Rêviez-vous de devenir un grand chef lorsque vous étiez enfant en Algérie ? Certainement pas ! En Algérie, je n’étais pas là-dedans. J’étais plutôt du genre à mettre les pieds sous la table. J’ai connu une belle enfance, insouciante, en bord de mer, dans un village où tout le monde se connaissait. C’est en arrivant à Toulouse que le déclic s’est produit.
C’est-à-dire ? Pour moi, je venais en vacances, c’était l’excitation du voyage. À mon arrivée en France, l’adaptation a été compliquée : en Algérie, j’avais mes repères, mes amis. Je ne voulais pas partir. Ce n’était pas évident de tout laisser. Vu que je n’aimais pas trop l’école, j’ai très vite bifurqué vers le monde de la cuisine.
Qu’est-ce qui vous a attiré dans la cuisine ? Au départ, je ne voyais que le côté artistique de la chose. J’ai toujours vu ma mère ou ma grand-mère reproduire les mêmes recettes. Ce qu’elles préparaient était délicieux mais elles ne prenaient jamais le risque de mélanger des produits. Il y avait des aliments qui n’étaient pas faits pour se rencontrer. Alors que la cuisine française, c’est tout le contraire. C’est ça qui m’a attiré, la liberté, le fait de pouvoir faire ce qu’on voulait. Quand je voyais Joël Robuchon à la télé, je me disais qu’avec la cuisine, on pouvait aller loin. Ce mec-là me fascinait.
Vos premiers pas vous ont-ils tout de suite conforté dans votre intuition ? Le monde de la cuisine m’a passionné d’entrée de jeu. Notamment la hiérarchie : j’ai commencé en écaillant le poisson chez Claude Taffarelo à L’Auberge du Poids public à Saint-Felix-Lauragais. Même si c’était un boulot peu valorisant, j’avais le poste idéal, en fond de cuisine, pour observer son fonctionnement.
Après un bref passage à Paris chez Shinichi Sato au Passage 53, vous ouvrez les P’tis Fayots, à Toulouse, à tout juste 20 ans. Pourquoi si tôt ? Parce que j’avais une telle personnalité qu’il fallait que je m’exprime seul, quitte à me casser les dents. Ma cuisine, c’est moi, ma personnalité. Et j’avais besoin de faire pour progresser.
Vous n’avez donc pas, comme beaucoup de vos confrères, de mentor ? Non. Je ne considère pas tout devoir aux chefs auprès desquels j’ai travaillé. J’ai appris les bases à l’école. Après, mon équilibre et mon style, je les ai trouvés en faisant. Au début, on tâtonne et c’est normal. Je me souviens dans les premiers temps que j’avais trop d’énergie, que je voulais trop m’exprimer, tout mettre dans l’assiette. Du coup, il y avait parfois trop de saveurs ou trop de technique. Mais c’est un passage obligé avant d’arriver à mieux canaliser son énergie.
En dépit de votre jeunesse, vous rencontrez le succès presque immédiatement. Pourquoi ? Parce que c’était nouveau à Toulouse, que j’étais le premier à proposer cette cuisine. Certains disaient de moi que j’avais un peu le cul entre deux chaises : le mec qui veut faire de la bonne cuisine dans un cadre moyen.
N’est-ce pas ce qui a donné naissance à la bistronomie ? Oui, et j’ai, au fond de moi, toujours renié ce terme. Parce qu’il ne veut rien dire. Pour les chefs, c’est un terme génial : ça veut dire que quand c’est moyen, c’est bistrot et quand c’est super bien, c’est gastro. Ça laisse une belle marge de manœuvre !
Vous disiez, lors de l’ouverture des P’tis Fayots, vouloir créer un resto de quartier et proposer une cuisine instinctive. Qu’en est-il six ans plus tard ? Je fais la cuisine que je sais faire mais sans chichi. Après, resto de quartier, c’est quand tu n’as pas les moyens… Concernant ma cuisine, comme je n’avais pas beaucoup de couverts, je me trouvais meilleur dans l’impro. Mais quand on fait de la cuisine instinctive, on n’est pas toujours juste : un jour, c’est bon, le lendemain, moins. Parfois, l’instinct ne vient pas. Et quand c’est moins bien, les mecs ne te ratent pas. Je ne pouvais plus le supporter.
Pour les chefs, la bistronomie est un terme génial : quand c’est moyen, c’est bistrot et quand c’est super bien, c’est gastro.
Dans quelle catégorie faudrait-il vous répertorier aujourd’hui ? Je ne me reconnais dans aucune catégorie. Que ce soit la cuisine traditionnelle, la cuisine bourgeoise ou la cuisine moderne, il faut qu’elle soit bonne. C’est tout. Quand je vais au resto, j’ai envie de bien manger. Je ne me sens pas appartenir à une famille de cuisiniers.
Quel regard portez-vous sur la starification des chefs ? Je me sens différent des autres chefs. Même si j’ai aussi profité de la médiatisation. Je ne suis pas un donneur de leçons. Mais il ne faut pas mélanger son ego et son travail. Le danger, à mon avis, est de prendre la médiatisation pour soi et pas pour son restaurant. Sans ce recul-là, ça peut vite monter à la tête. Or les vrais juges restent les clients.
Et une étoile au Michelin, cela pourrait être un objectif ? Je serais flatté d’avoir une distinction… à condition de n’avoir rien changé pour l’avoir ! Parce que s’il s’agit de s’adapter pour y parvenir, ça ne me dit rien. On n’a pas besoin du Michelin pour réussir. J’en suis la preuve depuis 6 ans. Je gagne très bien ma vie, tout se passe bien. Je comprends Bras qui veut rendre ses étoiles. Déjà que le métier est difficile, s’il faut en plus se torturer la tête avec ça…
La gastronomie peut-elle vivre sans guide ? J’espère et je le souhaite ! Il faut se faire violence pour le croire. Une étoile, ça amène du monde dans un restaurant. Mais en ville, c’est moins important si on travaille bien.
Comment fait-on pour garder un haut niveau d’exigence alors ? J’ai toujours peur que ça s’arrête un jour. J’ai la chance d’être passionné par mon métier. Je suis le mec le plus heureux de la Terre. C’est une addiction. Je ne pourrais pas vivre autrement. Donc c’est à moi d’être bon pour que ça continue.
Et l’aventure va continuer aux P’tits Fayots ? Je n’ai pas d’idée précise de ce que je veux faire à l’avenir, mais ce qui est sûr c’est que j’aimerais mettre le maximum de gens d’accord autour d’une cuisine simple. Dans ma tête, c’est un suprême de pintade cuit à la perfection avec les sucs par dessus et une garniture de légumes. C’est vers ça que j’ai envie d’aller : proposer une cuisine accessible, plus dans le quotidien, à un plus grand nombre. Personne n’a réussi ça à Toulouse. C’est mon challenge.
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