Le festival BD Colomiers fête ses 32 ans ce mois-ci. Avec ses 180 000 euros de
budget et ses 14 000visiteurs, le rendezvous columérin est loin de rivaliser avec les 200 000 visiteurs et les 4,3 millions d’euros du festival d’Angoulême. Et d’ailleurs, ce n’est pas ce que cherchent ses organisateurs. BD Colomiers ne fait pas la course, et porte un autre flambeau que celui des gros éditeurs et des stars de la bédé.
« Nous n’avons jamais eu l’ambition de faire la même chose qu’à Angoulême » assène Patrick Rouquette. Ce retraité de 70 ans est à l’origine du festival créé en 1987, aux côtés de la librairie La Préface et de Columérins passionnés de bande dessinée indépendante. Dès l’origine, le festival répondait à une vision bien précise : « J’avais mis en place une scénographie, on organisait des expositions. Je voulais créer une activité structurante comme le festival de rue de Ramonville ». Une recette qui fonctionne : en 1998, le salon fait 23 000 entrées – la ville compte alors 28 000 habitants -, un public nombreux venu notamment pour l’exposition consacrée à Jean-Claude Mézières, le dessinateur de Valérian.

Pourtant quelques années plus tard, en 2004, la Mairie décide de confier la direction artistique de l’évènement à Marc Pichelin et au collectif d’auteurs alternatifs albigeois Les Requins marteaux. Ces derniers sont les créateurs du Supermarché Ferraille, critique acerbe et délirante de la société de consommation – chez Ferraille on peut acheter du foie de chômeur ou de la méthamphétamine en conserve.
« J’ai proposé un programme sur trois ans avec pour chaque année une question, détaille Marc Pichelin. La première année, la question était : “Qu’est-ce qui fait rire en bande dessinée ? ” J’ai programmé autour de cette question plusieurs expos (Vuillemin, Musée Ferraille, Lefred-Thouron…) et événements (spectacle et rencontres). »
Mais les élus n’accrochent pas au style des Requins marteaux et la Mairie censure l’affiche du festival. Marc Pichelin finit par dénoncer le contrat. L’expérience s’arrête au bout d’un an et le festival reprend alors une voie plus conventionnelle. Patrick Rouquette reste, lui, en retrait : « Le choix de la programmation des Requins marteaux s’était fait dans mon dos. Pendant quatre-cinq ans, j’ai été mis au placard », se souvient-il. Le festival, alors organisé chaque année autour d’un invité principal, peine à trouver un second souffle et le nombre d’entrées baissent.
En 2020 Charles Burns est aussi à Angoulême mais c’est à Colomiers qu’il expose.
En 2013, Amandine Doche succède à Patrick Rouquette comme responsable du festival : « À cette époque, on ne reconnaissait plus vraiment de ligne artistique, explique la programmatrice. La bande dessinée avait évolué et le festival n’a pas su prendre le tournant ». La comparaison avec Angoulême n’est alors plus vraiment d’actualité : « En 2012, la question de maintenir la manifestation s’est même posée », se souvient Amandine Doche. La nouvelle équipe redéfinit la ligne artistique du salon et convainc les élus de porter un projet fort : « La défense de l’édition indépendante et de la jeune création ». Amandine Doche insiste sur un point : « Nous avons convaincu les élus de mettre une partie du budget dans l’accueil des auteurs ». Ainsi, les frais des invités sont entièrement pris en charge, du voyage à la pension complète jusqu’à la rémunération des dédicaces. Une politique revendiquée par la maire Karine Traval-Michelet : « Si on avait opté pour une manifestation commerciale, on aurait très certainement perdu une partie de notre public », explique l’édile pour qui la place de la collectivité est de s’engager auprès des auteurs dont rappelle-t-elle : « un tiers vit en dessous du seuil de pauvreté ».
Pour Rachel Viné-Krupa de Nada Éditions, basée à Paris, le soutien de BD Colomiers est essentiel à la visibilité des petites structures. « Nous sommes une maison d’édition pluridisciplinaire de critique sociale, nous sortons une seule bande dessinée par an. à Angoulême nous n’avons pas les moyens de prendre un stand », explique-t-elle. Ainsi, Nada a pu venir l’année passée avec l’auteur de Fréhel, Johann G. Louis.

Et le festival séduit au sein du petit milieu des éditeurs indépendants. Cette année, les éditions Cornélius, installées à Bordeaux, ont décidé de lui confier l’organisation d’une exposition d’un de leurs auteurs, l’américain Charles Burns, icône de la bande dessinée indépendante américaine. « On a trouvé l’idée de collaborer avec le centre d’art contemporain (le Pavillon blanc, ndr) intéressante », explique Adèle Frostin de Cornélius.
Aux côtés du maître Burns, le lauréat 2018 du Prix découverte décerné par la Caisse d’épargne, le Toulousain Simon Lamouret, réalisera son premier accrochage. Une véritable reconnaissance de la profession pour le jeune auteur de Bangalore, pour qui l’aspect le plus important du Prix découverte n’est pas quantifiable : « Cela m’a surtout permis d’emmagasiner de la confiance », explique-t-il.
En 2020 Charles Burns est aussi invité à Angoulême mais c’est à Colomiers qu’il expose.
L’engagement du festival auprès des jeunes artistes se concrétise aussi dans une résidence de trois mois à Colomiers accompagnée d’une bourse de 6 000 euros. Une initiative qu’Élie Huault, auteur résident cette année, n’hésite pas à qualifier de vitale. Ce Parisien de 29 ans, qui n’a jamais publié, dit sa chance de pouvoir, pendant trois mois se consacrer, pour la première fois, entièrement à son métier.
BD Colomiers apparaît donc dans le milieu fort lucratif du 9e art – 510 millions de chiffre d’affaires généré en 2018 – comme un festival engagé, pour le public, auprès des auteurs et de leurs éditeurs. Serge Ewenczyk des éditions parisiennes Çà et là, présent cette année avec son auteur américain Derf Backderf, le confirme : « BD Colomiers fait un vrai choix éditorial, notamment celui de ne pas faire venir de gros éditeurs ». Une exposition inespérée pour les petites maisons et les petits auteurs qui, comme les petits festivals, ne veulent plus se contenter de vivre à l’ombre des gros
32e festival BD Colomiers, du 15 au 17 novembre 2019