Interview

Esthétique de l’éolienne

Rédaction : Sébastien VAISSIÈRE,
le 7 mai 2022
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Si l’esthétique est le grief le plus fréquemment opposé à l’installation d’éoliennes, c’est que leur surgissement dans le paysage bouscule notre approche séculaire du paysage. Nous avons demandé à Julien Delord, enseignant-chercheur en histoire et philosophie de l’environnement à Toulouse et Albi, si nous allions finir par nous y faire.

 

Comment le rapport que nous entretenons avec le paysage s’est-il forgé ?
La notion de paysage est apparue dans l’histoire avec les peintres de la Renaissance puis avec ceux du XIXe. À travers le regard des peintres romantiques s’est installée une vision idéalisée du paysage rural, imposant une lecture morale du travail des champs. Les impressionnistes ont par la suite imprimé en nous l’idée d’un paysage agricole diversifié et productif mais emprunt de valeurs positives. C’est l’idée même de ce paysage que bouscule l’arrivée des éoliennes.

Pourquoi les éoliennes nous font-elles cet effet ?
Depuis la révolution industrielle, l’énergie est abondante et sa production invisible, concentrée dans des raffineries, des centrales à charbon, à gaz, au fuel ou nucléaires. En Occitanie, à part les riverains de Golfech et des barrages hydrologiques pyrénéens, personne ne constatait jusqu’à présent dans son environnement une trace visible de production d’énergie. Avec les éoliennes et l’agrivoltaïsme, tout d’un coup, la production d’énergie devient visible. Ceux qui luttent contre le nucléaire et les énergies fossiles les accueillent avec plaisir. Ceux qui préféraient consommer l’énergie sans s’en préoccuper et sans supporter le spectacle de ça production réagissent à l’inverse.

Finirons-nous par nous y faire ?
Les éoliennes sont productives mais leur gigantisme pose souvent problème. Elles sont souvent considérées comme trop grandes par rapport aux repères habituels du paysage, grands arbres ou les clochers. Ce décalage entre échelles crée un hiatus esthétique. On sait malheureusement que plus une éolienne est grande et plus elle est rentable et efficace. Les lois de la physique nous obligent à faire avec.

Pourquoi ne pas les camoufler ?
Je traverse parfois la Beauce en voiture. On voit depuis la route des éoliennes qu’on a tenté de modifier pour les dissimuler. Certaines sont peintes en vert, d’autres sont rayées. Ça ne rime à rien. C’est encore plus laid, encore plus faux que les autres. Il faut les voir comme des engins industriels et convertir notre regard. Apprendre à apprécier leur esthétique propre, et cette matérialisation dans le paysage des flux d’air qui nous étaient jusqu’alors invisibles. Cela ne signifie pas qu’il faut cautionner automatiquement l’implantation à marche forcée des éoliennes.

C’est-à-dire ?
Les éoliennes industrielles génèrent des nuisances (sonores, écologiques, pour la biodiversité) et participent d’un système extractiviste et capitaliste problématique qui dépossède aussi les populations de leurs choix démocratiques. C’est seulement dans la mesure où les exploitants des éoliennes gèreraient ces nuisances au mieux dans l’intérêt des habitants humains et non-humains locaux, et respecteraient les décisions des populations locales, en termes d’implantation et de financement, qu’il me semble opportun de reconsidérer notre appréciation esthétique à leur égard.

Constater l’impact sur le paysage de notre consommation d’énergie peut-il nous inciter à consommer moins?
C’est le sens des initiatives de sensibilisation à la consommation d’énergie. En prenant conscience de ce qu’on consomme, on devient plus sobre. Aussi bien en voyant sa consommation défiler sur l’écran de son compteur Linky qu’en apercevant un champ d’éoliennes au bord de la route. C’est une prise de conscience nécessaire : qui sait que lorsqu’il branche un grille-pain, l’énergie qu’il consomme est supérieure à celle que l’homme le plus fort du monde est capable de fournir ?

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