Comment avez-vous été conduit à établir le lien entre l’alimentation des vaches et la santé humaine ?
Il y a 8 ans, en qualité d’agronome travaillant sur les prairies, j’ai participé à l’évaluation de chercheurs spécialistes de la production laitière. Ils insistaient tous sur le fait que les acides gras contenus dans le lait sont radicalement différents selon qu’on nourrisse les vaches à l’herbe ou au maïs/soja.
Différents ? De nombreuses études prouvent qu’un lait de vache à l’herbe contient beaucoup plus d’antioxydants et de vitamines qu’un lait de vache nourrie au maïs/soja. Même chose pour la viande et les œufs. C’est fondamental de le comprendre : il y a lait et lait, viande et viande, œuf et œuf. Outre la question de l’herbe, ces chercheurs travaillant sur la production laitière soulignaient l’importance de la question des acides gras pour la santé humaine. À la même époque, je lisais des ouvrages sur les rapports entre la composition de nos assiettes en acides gras et les maladies chroniques, par exemple celles du cœur et du cerveau. Justement, un des facteurs explicatifs évoqués dans ces ouvrages était la teneur de nos aliments en acides gras omega_3. Il y avait donc un chaînon manquant dans la recherche, puisque personne n’allait encore de l’alimentation des vaches jusqu’aux maladies humaines. C’est ainsi que j’ai établi le lien entre alimentation des vaches, composition de notre assiette en acides gras, et notre santé. J’ai pris ensuite en compte les antioxydats et les résideus de pesticides auxquels nous sommes exposés.
Quel rôle les acides gras jouent-ils dans notre santé ?
Il faut distinguer les acides gras saturés que tout le monde connaît, et dont l’excès de consommation est délétère, et les omega-3 et 6 (polyinsaturés), indispensables à notre santé. Dans notre alimentation, nous avons un déficit très important en omega-3, et sommes en situation d’excès d’omega-6. Les documents des agences d’État recommandent 1,8 gramme par jour d’omega-3, et les enquêtes montrent que les Français n’en présentent que 0,9 gramme en moyenne. Ce qui signifie que 95 % de la populations française est carencée en acides gras indispensables à leur métabolisme.
D’où vient cette carence ? Je me suis appliqué à montrer dans mes travaux qu’en 50 ans, notre alimentation s’est dégradée de ce point de vue. Et ce, du fait de deux changements majeurs qui ont affecté la composition de notre assiette en acides gras. Le premier est le changement d’alimentation des vaches et des ovins. On est passé d’une alimentation à l’herbe à une dominante de maïs/soja. Conséquence immédiate : une baisse du contenu de notre assiette en omega-3 fondamentaux pour notre métabolisme.
Quid du second changement ? Les huiles. Entre les années 50 et 2000, on a remplacé l’huile d’arachide, à teneur moyenne en omega-6, par l’huile de tournesol linoléique, qui en est extrêmement pourvue. Si les omega-6 sont nécessaires à notre métabolisme, le rapport omega-6/omega-3 doit être inférieur ou égal à 4 pour réduire le risque de maladies chtoniques. Or, il est de 10 chez nos contemporains. Heureusement, les choses changent. On remplace peu à peu l’huile de tournesol par l’huile de colza, plus riche en omega-3 et moins riche en omega-6.
Existe-t-il, en France, des filières intéressantes en matière d’acides gras ?
Il en existe principalement deux. D’une part l’agriculture bio qui, pour ce qui concerne le lait peut faire valoir une alimentation à 80 % à l’herbe. D’autre part la filière Bleu-Blanc-Cœur qui consiste à apporter du lin aux animaux et garantit des teneurs élevées en omega-3. Indirectement, ces signes de qualité nous renseignent sur la teneur en omega-3 du lait. Malheureusement, je déplore qu’on n’ait pas, en France, comme c’est le cas aux États-Unis ou en Europe du nord, un label Vache nourrie à l’herbe.
Pourquoi notre agriculture a-t-elle abandonné l’herbe au profit du maïs et du soja ?
La première raison remonte aux accords commerciaux de l’Europe avec les États-Unis après-guerre. Il a été décidé que les Européens inonderaient le monde avec leurs céréales, et que les États-Unis fourniraient la protéine, à savoir le soja. La deuxième, c’est qu’on est entré à cette époque dans l’intensification de la production agricole, en partie justifiée par l’accroissement de nos besoins. Or, il s’avère que le maïs est l’aliment le plus concentré en énergie, et que le soja est le complément azoté le plus concentré en protéines. Avec des aliments très concentrés en protéines et en énergie, la vache peut manger davantage sans être encombrée. C’est le système le plus adapté à notre modèle productiviste. Le problème est que, outre le fait de poser des problèmes pour santé humaine, ce système a de graves conséquences sur l’environnement.
Lesquelles ? Les pays qui nous fournissent en tourteaux de soja sont le Brésil et l’Argentine. Or, la culture de cette plante occasionne dans ces régions une vaste déforestation. Dès lors, quand on mange de la viande en France, on a de fortes chances de contribuer à la déforestation. De plus, la monoculture du soja nécessite énormément de glyphosate, le fameux Roundup. J’ai calculé que si, en France, on utilise 8 000 tonnes de Roundup pour l’agriculture, on en importe environ 800 tonnes par an via les tourteaux de soja. Et ça, le consommateur l’ignore.
Un modèle d’élevage à l’herbe pourrait-il être viable économiquement ?
Les observatoires montrent que les performances économiques sont meilleures dans les systèmes herbagers. Notamment parce que les charges des éleveurs sont beaucoup plus faibles. Même chose du point de vue environnemental puisque l’usage des pesticides est bien moins important.
Pourquoi, dès lors, ces systèmes ne sont-ils pas davantage mis en valeur ?
Tout simplement parce que ces éleveurs produisent moins de lait par vache, et moins de lait à l’hectare. Or, ces indicateurs sont les seuls qui importent pour nombre d’instances. C’est donc une question d’idéologie. Soit on veut une agriculture de la production maximale, avec un risque d’impact sur l’environnement fort et des revenus faibles, soit on accepte un système qui produise moins mais rémunère mieux l’éleveur et impacte moins l’environnement. Et pour l’instant, ce n’est pas ce denier qui est encouragé par les décideurs et les lobbies.
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