En succédant, le 8 novembre 2019, à Henri Nayrou à la présidence du Conseil départemental de l'Ariège, Christine Téqui devenait du même coup la première femme à occuper une telle fonction dans le département. Une ascension supersonique pour cette ingénieure de formation qui n’a pas plus froid aux yeux qu’aux jambes lorsqu’il s’agit de bousculer les habitudes ou de descendre les pistes.
Lorsque le 21 octobre 2019, Henry Nayrou rend publique, à la surprise (quasi) générale, sa décision de démissionner de son poste de président de l’institution ariégeoise, Christine Téqui sait que son heure est venue. Non pas qu’elle ait échafaudé un plan de carrière de longue date. Mais elle apparaît aux yeux de tous comme la successeuse naturelle de l’ancien patron du Midol pour occuper la fonction. « Elle était présidente de notre groupe, son élection était la suite logique, confirme Henri Nayrou. Et puis elle symbolisait un changement d’époque. » Sous-entendu, la fin d’une domination sans partage des hommes sur le département de l’Ariège. « C’est vrai qu’on était un conglomérat de mecs, reconnaît Nayrou. Mais elle avait un bagage intellectuel qui lui permettait de leur tenir tête, y compris à des vieux renards de la politique. » La politique, Christine Téqui n’est pourtant pas tombée dedans dès la naissance. Son grand-père maternel a certes été adjoint au maire pendant 25 ans dans le Puy-de-Dôme. « Vu que sa maison était attenante à la mairie, le maire était pratiquement là tous les soirs », se souvient-elle avec nostalgie. De là à vouloir l’imiter, il y a un pas qu’elle est alors loin de vouloir franchir : « Ça parlait beaucoup politique à la maison, ça discutaillait autour de l’actualité, on n’était jamais d’accord. Faut dire que ma mère avait été très marquée par le parcours socialiste pur et dur de son père. » Il n’en reste pas moins qu’elle vit l’arrivée de François Mitterrand au pouvoir en 1981 avec moins d’intensité que d’autres : « J’avais beaucoup de potes qui étaient à fond. Moi, moins… » Née en Allemagne d’un père militaire qui fait déménager sa famille en moyenne tous les trois ans, elle est surtout passionnée de sport et de… montagne qu’elle découvre l’été chez ses grands-parents paternels à Seix. « J’ai tout de suite adoré ce sentiment de liberté qu’elle procure, de découverte toujours renouvelée, cette possibilité d’être contemplative, en adéquation avec le milieu naturel. J’ai immédiatement su que je voudrais y vivre un jour. » La jeune femme ne se contente pas d’apprécier les balades familiales sur les pentes ariégeoises. Elle aime aussi participer aux tâches quotidiennes : « L’été, c’était la période des corvées de bois, de la fauche, quand il fallait nettoyer le champ, de la rencontre avec les pâtres, dont on savait que c’était eux qui avaient tracé les chemins que l’on empruntait lors de nos randonnées. C’était le temps des retrouvailles. On se sentait vraiment d’ici. » Pas question, dès lors, pour Christine Téqui, de trop s’éloigner de ses montagnes chéries. Quitte à renoncer à ses désirs d’adolescence : « Jaurais vraiment aimé devenir professeur d’EPS. Mais la perspective de me retrouver à l’autre bout de la France m’était insupportable. » Elle décide plutôt de s’inscrire à l’IUT de génie électrique à Toulouse. Un choix avant tout guidé par le pragmatisme : « Je n’avais pas une idée précise de ce que je voulais faire mais j’avais compris qu’il y avait à Toulouse pas mal de débouchés dans l’électronique entre Airbus, le Cnes, etc. » C’est du reste dans la Ville rose qu’elle va accomplir toute sa carrière, d’abord au sein de la société d’ingénierie Cisi, puis chez Thomson, Alcatel… Et c’est en intégrant le monde professionnel qu’elle va peu à peu s’éveiller à la politique. « Lorsque j’ai intégré Thomson, j’avais un contrat un peu particulier. J’ai donc du batailler pour faire reconnaître mes droits. » Elle prend alors conscience des rapports de force dans l’entreprise et de la nécessité de protéger les salariés. D’abord déléguée du personnel, elle passe ensuite la vitesse supérieure en créant une section syndicale pour être plus efficace : « Toute cette période a renforcé mes convictions et mon désir d’être au service des autres. »
Cette « envie de faire pour autrui » ne va plus la lâcher : lorsqu’elle décide, par exemple, à la naissance de son deuxième enfant en 1997, d’acheter sa propre maison à Seix, elle s’engage immédiatement dans l’association communale qui gère la crèche. « La nature ayant horreur du vide, il fallait que je m’investisse quelque part », reconnait-elle, lucidement. Une initiative qui s’inscrit également dans un processus plus ou moins conscient d’intégration à la vie du village. Car en 2000, la résidence secondaire devient principale. Et le rêve de jeunesse de Christine, à savoir habiter à Seix, devient réalité. « On a fait un choix de vie. Mon mari, qui bossait au CNES, a pu négocier un mi-temps bonifié, ce qui nous suffisait pour vivre en Ariège. Quant à moi, j’étais en congé parental en me disant que je retrouverais bien du travail quand il le faudrait. » Le hasard faisant parfois bien les choses, une opportunité professionnelle se présente chez Altimer, à Betchat : « Un poste comme celui-là, pile dans mes compétences, en Ariège, c’était inespéré ! Mais quelque part, c’est l’histoire de ma vie de saisir les opportunités qui se présentent. » Désormais installée en Ariège, bien identifiée dans le milieu associatif au sein de la commune, c’est (presque) naturellement qu’elle est sollicitée par Jean Laffont pour figurer sur la liste de celui qui ambitionne de prendre la suite de Roger Barrau à la mairie de Seix en 2001. « Je suis partie un peu par hasard… même si je savais très bien où je m’engageais. Les valeurs étaient partagées. » Après un premier mandat « passionnant » où elle s’occupe principalement d’enfance et de jeunesse, elle se voit (déjà!) choisie en 2008 par le premier magistrat de la ville pour lui succéder. « Je ne m’y attendais pas parce qu’en général, les maires font deux mandats. Le fait qu’il ait pensé à moi également, même si on était connectés politiquement. » La décision ne tombe cependant pas sous le sens : « Je bossais, mes enfants étaient jeunes, je venais de me séparer, j’avais des travaux en cours dans la maison… C’était un peu compliqué de tout gérer. » Mais l’envie de « faire » va pourtant tout emporter : « Je trouvais que c’était passionnant de construire. Et puis je me dis toujours que les choses ne se présentent qu’une fois dans la vie… » Un leitmotiv qui va s’appliquer une nouvelle fois lorsque l’opportunité d’intégrer le Conseil général (ancienne dénomination de l’institution départementale, ndlr) se présente en 2011. Et ce d’autant plus que l’heure est alors à la féminisation de l’hémicycle ariégeois. Avec Marie-France Vilaplana, Christine Téqui, devient donc la première femme à pénétrer dans l’enceinte fuxéenne. Une distinction dont elle ne va pas se satisfaire longtemps. L’édile de Seix n’est pas du genre à faire de la figuration. En sortant du canton d’Oust, elle découvre le département et son potentiel. En résumé, le vrai visage de l’Ariège : « Le fait d’avoir parcouru le territoire entre 2011 et 2015 m’a permis de mieux appréhender les dossiers et surtout de prendre conscience de ses forces. Ceux qui hésitent à venir en Ariège considèrent souvent qu’un territoire rural est un territoire vide ou mort. Or ici il y a énormément de projets, aussi bien culturels que technologiques. Idem pour les services. On pense, à tort, qu’il y en a davantage lorsque l’on habite en ville. C’est une vision erronée. »
Avec Augustin Bonrepaux ancien Président du Conseil Départemental de l’Ariège • @CD 09
Animée par cette volonté de tordre le cou aux préjugés, elle décide, lorsque Augustin Bonrepaux démissionne en 2014 de la présidence du CD 09, de présenter sa candidature aux militants PS pour le remplacer, trois ans à peine après avoir intégré l’institution. « Mon intention n’était pas de semer la zizanie ni de déclencher une guerre avec Henri Nayrou », assure-t-elle. Bien que devancée, assez logiquement, lors du scrutin interne par ce dernier, elle est néanmoins choisie par son rival victorieux pour devenir sa première vice-présidente en charge du développement économique. « Le fait qu’elle se présente était pour elle une manière de prendre date pour le coup d’après », éclaire un observateur de la vie politique ariégeoise. Rien ne semble dès lors pouvoir freiner son irrésistible ascension. Au point que personne, dans son entourage, ne semble avoir été surpris par son accession au perchoir de l’assemblée ariégeoise cinq ans plus tard. Pour Alain Servat, maire d’Ustou, qui a succédé à Christine Téqui à la tête du syndicat mixte de Guzet, cette élection est logique tant l’ingénieure n’a pas ménagé sa peine pour y arriver : « C’est quelqu’un de dynamique, volontaire, qui sait ce qu’elle veut. Elle a beaucoup travaillé pour le département. Elle n’est pas arrivée là par hasard. Ni parce que c’est une femme ! » Un avis partagé par Paul Fontvielle, restaurateur à Guzet, pour qui Christine Téqui a fait souffler un vent de fraicheur sur la politique ariégeoise, notamment en raison de ses origines : « En tant que professionnel, on a été très content de ne pas avoir un enseignant à la retraite face à nous, comme c’était souvent le cas en Ariège. Le fait qu’elle vienne du privé, comme Henri Nayrou, a fait du bien. » Et de citer en exemple l’initiative prise, alors qu’elle dirigeait le syndicat mixte de Guzet, de passer la station en régie faute d’avoir trouvé un repreneur convaincant : « C’était un vrai risque mais ça s’est très bien passé parce qu’elle avait conscience que dans une entreprise, les problèmes doivent être gérés instantanément. » Du privé, tous ceux qui ont travaillé avec elle disent qu’elle a conservé une certaine impatience face aux choses qui n’avancent pas suffisamment vite. « Avec elle, il ne faut pas que ça traîne. C’est une grosse bosseuse qui ne se contente pas de s’appuyer sur les techniciens comme d’autres », observe par exemple Alain Servat. La principale intéressée plaide coupable, surtout depuis l’apparition de la Covid-19. « Certains disent subir la période, moi pas du tout. S’il n’y avait pas les souffrances physiques et les décès, je dirais même que j’aime bien la période. Je trouve qu’elle nous a appris tellement de choses, à revoir nos modes de fonctionnement, notre manière de communiquer, à aller vite, à savoir faire une réunion rapide, à savoir être très pragmatique. Parce que globalement, la collectivité a plutôt tendance à déployer du projet à long terme. »
L’inauguration du collège à Lézat • @CD 09
Une évolution qui convient bien à son caractère : « C’est vrai que je suis plutôt dans l’action. Quand je dis que l’on va faire, je n’ai pas toujours la solution, mais je sais qu’on va faire ! » Outre certains talents méconnus, « des gens jusqu’alors en retrait qui se sont montrés d’une combativité exemplaire face à la difficulté », la crise a eu également le mérite, pour l’élue, de révéler que son territoire avait de l’avenir. « Pendant le confinement, 11 000 personnes sont venues travailler en Ariège. C’est bien la preuve que nos territoires ruraux ne sont pas morts. C’est même peut être une grande chance pour nous, même si on aurait naturellement préféré que cela ne vienne pas par la maladie. » Reste désormais à transformer l’essai. L’institution a beau travailler depuis plusieurs années sur l’attractivité du département, sur la marque Ariège, 11 000 personnes qui arrivent d’un coup, ça n’est pas tout à fait la même chose. Consciente qu’il faut désormais changer de braquet, et ne plus « travailler comme avant sur du solo », Christine Téqui vient de signer une convention avec Cap Gemini dans laquelle la collectivité s’engage à tout mettre en œuvre pour développer le télétravail. « Avant crise, on n’aurait peut-être jamais tenté Cap. Avec les accords de télétravail qui se mettent en place un peu partout, la porte d’entrée devient l’entreprise. Donc on bascule sur des jauges plus importants. Et il faut travailler là-dessus. » Jusqu’où ? La patronne de l’Ariège refuse de se fixer des limites. « Trop de biens ne nuit point. En Ariège, on n’a jamais eu à gérer le trop ! Après, on est réaliste et on sait qu’il existe des freins comme le travail du conjoint ou la connectivité. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle je me suis autant engagée sur la fibre. Parce que je suis certaine que l’Ariège verra un jour des gens s’y installer et travailler durablement. » Une chose est sûre, pour Christine Téqui, développer l’Ariège est une nécessité : « En faisant revenir du monde, on redynamise l’économie résidentielle, nos commerces, on repeuple les écoles, il y a tout un cercle vertueux qui se met en place. Bien sûr que le tourisme est important en Ariège. Mais comme toute entreprise doit diversifier ses clients, en tant que collectivité, on doit diversifier nos cibles. Et espérer attirer des entreprises ici n’est pas illusoire. » Rien d’étonnant, dès lors que le concept « d’ensauvagement des Pyrénées » provoque une réaction épidermique chez la présidente du Conseil départemental de l’Ariège : « C’est une vision romantique, une réflexion d’écologiste radical qui n’a pas de sens. Il y a un juste équilibre à trouver entre des vallées vivantes et la haute montagne. Parce que si on met les Pyrénées sous cloche, on n’aura pas tout préservé, on aura tout perdu ! Même du point de vue de la biodiversité. » Et de conclure en rappelant que l’Ariégeois, comme tout bon montagnard qui se respecte, a une sainte d’horreur d’une chose : « Qu’on vienne lui raconter ce qu’il vit tous les jours. » Une manière différente de réaffirmer, comme en juin dernier lorsque l’ONG internationale Sea Shepherd avait offert une récompense à quiconque donnerait des informations sur le responsable de la mort de l’ours à Ustou, que les Ariégeois ne sont pas à vendre.
@Orane Benoit