Portr'interview

L'autre Dupont

Rédaction : Sébastien VAISSIÈRE,
Photo : Rémi BENOIT,
le 24 octobre 2023
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Derrière chaque grand homme, dit-on, se cache une grande femme. Pour la superstar du rugby Antoine Dupont, c’est plutôt un grand frère. Un frangin bonhomme, protecteur et enraciné, qui pue le Sud-Ouest autant que son cadet pue le rugby. L’aîné des Dupont nous a reçus en pleine Coupe du monde, entre la métairie-auberge familiale de Castelnau-Magnoac qu’il vient de rouvrir avec son frère, et les parcours herbus où paissent ses cochons noirs. 

Les paysans sont rarement des gens d’intérieur. Clément Dupont n’échappe pas à la règle. On comprend vite ce qui le met à l’aise : un terrain de rugby, une forêt, un jardin, un pré avec des mirandaises, n’importe quoi pourvu que l’air circule et que la vue soit dégagée. Il se souvient qu’enfant, à la maison, à peine passée la porte, il cherchait sur-le-champ une excuse pour sortir. Il raconte que le week-end, il se levait à l’aube avec ses oncles et son grand-père, pour courir les bois, chasser ou ramasser des champignons. Dans la famille, aucun des enfants de sa génération ne partageait son goût des grands espaces et des petits matins. Pas même son frère : « Antoine, vous savez, dès qu’il faut se lever… » 

S’ils ne partagent pas la même conception de l’heure optimale du réveil, au moins les frères Dupont sont-ils d’accord sur l’essentiel. D’accord d’abord sur le rugby. La passion a longtemps dévoré Clément, passé deux ans avant Antoine (et son coturne Anthony Jelonch) par l’époustouflante section rugby du lycée agricole de Beaulieu-Lavacant d’Auch, jumelée au FCAG, club phare de la préfecture gersoise. Cadet et junior brillant, il a connu une belle carrière à Lannemezan et Castelnau, avant de raccrocher les crampons à la fin de la saison dernière.

Chez les Dupont, visiblement, c’est chacun sa raquette.

Chez les Dupont, visiblement, c’est chacun sa raquette.

D’accord aussi pour inscrire leurs destins dans l’histoire familiale, d’agriculture et de restauration mêlée. Côté paternel, on était aubergiste depuis le XVIIIe siècle. La fermeture de l’hôtel familial de Castelnau en 2012 a mis un terme à cette tradition. L’établissement était adossé à une ferme dont la métairie, changée en hôtel-resto estival et espace de réception dans les années 1980, était le lieu où les familles du coin célébraient les anniversaires, les mariages, les baptêmes, et organisaient tout ce qui réclamait un peu d’espace et de folie. C’est ce grand lieu de fête que les deux frères ont rouvert cette année pour y recevoir séminaires, groupes et réunions familiales.

Dans la salle de réception du Domaine de Barthas

Dans la salle de réception du Domaine de Barthas

D’accord enfin pour revendiquer partout leur pédigrée rural et leur attachement à la terre : Clément en s’associant avec leur oncle Jean-Luc Galès sur la ferme familiale (porcs noirs, vaches mirandaises, céréales) ; Antoine en usant de sa notoriété pour faire la promo du mode de vie sud-ouest, des produits paysans et des gens qui les font. Et ça marche… même quand il n’est pas là : en juin, une équipe de télé néo-zélandaise a tourné chez les Dupont un épisode de la série documentaire Lost in France, dans laquelle les deux anciens rugbymen maoris Carlos Spencer et Matua Parkinson explorent l’hexagone. « Comme Antoine n’a pas pu être avec nous, raconte Clément, ils ont décidé de consacrer l’émission au noir de Bigorre. Les Néo-Zélandais sont des gens de la nature. Ils connaissent bien l’élevage. Ce cochon des Pyrénées, ça les a passionnés. À midi on a fait une grillade, et les mecs sont repartis contents ! » Contrairement à eux, comme nous sommes venus parler Sud-Ouest avec Clément et pas rugby avec Antoine, nous n’aurons pas besoin de changer d’angle en cours de route.

Clément Dupont

Quels souvenirs gardez-vous de l’hôtel de vos grands-parents ? 

Des images de joie et de foule. Avec mon frère, on passait beaucoup de temps en cuisine. On grignotait des trucs au passage. On s’amusait comme des fous. On était les rois.

L’idée de devenir cuisinier ne vous a-t-elle jamais effleuré ?

J’ai toujours eu plaisir à goûter, à passer du temps à table, à apprendre des recettes. J’ai commencé à goûter les vins à 10-12 ans. J’adorais ça. Mais je ne me suis jamais dit que je pourrais en faire un métier. 

De quel métier rêviez-vous ? 

Je voulais être ornithologue. L’ennui c’est que je n’aimais pas l’école, et que la passion du rugby a été plus forte que les oiseaux. 

Est-ce le rugby qui a guidé vos études ? 

En partie. Ici, le rugby, c’est important. Il influence l’existence. Il façonne ce que vous êtes. Après le collège, j’ai foncé au lycée agricole d’Auch parce que le niveau de l’équipe était excellent. 

Dans la maison familliale de Castelnau-Magnoac

Dans la maison familliale de Castelnau-Magnoac

Comment les Gersois ont-ils accueilli le jeune haut-pyrénéen que vous étiez ? 

Fraîchement au début. Pour eux, les Hautes-Pyrénées, c’est des montagnards, des mecs forcément bourrus, bourrins, limite consanguins. Mais c’est vite passé, parce que le monde paysan et le rugby nous rapprochaient.

Les deux sont-ils à ce point liés ? 

Bien sûr, c’est même la corrélation parfaite. Il y avait plein de fils de paysans au lycée. Tous de très bons joueurs. Ça tombait bien : on ne pensait qu’à jouer au rugby. La classe, ça passait après, même si ça agaçait la CPE ! Au fond, elle avait raison : on a été champions de France des lycées agricoles, mais mon année de terminale a été catastrophique.

Qu’est-ce qui vous plaisait tant dans le rugby ? 

Le côté compliqué de la règle. La technicité du maniement du ballon ovale. La beauté de la passe. Le plaisir de l’évitement. J’ai toujours joué 9 ou 10. Je ne prends pas beaucoup de plaisir dans l’affrontement ou la défense. Autant mon frère aime tout faire sur le terrain, autant moi… Bon, et après, ce qui me plaisait surtout, c’était de passer du temps avec les copains. Mes meilleurs amis, je les ai tous connus au rugby. 

Pourquoi avoir arrêté ? 

Pour donner un peu d’air à mon emploi du temps. Et puis, même si le plaisir est encore là, celui de la gagne disparaît. Mais je reste au club comme vice-président. C’est important. Ça fait partie de la culture sud-ouest, de ce besoin de transmettre.

Clément Dupont

À quel âge avez-vous pris conscience que cette culture méritait d’être transmise ?

Je ne m’en suis pas vraiment aperçu, mais un jour, on arrête d’avoir des scrupules. Jusqu’à un certain âge, tu ne revendiques pas trop de connaître des chants pyrénéens en patois, d’aller à la chasse ou à la pêche. À Garaison, au collège, il n’y avait que des Toulousains. Avec eux il valait mieux connaître les marques à la mode que de savoir chasser la palombe. Pareil pour mon frère. À l’école, quand il fallait donner la profession des parents, il écrivait restaurateur plutôt qu’agriculteur. Paysan c’était synonyme de mec pas très élaboré, pas très instruit, pas ouvert d’esprit, et surtout pas moderne. Et comme le Sud-Ouest est très rural, il était victime du même genre de préjugés. 

Aujourd’hui au contraire, le rural sud-ouest a la cote. Les marques jouent la carte du béret et du Sud-Ouest pour séduire…

Ça m’amuse parce que le béret, c’est quand même très connoté. Moi, je le mets l’hiver pour travailler parce que c’est confortable, mais je ne me vois pas aller à Castelnau avec. Encore moins à un match du XV de France.

Ce hors-série vise à trouver une définition du Sud-Ouest. Quelle est la vôtre ? 

C’est juste une façon d’aimer vivre avec les autres. Plus exactement un mode de vie qui ne peut pas exister sans les autres. Un bon repas tout seul, ça n’a pas de sens. Un bon vin seul, pareil. Voir une corrida, chasser la palombe aussi. Jouer au rugby, j’en parle même pas ! Tout ce qui nous plaît dans le Sud-Ouest n’a d’intérêt que si on le fait avec des gens qu’on aime. 

Ce qui plait dans le Sud-Ouest est aussi sur la sellette. Corrida, élevage, chasse… ont de plus en plus de détracteurs. Ça vous inquiète ? 

Une société qui évolue n’est pas une menace. L’histoire n’est faite que de ça : des transitions entre deux époques. J’essaie d’être dans la vérité de ce que mes parents et mes grands-parents on fait de moi. Je n’ai aucun problème avec ces passions du Sud-Ouest, et je fais tout pour les transmettre. C’est ce qui me plaît dans le contact avec les gens à Barthas. Les clients que je reçois posent beaucoup de questions sur l’agriculture, l’élevage des cochons, la vie dans les campagnes. Bien sûr, il y a un phénomène de reconsidération de l’animal dans la société. Avec le noir de Bigorre, on a instauré un mode de vie favorable, agréable pour nos animaux, avec un impact très faible sur l’environnement. Et même si voir un de mes cochons partir à l’abattoir est toujours un crève-cœur, je ne me défausse pas sur la finalité : je ne m’excuse pas d’être au sommet de la chaîne alimentaire.

Et demain ? 

Il faut voir le bon côté des choses. Le mode de vie du Sud-Ouest, surtout dans les campagnes, a tout pour s’intégrer dans les problématiques de demain. Même le porc noir, qui est de souche méditerranéenne, s’adaptera peut-être très bien à la hausse des températures. Je suis persuadé qu’on aura notre place. Le Sud-Ouest a encore de beaux jours devant lui.



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