Au collège André Malraux de Ramonville, Brigitte Dalle travaille depuis 20 ans à faire vivre l’un des rares Centre d’Éducation pour Jeunes Sourds de France. Chaque année, une quarantaine d’enfants bénéficient de cette scolarité en langue des signes, avec le même programme que les autres collégiens.
Derrière un préfabriqué, des professeurs papotent autour d’une cigarette et d’un café. Il est 15h ce vendredi après-midi de la mi-septembre. Tous ont un mot pour la femme qui me fait visiter les lieux. Au collège André Malraux tout le monde connaît Brigitte Dalle : c’est sa vingtième rentrée du cursus d’éducation en LSF de Ramonville et elle possède l’aura de ces professeurs dont on se souvient toute sa vie. Entre deux taffes, cette militante au caractère bien trempé résume son CV. Entendante née d’un père sourd, elle a grandi entre les deux mondes et a décidé de dédier sa vie à jeter des ponts entre les deux cultures. Entrée comme assistante, elle est aujourd’hui l’un des piliers de la communauté signante de Toulouse. Responsable pédagogique du CEJS (Centre d’éducation pour Jeunes sourds, nom administratif officiel du projet) elle enseigne le français en LSF. Côté cour de récré, ça sent bon la rentrée des classes et l’euphorie des premières semaines. Le hall d’entrée est en ébullition. Alors que la sonnerie retentit, les esprits s’échauffent dans la classe de sixième que cherche la professeure. Max*, le turbulent de la classe, a jeté le sac d’un autre élève à la poubelle. Des grands s’en mêlent, les pions semblent dépassés par la multitude d’enfants autour d’eux. Parmi les 800 élèves de l’établissement, une quarantaine sont des sourds signants. « Les sourds fonctionnent comme un clan de gitans. Si l’un d’eux est impliqué dans une histoire, tous s’en mêlent. Ce sont les seuls élèves qui se comportent ainsi », s’amuse Mme Dalle. À son arrivée, tout le monde se range et regagne les salles de classe. Les 6ème la suivent pour un cours de français. Sauf Max, convoqué dans le bureau du principal pour le premier remontage de bretelles de l’année. « Il y a parfois des petites tensions liées au souci de communication, mais l’intégration doit aller dans les deux sens. Il est presque aussi important pour les enfants sourds de grandir dans un système éducatif normal que pour les jeunes entendants d’être au contact de jeunes sourds », souligne une surveillante non signante. Arrivés à l’étage, les élèves se placent en U autour de la maitresse, pour que chacun puisse se voir et comprendre ce que signe l’autre. L’oreille du sourd, c’est son œil. Le cas de Max fait toujours débat mais la leçon doit commencer. On peut être bruyant puis se taire sans prononcer un son. La langue change, mais pas le caractère et les schémas d’une classe de sixième. On s’interpelle, on bouge, le professeur et l’assistante font des allers-retours dans la pièce. « Avec les plus petits, c’est d’autant plus impressionnant parce qu’on doit faire les gestes de manière théâtrale », précise Mme Dalle. En grandissant, on schématise les gestes, on les raccourcit, on synthétise comme dans n’importe quelle langue.
« Les sourds fonctionnent comme un clan de gitans. Si l’un d’eux est impliqué dans une histoire, tous s’en mêlent » - Brigitte Dalle, professeure en LSF
Celle qui nous intéresse aujourd’hui est le français, langue latine à la structure totalement différente de la LSF. Pour illustrer la différence, la maitresse signe une phrase que les élèves doivent écrire en français. Sa transcription en mots français permet d’appréhender cette dissemblance de logique et de construction entre les deux langues. « Ulysse amis ses peur pourquoi ? », signe-t-on en LSF. « Pourquoi les amis d’Ulysse ont peur ? », est la bonne réponse que certains ont retranscrite.
On peut s’attaquer à la révision du passé simple. Sur des ardoises Welleda, chacun doit écrire le verbe marcher à la 3e personne du pluriel. 3,2,1, signale Mme Dalle avec les doigts bras tendus avant que tout le monde retourne son ardoise simultanément.
Une AESH (Assitant aux élèves en situation de handicap) assignée à la classe de Mme Dalle, accompagne la professeure. « Certains élèves pouvant présenter d’autres handicaps, liés ou non à la surdité, la présence de cette aide est pour eux indispensable », explique-t-elle. « Être bilingue, et savoir le français écrit au même niveau que n’importe quel autre élève en France, même s’il n’est pas le mode de communication principal de l’enfant, car il détermine son avenir, tel est l’objectif », argumente l’enseignante en distribuant le Robert édition des collèges. Avec une dizaine d’élèves, les deux femmes ne sont pas de trop pour animer une classe. Pour le néophyte, s’immerger dans l’univers d’une classe LSF, est une des expériences de communication les plus éprouvantes qui soient. Les sollicitations sont permanentes et réparties sur l’ensemble du champ visuel disponible dans la salle de classe. Comme participer à un grand repas dans une langue orale étrangère aux racines et aux intonations totalement opposées à la sienne sans jamais rien comprendre. Une sensation bien connue des sourds, dans le monde des entendants. « Ici, on recrée une communauté qui permet à l’enfant de grandir dans un environnement qui lui est favorable. La LSF c’est le lien entre l’élève et l’école. »
À la fin de l’heure, les regards se tournent vers moi avant de quitter la salle. « Comment on va l’appeler celui-là ? » Une petite fille colle sa main sur le haut de son front puis déploie ses doigts en éventail vers le ciel, pour rappeler une mèche rebelle mal coiffée le jour de la réalisation du reportage. Ses camarades s’esclaffent. « On ne s’appelle pas par nos prénoms, les épeler serait beaucoup trop long, chacun à un signe », explique Mme Dalle. « Ce signe est généralement adopté au cours de l’enfance et basé sur une caractéristique physique. » Chapitre un et premier signe, de ma première leçon en LSF.
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