Alternance, si bien que ça ?
- Samuel Wagon
- 4 févr.
- 6 min de lecture
Depuis la mise en place du coup de pouce gouvernemental, l’alternance connaît un franc succès. Alors que ces aides pourraient être rabotées en 2025, Boudu a mené l’enquête pour mesurer la (véritable) efficacité du dispositif.

Quelques semaines en classe puis quelques-unes au bureau, un salaire et des jours de congé, force est de constater que l’alternance a tout pour plaire. Ajoutez-y une aide de l’État jusqu’à 6 000 € à l’embauche et vous obtenez sur le papier un contrat tripartite idéal entre un apprenti, une entreprise et une école. C’est sur ces bases que le modèle a séduit en masse ces dernières années. Les chiffres en attestent : 852 000 contrats d’apprentissage ont été signés en 2023 contre 367 000 en 2019 selon le ministère du Travail, aussi bien dans le privé que dans le public. Un essor impressionnant du dispositif qui fait suite aux 500 000 nouveaux postes d’apprentis créés entre 2019 et 2022. En Occitanie, la dynamique est encore plus marquée avec 73 700 contrats d’apprentissage signés en 2022 (dont 52 % en Haute-Garonne), soit 15 % de plus que l’année précédente (Source : Dreets Occitanie).
Depuis la réforme de l’apprentissage initiée par Emmanuel Macron en 2018 (loi Avenir professionnel), qui a pour ambition de porter le nombre d’alternants au million d’ici 2027, les universités en ont fait leur cheval de bataille.À Toulouse, comme partout en France, les écoles ont misé sur ces formations axées sur la pratique.
« Après trois années de théorie, j’avais besoin de rentrer pleinement dans la pratique. Seule l’alternance pouvait m’offrir cette possibilité. » Titulaire d’une licence de la Toulouse Business School depuis juin 2023, Samuel décide de voyager pendant un an après l’obtention de son diplôme. À son retour, les recruteurs lui font bien comprendre qu’il manque cruellement de compétences. Il décide alors de rouvrir le chapitre de ses études via l’alternance,à la Win Spot School à Labège, où il intègre la troisième année de Bachelor en communication et évènementiel. « C’était impossible de trouver un CDI. Toutes les entreprises exigeaient plusieurs années d’expérience dans ce domaine. Les stages sont souvent peu valorisés, contrairement à l’alternance. Dans mon cas, c’était la meilleure chose à faire ! »
Dans certains corps de métiers, elle est même un passage obligatoire. Tout juste titulaire d’un master de l’Esqese (rattaché à TSM) en Qualité Sécurité Environnement (QSE), Charlène a construit son parcours scolaire autour de l’apprentissage. « À part en école d’ingénieurs, toutes les formations dans cette branche se font en alternance. Le choix a été vite fait ! » Motivée par les problématiques environnementales et les nouvelles méthodes de santé et sécurité au travail, l’ancienne élève de la Toulouse School of Management a surtout pu, grâce à l’alternance et après une expérience d’une année dans une entreprise à Bruguières, conforter son choix de carrière. « C’est un métier qui impose d’être dans l’entreprise pour pouvoir apprendre. »
En attendant un possible renouvellement du dispositif, l’apprentissage termine l’année 2024 en ayant tenu ses promesses en matière d’embauche, confirmant son statut de tremplin vers le marché professionnel avec un taux d’emploi record de 89 %, contre 86 % pour les non-alternants (enquête INSEE 2023 pour l’Apec).
Cap sur l’emploi
L’écart se creuse davantage sur les autres types de contrats : 1 à 4 ans après l’obtention de leur diplôme, 70 % sont en CDI contre 47 % des étudiants issus d’un cursus classique.
Fraîchement diplômé d’un Bac + 5 en ingénierie plasturgie à Alençon, Lucas, originaire du Lot-et-Garonne, a réussi à décrocher le précieux sésame. Apprenti pendant un an au sein de l’équipe nantaise d’Aplicit, intégrateur et créateur de logiciels pour les secteurs du bâtiment et de l’industrie, il a signé son premier CDI à la suite d’un recrutement en interne. « Après ma première année de Master on m’a dirigé vers cette entreprise désireuse de former un alternant dans le but de l’embaucher au terme de son contrat. L’avantage, c’est que je n’ai pas eu besoin de faire une période d’essai, l’alternance ayant joué ce rôle. »
Si de plus en plus de jeunes sont attirés par la formation en alternance, c’est aussi, à terme, pour des raisons financières. En effet, dans son baromètre 2022, l’Association pour l’emploi des cadres (Apec) notait un écart significatif en matière de rémunération. Le salaire annuel médian était estimé à 33 000 € pour les étudiants ayant fait de l’alternance contre 27 000 € pour les autres, sur une base de jeunes diplômés de niveau Bac +5 et plus, en emploi un an après l’obtention du diplôme.
Money money
Mais l’alternance est surtout apparue comme une aubaine pour les entreprises. L’aide de 6 000 € combinée à une exonération des charges salariales jusqu’à 79 % du SMIC en font un dispositif particulièrement attractif, particulièrement prisé des PME et TPE aux moyens limités pour embaucher. Une contrainte financière dont les écoles se servent pour convaincre les entreprises à franchir le pas, parfois à mauvais escient pour Magali Austruy-Baras, fondatrice et présidente de Job For Students à Toulouse. « Il y a une vraie confusion sur les rôles d’un salarié. Il est parfois tentant pour un employeur de se tourner vers un alternant et donc d’économiser une certaine somme par rapport à un salarié. Or ce n’est pas la bonne démarche. »
DRH pendant près de quinze ans, elle a créé sa propre plateforme afin de mettre en relation chaque étudiant avec l’entreprise qui lui correspond. Elle constate qu’« au moins 20 % des contrats sont rompus dans ce genre de situation ». Et de stigmatiser ces entreprises qui, aveuglées par la perspective de dénicher la perle rare à moindre coût, s’exposent à de nombreux risques : accompagnement insuffisant, poste inadapté aux compétences de l’apprenti ou à son manque d’expérience, etc. « Peu d’entreprises ont fait des formations de tutorat. Certains ne savent même pas que ça existe. Beaucoup n’ont pas les ressources nécessaires pour former un alternant. »
Charlène, en a fait les frais. Satisfaite de sa première expérience, elle signe un nouveau contrat de deux ans pour son master, au sein d’un groupe du secteur ferroviaire. « J’appréhendais un peu de travailler dans une aussi grande entreprise mais les trois premiers mois se sont bien passés. Sauf qu’au bout d’un moment, j’avais de moins en moins de missions et j’ai perdu le contact avec mon tuteur. J’ai commencé à m’ennuyer au point de ne plus vouloir aller au travail. Les dimanches soir, j’avais la boule au ventre en songeant au lendemain où j’allais rester sur une chaise à ne rien faire malgré toute ma bonne volonté. »
Elle finit par résilier son contrat au terme de la première année… ce qui ne l’empêche pas d’en signer un nouveau la suivante, cette fois-ci à la hauteur de ses attentes. Aujourd’hui diplômée, l’heure est à nouveau à la recherche d’emploi et à sa grande satisfaction, elle constate que les entretiens se multiplient.
Frustrations
Mais il n’y a pas que chez les jeunes que les déconvenues existent. Côté recruteurs, elles sont aussi légion. Éric, chef d’entreprise toulousain, directeur d’une maison d’édition témoigne : « Ne pouvant pas m’offrir un salarié, j’ai profité de l’aide de l’État pour embaucher une alternante. Malheureusement ce n’était pas adapté au niveau des disponibilités : elle était souvent à l’école lorsque j’en avais le plus besoin. En plus, je ne savais même pas que je devais payer sa formation ! Elle a fait un super travail, certes, mais je n’ai pas réellement tiré de bénéfices de sa présence. » Un exemple qui illustre, pour Magali Austruy-Baras, la nécessité de respecter quelques fondamentaux comme celui de proposer des missions en adéquation avec les compétences du jeune. Pour certains dirigeants, c’est la formule elle-même qui est à remettre en cause comme Olivier Corcoles, fondateur du cabinet de conseil Co-rco, qui regrette un manque de préparation et une faible implication de la part des écoles. « Elles sont très investies jusqu’à la signature du contrat. Après, il n’y a plus personne. »
Et de constater aussi l’inadéquation entre les besoins de l’entreprise et les capacités de l’étudiant : « Le rythme est bien trop dense pour les apprentis. Pour la plupart, ils ne sont pas habitués au monde de l’entreprise. Du coup, les étudiants ont des baisses de régime plusieurs fois dans l’année. Je doute que ce soit la bonne façon de leur faire découvrir le monde professionnel. » Aussi après trois tentatives, il s’est résolu à résilier le contrat de son dernier alternant, en août dernier, pour revenir à la formule plus classique du stage, plus adaptée à ses besoins et gage « d’un meilleur engagement des étudiants au sein de l’entreprise ».
Alors l’apprentissage, miroir aux alouettes ? Peut-être pas, mais l’équilibre entre les aspirations de l’étudiant et les besoins de l’entreprise n’est, de toute évidence, pas si simple à trouver. Et le cap du million d’alternants en 2027 pourrait s’avérer difficile à atteindre…