Yannick Jauzion a toujours gardé un pied dans le monde agricole. Même au plus fort de sa carrière rugbystique. Trois-quart centre phare du Stade Toulousain et du XV de France des années 1990, celui que ses coéquipiers surnommaient « le Platane » partage aujourd’hui son temps entre la vice-présidence du Graulhet et ses champs de ginseng. Rencontre avec ce géant discret.

Au milieu des 300 brebis de la ferme de ses parents à Vénès, dans le Tarn, Yannick Jauzion est à la maison. La carrure est massive, le regard doux, l’échange facile. Ici, il s’est toujours senti libre. « Quand j’étais jeune, j’aimais jouer dans la nature et profiter de l’espace à la ferme, et des tracteurs ». Pas de télé, si ce n’est pour regarder les matchs de rugby avec son père puisque les copains du village, eux, préféraient le foot. Porté par cette passion complice, il intègre l’équipe de Graulhet à 7 ans, avec tout de même quelques appréhensions : « On me parlait d’école de rugby… Donc au début, je ne voulais pas y aller parce que je pensais que c’était comme l’école. » L’école justement, ce n’était pas vraiment son truc. Encore moins les rentrées, « difficiles parce que j’étais bien en vacances à la campagne ». Sa campagne, il va la quitter sans jamais oublier d’y revenir.
Les premières escapades se font avec ses copains rugbymen de Graulhet pour participer à des tournois dans toute la France. Un âge où les trajets en bus comptent plus que la destination. Mais en junior, les choses sérieuses commencent. Face aux grandes équipes françaises, le SC Graulhet se prend quelques « raclées ». Il en faut plus pour décourager celui qu’on appellera plus tard « le platane » en référence à sa solidité, sa puissance et son humilité. À 18 ans, il intègre l’équipe 1 de Graulhet. Puis, sur les conseils de ses entraîneurs, il accède à la première division à Colomiers. Après deux saisons, alors que le rugby commence à se professionnaliser, il rejoint le Stade Toulousain avec qui il remporte à trois reprises Coupe d’Europe et le Top 14. Il y décrochera sa place en Équipe de France pour la Coupe du monde de 2003 suivie par 72 autres sélections.

Sur son tracteur, dans la ferme familiale.
Respiration
Poussé sur le devant de la scène, le colosse d’1,93 mètre se fait pourtant discret : « Certains étaient à l’aise pour dévoiler leur jardin secret. Moi, ce n’était pas ma tasse de thé. » Ce qui compte pour lui, c’est d’« être bon sur le terrain ». Et bon, il l’a été. Élu meilleur international français (2004 et 2005), meilleur joueur du Top 16 (2005), meilleur joueur français du championnat (Oscar du Midi Olympique 2005), désigné meilleur centre du monde par l’IBR (2005). Des titres, à en perdre la tête. Et pourtant, le Platane n’a rien perdu pas même son humilité : « J’ai été éduqué dans un milieu agricole, avec des valeurs simples. J’ai gardé le lien avec ma famille, mes amis, mes racines. Ça m’a permis de garder les pieds sur terre. »
Ses études d’ingénieur agronome à Purpan ont contribué à garder ce recul et à faire preuve de détachement. « Côtoyer des jeunes qui n’avaient rien avoir avec le rugby, ça m’a fait du bien et m’a permis de garder l’esprit ouvert. »
En 2013, après avoir porté pendant 11 ans les couleurs du Stade Toulousain, il met fin à sa carrière sportive : « il faut savoir s’arrêter quand le corps le demande. Même si j’ai pris beaucoup de plaisir, c’est aussi beaucoup de pression et de concessions. Et puis sur la fin, il faut redoubler d’efforts pour garder le niveau ».
Comme les autres il connaît le contrecoup de la fin de carrière, sans pour autant chercher ailleurs l’adrénaline que lui procurait le rugby de haut niveau. Au contraire, il s’oriente vers la médecine alternative, à l’écoute de sa respiration et de ses émotions.
Aligança
Chez Yannick Jauzion, tout est question de racines. Un de ses secrets réside dans les vertus de la racine de ginseng, plante médicinale asiatique vitalisante qui renforce les fonctions cognitives. Elle a été sa fidèle alliée tout au long de sa carrière. En 2010, quatre ans avant de quitter le Stade, il s’associe avec des amis et lance les Jardins d’Occitanie, la première production française de ginseng. Il n’a cessé de la cultiver cette alliance entre rugby et agriculture, jusqu’à la concrétiser avec Aligança, (alliance en occitan), sa cuvée de gaillac sortie en 2005 de la cave de Labastide-de-Lévis : « Il y a beaucoup de relations entre l’agriculture et le rugby. Nombre de rugbymen pro et amateurs travaillent dans le milieu agricole. Il faut dire qu’il y a toujours eu une notion de force dans ce métier. Et puis, on partage des valeurs : le courage, la patience, l’humilité, les difficultés liées à la météo sur le terrain comme dans les champs. Et bien sûr le collectif. Parce même si on est seul dans son exploitation, il y a énormément d’entraide. »
Sa maîtrise de l’agronomie couplée à ses qualités humaines et sa notoriété ira jusqu’à éveiller l’intérêt des politiques. En 2021, Carole Delga lui propose de la rejoindre sur sa liste Occitanie en Commun dans le Tarn pour les élections régionales. « L’idée de faire le lien entre la Région et le local pour faire avancer les projets me plaisait. » Même si ses activités agricoles et politiques lui prennent une grande partie de son temps, l’ancien international n’en a pas pour autant tourné le dos à ses premières amours. Avec Graulhet, dont il est vice-président et où il accompagne jouer son fils Lilian, il met un point d’honneur à transmettre son expérience : « Avec la Coupe du monde, il va y avoir plus de jeunes intéressés par le rugby. C’est important que ceux qui encadrent le fassent avec sérieux et plaisir ! » Un retour aux sources du rugby qui sera bientôt suivi d’un retour aux sources familiales, puisqu’il compte reprendre prochainement la ferme de ses parents. Heureux qui comme Ulysse…