Le 19 juin 2022, il troquait son costume de militant du DAL (Droit Au Logement) contre celui de député de la Nupes. Un peu plus d’un an après avoir fait son entrée dans l’hémicycle, François Piquemal fait le bilan d’une année de vie de parlementaire et nous confie ses espoirs de voir Toulouse basculer à gauche lors de la prochaine élection municipale.
À condition de réussir l’union…

Comment allez-vous un an après avoir fait votre entrée à l’Assemblée nationale ? Très bien, même si de mémoire de parlementaires, rarement une année aura été aussi mouvementée entre la réforme des retraites, la nouvelle configuration politique, la crise dans les banlieues, l’inflation, le conflit en Ukraine, etc.
Qu’est-ce qui vous a le plus surpris ? L’attente qu’il peut y avoir à notre égard. Elle vient de loin pour notre famille politique. Beaucoup de gens nous ont dit : « C’est la première fois que l’on gagne une élection ». Je ne m’attendais pas à cette fierté d’avoir des représentants de LFI-Nupes. La Nupes représente encore un immense espoir pour ceux qui ne veulent pas se résoudre à un duel Macron-Le Pen.
Quel accueil avez-vous reçu à votre arrivée ? Le groupe LFI qui était jusqu’alors composé de 17 députés, a été un peu débordé par l’arrivée massive (75) de ces nouveaux élus qui pour la plupart étaient des militants de longue date et pas prédestinés à devenir députés. Un apprentissage accéléré a donc été nécessaire pour comprendre le fonctionnement de l’Assemblée nationale. Parce que les textes de lois sont arrivés très vite, notamment sur les questions budgétaires.
Un changement de monde ? Complètement. Le lendemain de mon élection, j’étais de surveillance de bac au lycée pro du Mirail quand je reçois un appel de la préfecture me demandant de venir signer l’arrêté qui stipule que j’ai été élu. Une fois arrivé sur place, j’apprends que je dois être à l’Assemblée nationale le lendemain. Je ne l’avais pas anticipé. J’ai pris le train de nuit, le seul qui restait. En arrivant sur place, dans cette sorte de musée parisien, avec les dorures, les huissiers habillés avec des tenues assez folkloriques, j’ai en effet eu l’impression de changer de monde.
Quel était votre état d’esprit ? J’ai du mal à réaliser. Il n’y a pas de transition entre le petit prof candidat en campagne depuis un an et l’élu. On a d’ailleurs, mais je m’en suis rendu compte a posteriori, continué la campagne tout l’été parce que l’on voulait montrer dès le départ aux gens qui nous avaient élu que l’on serait présents et que l’on tiendrait nos engagements.
Beaucoup de choses ont été dites sur l’ambiance délétère qui règne à l’Assemblée nationale. Votre avis ? L’ambiance a de suite été assez électrique ce qui est compréhensible vu le rééquilibrage des forces en présence. On dit beaucoup que c’est à cause des Insoumis mais n’importe quel observateur vous dira qu’il y a des invectives de toutes parts. La tripartition a crispé dès les premiers temps le gouvernement et sa minorité présidentielle. Je crois que c’est également dû au lieu en lui-même : l’Assemblée nationale est un espace exigu, comparable à une salle de théâtre, où tout est fait pour l’oralité, et où vous pouvez vous laisser facilement entrainer dans des phénomènes de groupe. Mais cela a toujours existé.

Sur les bancs de l’Assemblée nationale © DR.
Est-ce à dire que c’est inévitable ? La manière dont s’est construit le débat sous la Ve République permet d’exprimer la conflictualité. Et la conflictualité, c’est démocratique. La question est de savoir comment on règle cette conflictualité de manière pacifique. La politique est là pour ça, mais c’est aussi la raison pour laquelle on milite pour une VIe République. Quand on voit que la participation politique est, à part pour la présidentielle, en-dessous de 50 %, cela pose un problème de légitimité démocratique. Il faut donc réfléchir à un nouveau système qui permette aux gens de se sentir mieux représentés si l’on veut éviter la violence et la frustration légitime. Quand on voit que pendant des mois des millions de gens se sont mis en grève contre la réforme des retraites sans qu’à aucun moment on n’ait l’ombre d’une discussion sérieuse qui s’engage…
Le président de la République hué par un stade de rugby pour l’inauguration de la Coupe du monde de rugby, qu’est-ce que ça vous inspire ? Qu’il ne pouvait pas en être autrement. Tous les présidents étaient impopulaires mais il y a quelque chose chez Macron qui crispe, dans sa manière de faire de la politique, de ne jamais faire de compromis, de donner l’impression d’être au-dessus de tout le monde.
Revenons à vos premiers pas à l’Assemblée. Quelle ligne de conduite vous étiez-vous fixée ? Il y a une phrase de NTM qui dit : « Représenter les siens quand on n’a rien, c’est déjà quelque chose. » C’est un peu mon état d’esprit : être à la hauteur du travail fait par les militants et de la confiance des habitants, en portant les dossiers locaux, notamment sur la rénovation urbaine. Mon souci est d’être le plus proche possible des gens. Il y a des députés qui se spécialisent dans le juridique, d’autres sur leur circonscription. C’est mon cas. Ma ville c’est Toulouse, je vais à Paris pour exercer mon mandat mais dès que je peux je rentre ici.
Qu’est-ce qu’un bon député ? Déjà d’être à l’écoute des habitants. Tout part de là. Les gens n’ont plus personne pour les écouter. Avoir de l’empathie, cela peut paraître peu de chose mais c’est beaucoup pour certains. Notamment face à la fracture numérique qui touche beaucoup de personnes.

Avec François Ruffin
Le PS a voté un moratoire sur sa participation aux travaux de la Nupes dans l’attente de « la construction d’un nouveau cadre commun ». Certains disent qu’elle est morte. Et vous ? Malgré les différends actuels, je suis toujours un fervent défenseur de l’union. Et je ne cesserai jamais d’œuvrer à ça. Dans un mouvement politique, il y a forcément des différences mais les circonstances actuelles nous obligent à travailler pour l’union. Parce qu’elle était attendue par de nombreuses personnes de gauche. Après il faut que tout le monde fasse un effort parce que l’union, c’est un effort constant. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle Mélenchon nous a demandé, lors de la création de la Nupes, de jeter nos rancunes à la rivière.
N’est-ce pas une alliance contre-nature ? Je ne le crois pas. Mais la Nupes, on ne peut pas décider d’y participer au gré des élections. Parce que si l’on veut incarner une véritable opposition au binôme Le Pen-Macron, nous devons nous inscrire dans la durée. Pour les échéances européennes, par exemple, on a proposé aux Verts la tête de liste. C’est à eux de s’avancer pour créer l’union.
Localement, certains ont fait d’autres choix que la Nupes. Les comprenez-vous ? Le chemin qu’ils prennent n’a pas d’issue à mon avis, ni pour eux, ni pour la gauche, ni pour le pays. Si la gauche faisait toute rassemblée 60 % à chaque élection présidentielle, je veux bien que l’on se paie le luxe de la division. Mais quand on voit ce qui se passe dans le pays, la responsabilité c’est de tout faire pour l’unité. Pas à n’importe quel prix mais avec un programme, une stratégie. Et l’anti-mélenchonisme ne fait pas un programme politique.
On reproche cependant beaucoup à votre parti, LFI, d’être inféodé à un homme, Jean-Luc Mélenchon. Qu’en est-il ? Le mouvement a été créé en vue de gagner l’élection présidentielle de la Ve République. C’est notre grand paradoxe : on veut changer la Ve république mais pour ce faire, il nous faut gagner l’élection majeure. Donc on peut se bercer d’illusions mais on a besoin d’incarnation. Qu’on l’aime ou pas, personne ne contestera que c’est un grand homme politique qui a révolutionné le logiciel de la gauche en France en le sauvant de la dérive de la social-démocratie. Quand on dit qu’il y a une génération Mélenchon, c’est vrai. Il y a énormément de jeunes qui s’impliquent parce qu’il a su parler à leur intelligence.
Le mouvement survivra-t-il après lui ? On n’est jamais à l’abri d’une guerre de succession mais je trouve le mouvement assez uni. Bien sûr il y a des débats internes, mais c’est normal dans un mouvement qui ne cesse de prendre de l’ampleur. On est quand même le plus grand mouvement politique de la gauche à l’heure actuelle.
Revenons à vous. Vous nous disiez recevoir beaucoup de courriers de gens qui souffrent. Parmi les souffrances qui sont exprimées, quelles sont les plus fréquentes ? Des gens qui n’arrivent pas à se loger, des loyers trop chers, des logements insalubres, des gens menacés d’être expulsés, etc. Et à Toulouse, c’est la double peine. On combine un contexte national avec une baisse des logements sociaux ou des APL, et local avec un maire qui refuse de voter l’encadrement des loyers. Dans une ville majoritairement composée de locataires (65%), je propose que nous fassions un référendum et on s’apercevra que la majorité des Toulousains seront pour. Car je rencontre beaucoup de familles de la classe moyenne qui ne peuvent plus se loger à Toulouse. Pas seulement des jeunes ou des femmes isolées.
Vous utilisez beaucoup les réseaux sociaux. Pourquoi une telle stratégie ? Je suis dans l’époque. Si vous voulez faire passer des messages à des gens qui ne lisent pas la presse, il faut trouver d’autres biais. Et aujourd’hui, beaucoup de gens s’informent par les réseaux sociaux. À LFI, c’est quelque chose que l’on a très rapidement compris. En réalité, on n’a guère le choix.
Au risque, parfois, d’agacer, jusque dans votre propre camp, comme quand vous étiez allé passer la nuit sous la tente avec les jeunes migrants ? Avec le recul, je pense que j’ai bien fait. J’étais déjà venu les voir deux fois, la situation ne bougeait pas. À un moment, en discutant avec eux, on a pensé à ça. Je savais très bien, parce que je l’avais déjà fait quand j’étais militant au DAL, que cela allait mettre un point de pression médiatique sur les institutions. Sans prétendre que c’est ça qui a fait changer les choses, trois jours après des solutions étaient proposés. Après toute la question est de savoir si on fait de la communication pour plaire au plus grand nombre ou pour poser des principes politiques que vous savez minoritaires. C’est toujours une ligne de crête. J’ai des principes, idées, valeurs, et je m’y tiens. Je n’ai pas peur d’être impopulaire.
Vous avez démissionné, en fin d’année dernière, d’un conseil municipal où les invectives sont légion. Pourquoi ? Parce que Jean-Luc Moudenc n’a pas fait sa mue de candidat à maire. Il sait que son élection est miraculeuse ce qui l’a conduit, tout de suite, à être dans un mode très offensif, véhément vis-à-vis d’une famille politique dont il sait qu’il est inéluctable qu’elle reprenne le Capitole. C’est pour ça qu’il est déjà en campagne électorale. Car il sait que la partie sera compliquée pour lui.
Quels sont les enjeux à venir pour Toulouse ? C’est ma ville, je l’aime beaucoup, je suis très admiratif de ses habitants et du dynamisme de ses associations. Mais je déplore le manque d’ambition. C’est un peu comme pour le TFC : il faudrait jouer l’Europe et arrêter de jouer le ventre mou. Le mandat de Jean-Luc Moudenc, c’est de se complaire dans des schémas du passé. Que puis-je raconter à mes collègues comme innovation en matière de changement climatique à Toulouse ? Une ombrière au-dessus du Capitole ? On devrait viser d’être en pointe pour la transition écologique plutôt qu’être à la remorque des autres. Il n’y a rien d’irrémédiable mais il faut que la gauche gagne en 2026.
Comment et avec qui ? Tout l’enjeu pour la gauche est de mobiliser son électorat. Après, il faut réfléchir un programme, une stratégie et une incarnation. Mais ça ne se décide pas tout seul dans son camp. À LFI, on essaie d’être moteur dans cette union en lançant, dès cet automne, des réunions thématiques pour écouter ce que les Toulousains ont à dire sur l’éducation, les transports, le logement, l’écologie, etc. Et on va également appeler tous nos partenaires à discuter. Parce qu’il n’y a aucun obstacle programmatique insurmontable sur la ville et la Métropole.
Quelle pourrait être la méthode cette fois ? Que les choses soient claires : il y a une volonté forte chez LFI d’être présente dans les villes où nous avons été plébiscités. Et Toulouse, avec 36% pour Mélenchon au premier tour de la présidentielle, en fait forcément partie.
Le leadership est-il un préalable ? On n’en est pas à ce stade. Mais électoralement, il y a beaucoup de signaux qui font que ce serait logique. Mais dans un premier temps, discutons de la stratégie et du programme. Si l’on commence par l’incarnation, c’est le plus sûr moyen de crisper tout le monde.
À titre personnel, quel rôle comptez-vous jouer ? Je pense et je suis encouragé à être une hypothèse de cette incarnation. Mais je ne suis pas la seule. Des hypothèses d’incarnation, il n’en manque pas. La politique m’a appris l’humilité et la prudence.
Quelles sont les différences entre le militantisme associatif et politique ? En politique, il y a une part de circonstances qui est primordial. Quand j’ai été candidat aux législatives, c’était pour porter les idées de Jean-Luc Mélenchon. Mais je ne m’imaginais pas député. Puis il y a eu la Nupes. Dans le milieu associatif ou syndical, le mérite a une place beaucoup plus importante.
Vous reproche-t-on d’avoir changé de camp ? Il peut arriver que l’on me taquine avec ça. Mais pour tous les camarades qui étaient au DAL, c’est un débouché politique d’avoir l’un des leurs qui est député. Cela veut dire que ce n’est pas réservé aux professionnels de la politique.
Qu’est-ce qui vous permet encore d’y croire ? La fameuse phrase de Gramsci : « Pessimisme de la pensée, et optimisme de la volonté. » L’histoire est un long mouvement composé de phases d’avancée et de recul. Notre rôle en tant que militant de gauche, c’est d’avancer et d’accepter que ce que l’on sème aujourd’hui ne poussera peut-être pas de notre vivant. Chaque pas est important. C’est ce qu’il faut se dire en se levant. On n’a pas le choix, il faut incarner l’espoir. Sinon, qui s’en occupe ?