En juin 2016, la mairie adhérait au groupement d’intérêt public (GIP) Cafés cultures avec un objectif : encourager les bars musicaux à se mettre dans les clous en matière de cotisations sociales. « Toulouse est l’une des villes de France où il y a le plus de cafés culturels, justifie Francis Grass, adjoint au maire chargé de la culture. On a une tradition musicale et festive qui permet à de nombreux artistes d’émerger. Mais les débutants ont tendance à travailler au noir : une sorte de marché parallèle risque alors de se créer. » C’est justement pour régler cette question du salariat des acteurs culturels que les syndicats d’artistes et les associations représentatives des cafés, hôtels et restaurants ont imaginé en 2008 le GIP Cafés cultures, une aide à l’emploi artistique financée par les collectivités territoriales. Le principe ? Pour tout cachet d’artiste déclaré au Guichet unique du spectacle occasionnel (GUSO), le bar – qu’il ait ou non la licence d’entrepreneur du spectacle – peut bénéficier d’une prise en charge de 25 à 65 % de la masse salariale, en fonction du nombre d’artistes employés. « On est a l’opposé de la subvention culturelle, estime le président du GIP, Marc Slyper. C’est une aide universelle. Il ne faut pas oublier qu’en France, les 60 établissements qui concentrent le plus de taxes ne font vivre que 20 % des artistes. Pour tous les autres, le réseau des bars est fondamental. »
Le GIP n’a pas de rôle de contrôle. On est dans la pédagogie
À Toulouse, qui compte une quarantaine de bars musicaux, une enveloppe de 50 000 euros a donc été débloquée par la mairie en 2016 et renouvelée pour l’année 2017. Les cafés, par la voix du collectif Bar-bars, saluent « la reconnaissance de ces établissements comme des lieux de culture ». Pour le gérant du Breughel, Yannick Grabot, également membre du collectif, le dispositif permet surtout d’augmenter le nombre d’artistes sur scène : « Le budget moyen d’un bar pour l’organisation d’un concert est de 300 euros (le cachet moyen des artistes en France est de 150 euros charges comprises, ndlr). Avec Cafés cultures, pour le même prix, on peut déclarer quatre musiciens. » Et éventuellement bénéficier d’un technicien, puisque le GIP le permet dès l’instant où deux artistes sont déclarés.
Pour sa première année, le dispositif a ainsi bénéficié à 19 établissements : 239 spectacles ont été subventionnés, 648 cachets d’artistes payés. Ces chiffres honorables peuvent sembler dérisoires au regard du foisonnement de cafés et de bars à Toulouse. Un problème de communication selon certains. Pour mettre toutes les chances de son côté, le batteur Edwin Budon ne rate donc jamais une occasion d’informer ses potentiels employeurs de l’existence du dispositif : « C’est un argument pour les établissements qui ont un petit budget. L’avantage pour nous, c’est qu’on est assurés d’être payés normalement et qu’on n’a pas besoin de réduire nos effectifs. Fini aussi la paperasse que les bars nous demandent parfois de faire… C’est plus rapide, et on joue plus souvent sur Toulouse. »
Rapide et enfantin
Les 19 bénéficiaires (des membres du collectif Culture Bar-bars pour la plupart) ont d’ores et déjà épuisé l’enveloppe et semblent très satisfaits du dispositif. Au Filochard, Adam Shaw souligne « une utilisation enfantine, il suffit de faire la demande sur Internet ». Yannick Grabot, quant à lui, estime avoir plus que doublé le nombre de cachets versés. Surtout, insiste Samia Djitli, la gérante du GIP, « de bonnes habitudes se sont installées, puisque, alors que l’enveloppe initiale a été consommée, les bars continuent à déclarer les artistes, en attendant la nouvelle subvention de la mairie de Toulouse ». Élodie Chenet, responsable d’Ô Boudu Pont à Saint-Cyprien, confirme, un peu inquiète : « Je continue à faire mes déclarations, mais j’ai peur que ça ne soit pas remboursé… » La subvention promise par la mairie devrait arriver dans l’été, et dissiper les craintes des bars sur le côté financier.
Afficher qu’on aide les artistes et indirectement les bars, ça n’est pas très vendeur pour les électeurs.
Mais si tout le monde salue une initiative « bienvenue et méritée », on peut s’interroger sur sa capacité à coexister avec la politique de la mairie en matière de nuisances sonores. Du côté des élus municipaux, on assure que « ce sont deux problématiques dissociées ». Francis Grass admet que « Toulouse est une ville où il faut concilier l’intérêt pour la musique et la tranquillité des habitants », mais met aussitôt en garde : « Le GIP n’a pas de rôle de contrôle. On est dans la pédagogie, dans l’incitation à respecter la législation sur l’emploi. » En clair, à chaque service sa compétence. C’est aussi la position de Samia Djitli, au GIP : « Poser la question des spectacles dans les établissements juste après celle des nuisances sonores est très anxiogène. Il faut repositiver cette question en posant celle de l’attractivité, de la culture de proximité. Les bars jouent le jeu alors que ce n’est pas leur fonction première ! La question des nuisances sonores, c’est une affaire de police, et non une histoire culturelle. »
Cette « affaire de police » peut coûter cher aux établissements, qui ont pour obligation de se mettre aux normes quand ils organisent des concerts. Jean-Jacques Bolzan, adjoint au maire en charge du commerce, ne voit toujours pas le problème : « Dispositif ou non, il faut une étude d’impact pour faire un concert. L’idée est de déterminer, par rapport au voisin le plus proche, jusqu’où on peut mettre les décibels sans empêcher le riverain de dormir. » Mais pour Yannick Grabot, la contradiction est évidente : « Il y a à Toulouse une forme de schizophrénie politique. C’est sans doute compliqué d’afficher qu’on aide les artistes et indirectement les bars. Ce n’est pas très vendeur pour les électeurs. » Les patrons de bars interrogés sont unanimes : qu’ils utilisent ou non le dispositif, la crainte de la police freine l’organisation des concerts. Élodie Chenet a pris des mesures simples : extinction de la sono à 23h en hiver, 22h en été. « Si je devais faire des travaux, je serais obligée d’arrêter les concerts. Je suis plutôt en mode préventif : je réduis de moi-même ce qui peut faire du bruit pour ne pas qu’on m’embête. » Yannick Grabot le déplore : « Ce n’est pas parce qu’on nous aide à payer les artistes que la politique d’hygiène est plus souple. On nous incite à nous mettre dans les clous pour organiser des concerts et on nous en empêche dans le même temps. Il suffit qu’un voisin appelle, et les municipaux se font un plaisir de débarquer. » Même s’il affirme haut et fort que « les gérants de bars doivent être exemplaires », Christophe Vidal, président de l’association Toulouse nocturne, s’interroge également sur « l’ambiguïté des pouvoirs publics » : « On peut difficilement considérer la tradition festive de Toulouse comme un pilier culturel et d’un autre côté être dans la sanction. » Le maire de la nuit 2014 serait même favorable à la mise en place d’une aide supplémentaire pour la mise aux normes des établissements. Pas sûr que les riverains du collectif Droit au sommeil voient d’un bon œil une telle idée. Serge, qui habite à proximité de la place Bachelier, fustige par exemple « les bars qui se conduisent mal et ne tiennent pas leurs clients ». Il se défend pourtant d’être en guerre contre tous les établissements : « Je ne suis pas opposé à ce que, dans une ville comme Toulouse, des bars organisent des concerts. Que la mairie subventionne des contenus culturels, ça n’est pas un souci. Le problème, c’est de donner de l’argent à des gens qui ont eu des ennuis pour tapage nocturne et qui n’ont pas pris les mesures qui s’imposent. » Adam Shaw pourrait être de ceux-là, s’il n’avait pas décidé, après deux fermetures administratives et une restriction sur les horaires, de changer quelque peu son organisation : « J’ai employé deux gars qui veillent à ce qu’il n’y ait pas trop de monde sur la terrasse et personne sur le quai. Les concerts se terminent à 23h et on a installé un régulateur pour le son. » Le patron de bar dit pourtant comprendre la « position délicate » de la municipalité, qui doit « agir sur deux fronts : le confort des Toulousains et l’emploi ». De l’art de ménager la chèvre et le chou.
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