pas du genre à baisser les bras. Alors comme le contact avec les gens me manquait et que j’avais pas mal de marchandises en stock, j’ai décidé de faire les marchés de plein-vent. Pas trop loin de Toulouse, pour limiter les frais d’essence ».

 

Chloé Dubois n’est ni quadra, ni aisée, ce qui ne l’empêche pas d’être en quête de sens. À 29 ans, alors qu’elle vient à peine de rembourser son prêt étudiant, elle lâche les RH pour créer et s’épanouir.


@ Rémi Benoit


Avant la pandémie, Chloé Dubois avait la panoplie dont beaucoup rêvent. Un CDI, un bon salaire, une voiture de fonction. Sa carte de visite mentionnait le titre enviable de Consultante en ressources humaines, et son compte LinkedIn affichait des centaines de contacts engageants, trilingues et surdiplômés. « Une belle situation », comme on dit dans les nouvelles de Maupassant. Mais les belles situations ne mettent pas à l’abri des questions existentielles, et à 29 ans, à la faveur du confinement, Chloé Dubois n’y a pas échappé : « La pandémie, les attentats, la crise économique… ça change le regard qu’on porte sur les choses. On ne sait pas combien de temps il nous reste à vivre. On ne sait pas comment les choses vont tourner. On ne sait même plus si on touchera demain la retraite pour laquelle on cotise. Alors autant se régaler dans la vie et dans le travail ». Son projet de reconversion s’est dessiné au printemps à coups de pinceau. Comme il fallait bien tuer le temps pendant le confinement, elle a réinstallé ses toiles et ses châssis, ressorti ses couleurs, et s’est remise à peindre. « Le soir, raconte-t-elle, je réalisais à quel point le temps passe vite quand on est absorbée par une activité créative. J’ai toujours eu ce goût pour la création, mais j’avais oublié à quel point c’est satisfaisant. » Tout le contraire du boulot, en somme. Elle avait pourtant des horaires supportables, une hiérarchie compréhensive, des résultats valorisants. Rien qui puisse conduire à la déprime ou au burnout. Mais elle ne se sentait pas à sa place : « Quand on est consultante RH, il faut se montrer convaincante parce qu’on coûte cher à ceux qu’on accompagne. Même si je faisais bien mon travail, j’avais l’impression de tromper mes clients. Ce n’était pas le cas. En réalité, la seule que je trompais, c’était moi. Toute la journée je jouais un rôle. La consultante RH était une autre que moi ». À bien y réfléchir, l’idée de changer de métier lui avait traversé l’esprit avant la Covid. Elle se voyait bien graphiste. Elle se disait que c’était un bon job ça, graphiste. Ça permettait de ménager la chèvre et le chou. Un métier artistique accordé au monde du travail. Un moyen de franchir le pas tout en jouant la sécurité… Et c’est précisément cela que le confinement a fait voler en éclats : « Sans cette période de réflexion, j’aurais sans doute un jour quitté mon travail pour un autre, tout en jouant “la sécurité”. Mais le confinement m’a convaincue de ne pas faire de concession, de ne pas brader mes aspirations. C’était décidé : je serais illustratrice ». De retour au bureau après le confinement, elle négocie une rupture conventionnelle avec son employeur. Ce dernier accueille favorablement la nouvelle, convaincu du bien-fondé de ce changement de vie. Autour d’elle, sœurs et amies sont enthousiastes. Ses parents un peu moins. « Ils me disent “Mais qu’est-ce-que tu crois ? Personne ne s’éclate au boulot ! Tu avais un CDI, c’était déjà bien !” Question de génération. Ils ont été élevés par des parents qui ont connu la guerre, ce qui forge une vision de la vie particulière. » Finalement, un argument fait mouche : « Je leur ai dit que je n’étais pas heureuse. Que je ne tiendrais pas deux ans de plus comme ça. » La moue dubitative de ses parents sème malgré tout en elle « de petites graines d’états d’âme et de culpabilité ». À 29 ans, elle vient de payer les dernières traites du crédit contracté pour payer son diplôme. Alors elle se demande si elle n’a pas fait tout ça pour rien. Si elle n’est pas en train de faire un caprice. Les premiers rendez-vous à Pôle Emploi ne sont pas de nature à la rassurer : « En substance, je leur disais : aidez-moi ! et ils me répondaient en m’expliquant comment ils allaient contrôler mes démarches pour justifier l’allocation ! » Heureusement, les droits à la formation accumulés lui permettent l’achat d’une formation aux logiciels créatifs et aux arts appliqués. Le reste, elle connaît déjà : la chaîne graphique, les briefs, les relations avec les clients… « Dans le monde du travail, tout répond aux mêmes process. Quand on les maîtrise, on s’en sort partout ». Ainsi Chloé Dubois sort-elle enjouée du deuxième confinement. Terminé le CDI, le bon salaire, la voiture de fonction. Exit la belle situation. Place au bien-être, au stress de l’indépendance et à la poursuite du bonheur : « Avant, je savais en quoi consistait mon travail, mais je n’en trouvais pas le sens. Aujourd’hui ma vie professionnelle est remplie d’incertitudes, mais j’en connais la finalité : mon épanouissement ».

 

Céline Hermet, 41 ans, a quitté son emploi de commerciale qui la rendait malade, pour se consacrer à l’accompagnement des jeunes parents lors de l’arrivée de leur bébé.


Céline Hermet

@ Rémi Benoit


« Pendant le premier confinement, je me suis retrouvée en chômage partiel. Le fait d’avoir du temps pour réfléchir, de me retrouver face à moi-même m’a fait prendre conscience de ce que je ne voulais plus dans ma vie. Je ne voulais plus être cette maman-dragon qui crie sur ses enfants parce qu’elle est aigrie. Je me sentais à côté de moi-même. Depuis 15 ans, mon travail ne me correspondait pas. J’étais commerciale dans une entreprise d’éditeurs de logiciels alors que j’ai un profil très social, j’aime beaucoup prendre soin des gens. Le malaise avait commencé au retour du congé parental de ma deuxième fille. J’étais de moins en moins en phase avec ce qu’on me demandait. La pression n’était jamais directe mais toujours plus forte, avec tout un tas de petits chefs de plus en plus nombreux. On m’a reproché de perdre du temps à m’occuper de mes clients alors qu’il y avait un service après-vente dédié (un 0800 avec personne au bout du fil, les pauvres clients !) Tout ça était de moins en moins en phase avec mes valeurs. J’avais de bonnes conditions de travail, un bon salaire, mon mercredi libéré, des jours de télétravail, des tickets restos… Mais avec cet arrêt brutal lié au confinement, je me suis rendue compte que travailler me rendait malade. Au déconfinement, quand j’ai repris le boulot, je déclinais moralement. Mon médecin m’a arrêtée, en me disant que je faisais un « boreout ». On a évoqué les grandes questions existentielles, on a parlé d’utilité au travail : il m’a demandé de réfléchir sérieusement à ce que je voulais faire, car je frôlais la dépression. C’était la grosse angoisse : partir de ma boîte au bout de 15 ans ! Et en même temps, à 40 ans, je me suis dit : « C’est maintenant ou jamais ». La vie peut s’arrêter du jour au lendemain et la Covid nous le prouve tous les jours. Tout le monde m’a soutenue, à commencer par mon mari qui m’a dit : « Tu es le pilier de la famille, tu ne peux pas craquer. Je te fais confiance, je sais que tu vas trouver quelque chose qui te plaît. » J’ai eu de la chance, j’ai pu négocier une rupture conventionnelle avec mon employeur. En annonçant ça à ma mère, je me suis retrouvée un peu comme une petite fille qui annoncerait qu’elle arrête ses études, mais elle a poussé un grand « Ah ! Enfin ! » Pour trouver ma voie, je suis d’abord partie un peu dans tous les sens, et puis j’ai eu le déclic : travailler avec les jeunes parents, les assister pendant les premiers mois de l’arrivée d’un enfant, être auprès des nouveau-nés… J’avais ressenti une grande solitude lors de la naissance de ma première fille. Je suis persuadée qu’il y a quelque chose à faire pour apaiser les tensions lors de ce grand chamboulement de la naissance. Je vais passer mon CAP petite enfance et suivre une formation à l’école du bien-être de Sonia Krief à Paris. Je me sens très sereine. Je sais que ça ne sera pas facile. Je m’y suis préparée, mais je suis convaincue que ça finira par marcher. Ma fille aînée m’a dit : « Ça te va trop bien de t’occuper des gens. » Ça m’a fait tellement plaisir ! Désormais, je suis à ma place. »

 

Confinée avec son chat, Geneviève Bouvet, 53 ans, a cherché le salut sur un site de rencontres. 6 mois plus tard, elle quittait sa Corse natale et son statut de prof de lycée pour embrasser à Valras une carrière de viticultrice… et le viticulteur qui va avec.


Geneviève Bouvet

Si on avait dit à Geneviève Bouvet il y a à peine deux ans, qu’elle abandonnerait la Corse pour le Continent, elle n’y aurait pas cru : « La Corse c’est viscéral chez moi. Mais l’amour fait faire des choses… » Cette énergique prof d’histoire-géo, lassée par ses 25 ans de métier, a profité du confinement pour s’inscrire sur un site de rencontres : « À la base, ça n’était pas ma tasse de thé. Mais quand on se retrouve toute seule, avec son chat, à Porto-Vecchio… » justifie-t-elle. La rupture brutale, l’an passé, avec le père de sa fille, ces 17 ans de vie commune qui prennent fin, et la solitude qui pèse, ont fini par la convaincre. Pourtant, elle a bien failli ne pas retourner sur le site après son inscription, accaparée par les visios avec ses élèves, les copies à corriger, et ses deux chevaux à soigner. Mais un message l’attendait, qui allait changer sa vie. Expéditeur : Gilles, viticulteur à Valras. Le ton du message et la photo du célibataire avec son cheval l’interpellent : « Je lui ai répondu, même s’il habitait sur le Continent. On s’est envoyé des textos pendant 3 jours. Puis on s’est téléphoné. Quand j’ai entendu le son de sa voix, je me suis dit : « Ma fille tu es cuite ! ». Tout collait : notre amour des chevaux, l’âge de nos filles, nos envies. J’ai toujours rêvé d’être agricultrice mais en Corse c’est impossible d’acheter du foncier ». Fille de marin pêcheur, elle avoue avoir toujours eu « le cul entre deux chaises : trop intello pour un métier manuel, et trop manuelle pour un métier intello. » Passionnée d’Histoire, dotée d’une redoutable mémoire qui a fait d’elle une candidate récurrente de Questions pour un Champion, Geneviève Bouvet ne s’est jamais reconnue dans le système éducatif : « J’adorais mes élèves, j’adorais la transmission mais j’avais l’impression de ne jamais être dans les clous de l’institution. » Étudiante, elle se voyait même devenir archéologue sous-marine, spécialité dont elle est diplômée. Un rêve auquel elle a renoncé face à l’incertitude des débouchés. C’est poussée par ses parents qu’elle cède aux sirènes de la sécurité en passant le concours de prof. Le confinement agit sur Geneviève comme un déclencheur : « C’était la première fois que je me posais depuis 15 ans. » Alors, pendant leurs longs échanges téléphoniques confinés, Geneviève et Gilles échafaudent des plans. Gilles, sans avoir jamais rencontré Geneviève, fauche un champ pour accueillir ses chevaux. Geneviève, sans avoir jamais vu Gilles, demande « une dispo » à l’Éducation nationale. On est en mai. Les règles du confinement sont strictes. Pour « se voir en vrai », Gilles envoie un contrat de travail à Geneviève. La rencontre est digne d’une comédie romantique. Aéroport de Marseille. Vide. Covid oblige. « Ambiance de fin du monde. Je suis sur l’escalator, j’entends frapper à la vitre, je vois son regard et là, je me dis que c’est parti pour une grande histoire. » Le lendemain, Geneviève était sur le tracteur ! « Je n’avais jamais conduit mais j’avais passé tellement de temps dans les moteurs sur le chalutier de mon père que ça ne me faisait pas peur ». Trois semaines de lune de miel passées à labourer et retourner la terre, bottes aux pieds. Geneviève repart avec l’idée de signer pour cette nouvelle vie. Sa fille de 15 ans, cavalière, rêve d’intégrer l’internat du lycée agricole de Saint-Affrique, « le meilleur du Sud », à moins de 90 minutes de chez Gilles. Geneviève n’avait pas réalisé : sa fille pourra rentrer tous les week-ends, ce qui était impossible en Corse. Les planètes sont alignées. La décision est prise. Le 26 août, Geneviève embarque pour le Continent : « mon 4X4 bourré à craquer, ma fille, mon chien et mes deux chevaux ». Elle arrive au domaine en pleines vendanges. Plongée immédiate dans la réalité. Le jour de la rentrée scolaire, elle savoure : plus d’horaires, plus de sonnerie. Geneviève apprivoise la vigne, la faucheuse, et sa nouvelle vie avec le sentiment d’être à sa place. Elle a divisé son salaire par 4, travaille d’arrache-pied aux côtés de Gilles, infatigable bosseur. Compétitrice dans l’âme, elle et élevée à la dure, a l’habitude de serrer les dents et de ne rien lâcher. Championne d’endurance équestre, débourreuse de jeunes chevaux : elle a le caractère compatible avec les exigences de son compagnon qui a commencé à travailler à 9 ans : « Avec Gilles on s’est aussi trouvé dans le travail où on se complète. On est scotchés l’un à l’autre. On se regarde et on se pince pour se dire qu’on ne rêve pas ».

 

Stéphane Pannetier, 39 ans, aurait accepté n’importe quel job pour mettre fin à 14 années passées dans une pizzeria.  Mais « l’effet confinement » a fait son œuvre, l’aidant à préciser ses désirs et à trouver sa voie auprès de sa fromagère.  


Stéphane Pannetier

@ Rémi Benoit


Quel métier exerciez-vous avant le confinement ? J’ai travaillé 14 ans dans une pizzeria. Les conditions de travail ne me convenaient plus. J’ai postulé un peu partout, à la Poste, chez Tisséo, à l’hôpital. Peu importait le métier : je voulais changer de vie. Et puis le confinement est arrivé.

Que s’est-il passé ? J’ai passé 2 mois à la maison avec mon fils cadet. Ça m’a ouvert les yeux sur mes aspirations et mes priorités. En mai, dans les premiers jours du déconfinement, je suis allé acheter du fromage. La fromagère a demandé de mes nouvelles. Je lui ai répondu que ça n’allait pas fort. Que mon boulot ne me plaisait plus. Elle m’a répondu qu’elle cherchait quelqu’un pour son commerce. Bien sûr, le fromage ! Pourquoi je n’y ai pas pensé avant ? L’idée me plaisait bien. J’ai fait un essai. Un mois plus tard, j’étais embauché.

Comment a réagi votre entourage ? Tout le monde autour de moi sentait bien que c’était exactement ce qu’il me fallait. Ma femme va d’ailleurs elle aussi changer de métier. Elle est infirmière depuis 20 ans et voudrait, tout en restant dans le domaine de la santé, trouver une activité plus cool mais toujours en lien avec les patients.

Aucun regret deux mois plus tard ? Le premier jour, c’était comme une renaissance. Je me sentais libéré et certain d’avoir fait le bon choix. Un peu anxieux, aussi. On a peur de ne pas y arriver, on se demande si on a bien fait. Quand vous avez passé 14 ans dans la même boîte, ce n’est pas évident de tout plaquer du jour au lendemain. D’autant que cela s’est fait presque sans filet de sécurité. J’avais un statut de cadre, une situation confortable, et là je suis reparti comme employé. J’ai préféré perdre en salaire et gagner en qualité de vie. Le métier me passionne, j’ai une nouvelle patronne qui est reconnaissante et ça change tout. C’est l’effet confinement !

 

Airbusienne, Léa Bernabeu a senti le vent du boulet dès le début du confinement. Un coup d’air frais finalement bénéfique, qui a réveillé en elle de vieux projets de création d’entreprise. Dans quelques mois, elle ouvrira avec sa tante une boutique de créateurs dans le quartier de la Bourse.


Léa Bernabeu

@ Rémi Benoit


« La crise de l’aéronautique, on l’a vue arriver tout de suite dans mon service. J’étais au marketing chez Airbus. Au début du confinement, on était en télétravail. On regardait comment la Covid allait influencer les services. Et le moins qu’on puisse dire c’est que les nouvelles n’étaient pas bonnes. Le trafic était impacté. On entendait dire que les mois qui allaient suivre seraient compliqués. On parlait de PSE et de plans de départs volontaires. Plus les journées confinées passaient, et plus je m’interrogeais. La gravité de la situation, le virus, la crise… tout m’incitait à considérer sincèrement mon métier. Et sincèrement, dans ce genre de contexte, on se demande bien à quoi ça sert de trouver des solutions pour convaincre les clients d’acheter de super néons pour les avions… Ça n’a pas de sens, en fait. Et d’ailleurs, ça n’était pas mon idée de départ. Mon truc, c’était l’organisation de mariages. J’y pense depuis mes années d’étudiante. J’ai même pris une spécialisation création d’entreprise en dernière année de mon école de commerce, l’IFAG, pour de me lancer là-dedans. Mais après des études de marché poussées, je me suis rendue compte que c’était un secteur bouché dans la région toulousaine. Et j’ai bifurqué vers l’aéronautique. À la com d’Airbus, puis au marketing. Quelques semaines après le confinement, une idée a germé au détour d’une conversation avec ma tante Cécile. Elle est assistante sociale, en fin de carrière, et crée des bijoux à ses heures perdues. Je lui ai dit : « Mon rêve, ce serait d’avoir une boutique où vendre des objets de créateurs comme toi ». Elle m’a répondu : « Allez, on le fait ! ». Bingo. Je me suis laissée l’été pour réfléchir. À la rentrée, je me suis portée candidate pour le plan de départ volontaire. Pendant ce temps on montait notre dossier, épaulées par des gens vraiment super à la CCI. On est passées par des moments de doute mais les voyants du dossier sont passés au vert les uns après les autres. Aujourd’hui, ce n’est plus qu’une question de temps. Nous sommes sur le point de nous installer dans le quartier de la Bourse. Nous avons trouvé les créateurs, élaboré une offre de vêtements, accessoires, chaussures, sacs éthiques et responsables… Derrière chaque objet il y a une histoire, comme celle de ce créateur qui fabrique des sacs en recyclant les paniers utilisés en Asie pour la récolte du riz. La boutique s’appellera Léaline, contraction de nos deux prénoms. Ma tante est désormais à 80% et pourrait bien prendre sa retraite un peu plus tôt que prévu si la boutique marche. Et je sais qu’elle marchera. Mon expérience dans la com et le marketing me sera utile. Mais cette fois, ce sera pour mon propre compte. Et ça change tout. »

 

Lovée dans son canapé de psychopraticienne à Seysses, Caroline Gayral, 39 ans, respire enfin après des années passées sur les chantiers aéronautiques.


Caroline Gayral

@ Orane Benoit


« Au premier confinement, j’ai fait le bilan de ma vie professionnelle. J’ai pris conscience de ce que j’avais envie de faire et de ce que je n’avais jamais osé entreprendre. J’ai été chargée d’affaires en banque-assurance pendant 12 ans, puis j’ai fait un burnout. Je ne trouvais pas de sens à mon métier. Arrivée à Toulouse en 2013, virage à 180 degrés. J’ai obtenu un diplôme de mécanicienne aéronautique. L’aéronautique, c’était plus un métier alimentaire qu’un métier passion. Avec la crise sanitaire, le secteur a pris une grosse claque. Et moi, elle m’a permis d’appréhender ma vie de façon plus calme et me retourner sur moi-même, sans me presser. Je pratiquais déjà la sophrologie comme activité secondaire, et je suivais une formation de psychothérapeute à distance. Sans forcément penser en faire un métier. Pourtant, le 1er octobre, j’ai ouvert mon cabinet de sophrologie à Seysses. Le grand saut. Une certaine adrénaline et un peu de peur, même si elle est mesurée. Cette activité est en accord avec mes convictions profondes. Avec les autres aussi. Au cours du confinement, j’ai senti qu’on subissait tous un stress, qu’on se posait tous des questions, qu’on était en train de revoir notre manière de fonctionner et de prendre soin de nous. Avec le ralentissement du rythme de vie, nous avons été nombreux à nous dire : Mince, je me suis oublié. »

 

CHANGEMENT D’HERBAGE

Comme elle est fille d’ingénieur et que pour ses parents « les vrais métiers, c’est avec des chiffres », Anne-Hélène Labissy a étudié la finance et travaillé dans des multinationales. Mais après avoir perdu un être cher, elle est revenue à ses premières amours (psychologie, sociologie) pour entamer une carrière de coach de dirigeants, entrepreneurs et managers. Depuis le confinement, les candidats à la reconversion se bousculent à la porte de son cabinet toulousain…


Anne-Hélène Labissy

@ Rémi Benoit


Vos clients sont-ils plus nombreux depuis le premier confinement ? C’est très net. Les demandes se multiplient depuis le printemps. C’est un phénomène de fond. Les actifs se posent de plus en plus de questions sur le métier qu’ils exercent.

Quels sont les sujets qui les préoccupent ? Le plus souvent des conflits de valeurs. Soit en matière d’écologie (des salariés qui estiment que leur entreprise ne prend pas suffisamment en compte la protection de l’environnement ou la question climatique), soit du fait du management qu’ils jugent en contradiction avec leurs valeurs. Dans les deux cas, ce qu’on me dit, c’est : « Je ne me reconnais plus là-dedans ».

Ces questions ne se posaient-elles pas avant la pandémie ? Elles se posaient, mais pas de façon aussi urgente. Les personnes qui viennent depuis le confinement ne se sentent pas alignées, pas heureuses. Avant le printemps, j’avais des demandes de dirigeants qui cherchaient à mieux accompagner leurs équipes. Aujourd’hui, l’écrasante majorité concerne des changements de parcours.

À quoi aspirent ces candidats au changement ? À la liberté. Ils veulent enfin réaliser ce dont ils ont envie. J’ai pas mal de demandes qui tournent autour des métiers manuels. Ce qu’on recherche aujourd’hui, c’est le concret et le sens.

Quel est le profil type ? Il n’existe pas ! Ceux qui sont venus à la faveur de la pandémie ont de 28 à 55 ans. Des hommes, des femmes. Des salariés qui sentent que la boîte qui les emploie ne va pas bien et qui prennent les devants, d’autres dont l’entreprise va bien mais qui ne la supportent plus, et, chose nouvelle depuis la Covid, de plus en plus d’indépendants en quête d’emploi salarié.

Comment l’expliquez-vous ? Dans certains secteurs, l’arrêt de l’activité a été violent et a plongé les gens dans un grand sentiment d’insécurité. En visant un emploi salarié, ils cherchent à atteindre une stabilité dont ils n’ont jamais pu profiter.

Le salarié envie le frisson de l’indépendant. L’indépendant aspire à la sécurité du salarié… Finalement, la pandémie ne donne-t-elle pas surtout envie d’avoir ce qu’on n’a pas ? C’est un peu ça, oui ! Et c’est tout à fait normal : le confinement a changé le contexte dans lequel chacun était plongé, et nous a conduit à réfléchir. Pendant le confinement, nombreux sont ceux qui se sont retrouvés face à eux-mêmes avec du temps pour penser. Une situation qui, normalement, n’arrive jamais dans la vie active ! Ce changement brutal a été propice à la réflexion et aux prises de décisions définitives. Les gens ont décidé d’arrêter de tergiverser, et de ne pas remettre sans cesse à demain leur projet de reconversion sous prétexte de garder leur confort. La quête de sens est passée au premier plan.

On a l’impression que les jeunes générations sont plus concernées par cette quête de sens que quadras et quinquas. C’est aussi votre sentiment ? Pas du tout. La quête de sens touche tout le monde. Seulement, il est plus facile de l’écouter quand on n’est pas installé dans la vie et qu’on n’a pas d’enfant.

Existe-t-il un moyen d’évaluer son projet ? Une façon d’être certain qu’on fait le bon choix en changeant de métier ? Il n’en existe pas. Chaque histoire est particulière. C’est justement ce que j’aime dans mon métier. Je ne suis pas experte. Je ne suis pas coach de la performance. Je suis là pour accompagner un cheminement. Mon travail vise à rendre les gens autonomes. Malgré tout, je peux donner le conseil suivant : si un métier vous attire, passez du temps avec quelqu’un qui l’exerce, observez-le, interrogez-le, et mettez vos sentiments en balance avec le métier que vous voulez quitter. Parfois, on croit être lassé par son travail, alors que c’est le management qui est en cause, et non le métier lui-même.

Avant de conseiller les autres, avez-vous expérimenté vous-même une reconversion ? Oui. J’ai toujours voulu exercer ce genre de métiers. J’ai depuis toujours des prédispositions pour l’analyse des relations interpersonnelles. Mais je suis fille d’ingénieur, et pour un ingénieur, la psychologie et la sociologie ne sont pas de vrais métiers. Un vrai métier, c’est forcément avec des chiffres. Alors j’ai étudié la finance et commencé une carrière dans de grandes entreprises. J’y ai rencontré des gens brillants et vécu des années riches intellectuellement.

Quel fut le déclencheur ? Une amie d’enfance a été emportée par un cancer à même pas 40 ans. Je me suis dit que je ne pouvais pas continuer comme ça. Qu’il me fallait faire ce pour quoi je me pensais faite. Ça n’a pas été évident de prendre ce risque. J’ai une fille lourdement handicapée et mon métier d’alors m’offrait la stabilité et les horaires adéquats pour m’occuper d’elle. Mais finalement j’ai bien fait. J’ai un métier qui me passionne, je dispose du temps dont j’ai besoin pour ma fille et pour mes engagements comme bénévole. Cela m’offre l’équilibre que je recherchais, ce qui n’est pas chose facile quand on est, comme moi, routinophobe, slasheuse et questionnophile !

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