Comment est né le projet Géner’avenir ? Il est né d’un double constat : celui que les jeunes et les séniors vont mal. J’interviens à l’Institut Catholique et à l’université de Toulouse Capitole depuis plusieurs années en tant que psychothérapeute. Depuis l’apparition du Covid, de plus en plus d’étudiants me confient leur envie d’en finir. C’est bouleversant de voir ces jeunes qui sont censés avoir la vie devant eux en arriver là parce que la solitude, la charge de leurs études et les difficultés de la vie quotidienne sont trop lourdes à porter. À l’autre bout de la chaine il y a les vieux, qui ne sortent pas de chez eux ou sont en Ehpad, c’est-à-dire l’équivalent de maison carcérale. C’est toute cette inhumanité qui m’a bouleversée et donnée envie de monter ce projet.
Qu’est-ce qui vous a amené à estimer, en 2022, que les jeunes et les séniors avaient un destin commun ? Parce que les uns sont en déficit de grands-parents et les autres de petits-enfants. La distance fait que l’on n’a plus la proximité générationnelle. Or c’est toujours bien d’avoir une petite mamie qui fait un gâteau. Il y a de la transmission dans une recette.
Les jeunes vous paraissent avoir besoin des séniors ? Oui, même s’ils n’ont, hélas, pas perçu que la vieille dame du pallier d’à côté pouvait être une grand-mère de cœur. Mais il faut essayer de les comprendre : ils sont de plus en plus désabusés par le monde qu’on leur propose. Ils ne supportent pas ce qui est injuste alors même que l’on vit dans un monde profondément injuste… C’est à nous de créer cette passerelle. Car pour eux, l’autre n’existe pas, il n’est plus cet être dont on a besoin pour grandir.
Et les vieux, dans quel état sont-ils ? La société a tendance à les considérer comme des vaches à lait. Il faut bien sûr dissocier les jeunes séniors des autres. Mais globalement, les vieux sont des gens qui ont travaillé toute leur vie et qui utilisent leur retraite à la consommation. Mais une fois dépendants, ils deviennent les proies des grandes structures type Ehpad qui coutent une fortune, et ils finissent par être considérés comme des comptes en banque. C’est l’une des raisons pour lesquelles je me bats : réintégrer l’humain au sein des systèmes.
C’est-à-dire ? Dans les Ehpad, on s’occupe du corps, c’est-à-dire du lever, du coucher et des repas. Mais il ne se passe rien au niveau du psycho-affectif. Quid de l’humain qui est à l’intérieur de ces personnes ? Ce sont des collections d’individus qui sont assis côte à côte, mais qui ne se parlent pas.
Que faudrait-il faire ? Un vieux, c’est une bibliothèque, notre humanité. Le problème, c’est que notre société ne lui laisse ni le temps ni la place d’être utile. Parce qu’un vieux, c’est lent. Mais ça a plein de choses à apporter ! Le vieux se sent inutile à partir du moment où l’on ne l’investit plus dans la vie. Cette notion de non-utilité est d’ailleurs assez réciproque.
Justement, qu’ont les jeunes et les séniors en commun ? Le fait d’être en dehors du monde des actifs. De ne pas encore y être entré ou d’en être déjà sorti. Au fond, cela relève de l’identité : « Je suis où je ne suis plus. Ou je ne suis pas encore ». Ils peuvent être différents sur certains domaines mais globalement je sens qu’il y a plein de jeunes et de séniors qui ont envie d’apprendre ensemble, d’être utile et de sortir de la solitude. D’où l’idée de cette cocréation jeunes-séniors, parce que pour que cela ait du sens, il faut que les deux parties soient là.
En quoi consiste le projet Géner’avenir ? L’idée est de faciliter la possibilité que les uns et les autres puissent recréer du lien, se retrouver. Comment ? En co-créant des activités ou services qui soient utiles aux deux types de population, les compétences des uns répondant aux besoins des autres, des synergies nouvelles facilitant le développement des uns et des autres.
Par qui est-il porté ? Il est porté par l’association Advenir dont l’objectif est d’interagir sur le plan humain et l’association Old’Up-Oc, orientée vers l’intergénérationnel qui est très investie dans la région toulousaine. Aujourd’hui, nous sommes 14 : 7 jeunes et 7 séniors.
Concrètement, comment se présente le projet ? Il repose sur deux jambes. La partie virtuelle, avec l’application Géner’Avenir qui a pour vertu de créer du lien entre les générations. Tout est basé sur le « don-contre don » et la théorie du care, le prendre soin de l’autre. La règle est que l’on offre un service pour pouvoir avoir un don. Il peut être matériel et immatériel. Cela peut être venir discuter, proposer une aide en informatique, promener le chien… L’objectif est de créer quelque chose qui tourne, qui est fluide.
Quel accueil a reçu cette initiative ? Le premier retour a été « Génial ! On en a besoin, on va pouvoir être utile ». Il y a intrinsèquement cette envie, chez les jeunes et les séniors, d’être utile à l’autre. Le problème est qu’il nous faut 20 000 euros pour développer l’application… et que nous ne sommes pas très doués pour aller chercher de l’argent !
Quelle est la 2e jambe ? Il s’agit de créer des tiers-lieux pour accueillir l’ensemble des citoyens autour d’activités, d’échanges, de conférences et de formations. On devait en monter un à Toulouse Capitole mais ça ne s’est pas fait. On est en discussion pour en installer un dans une commune de l’ouest toulousain. L’idée est vraiment de créer des maisons de reliance pour créer des synergies, mutualiser les projets pour augmenter l’impact sur le territoire, s’entraider et créer des coalitions solidaires. Mais là encore, nous avons besoin d’aide, notamment de la part des collectivités.
Le projet Géner’avenir existe depuis presque un an. Quel premier bilan en tirez-vous ? On n’a pas la prétention d’avoir révolutionné quoi que ce soit. Tout ça existait avant. Dans le fond, on ne cherche qu’à remettre du bon sens, de l’humanité entre humains. Et ça marche ! On a eu plaisir à se retrouver tous les jeudis, même si cela a souvent été virtuellement. Les choses se sont faites naturellement, le tutoiement s’est imposé à tous, ou presque. Il y a eu réciproquement beaucoup de bienveillance… et de curiosité, notamment sur les goûts musicaux ! Ça s’est charrié, taquiné, sans doute plus que dans une famille parce que les enjeux affectifs sont moindres. Et les séniors ont trouvé que ces rencontres constituaient une vraie bouffée d’oxygène.
Avez-vous été étonnée par leurs réactions ? Non parce qu’être vieux, ce n’est pas une question d’âge. C’est pour moi une question de flexibilité et d’adaptation. Etre vieux, c’est être pétri par la peur et ne pas oser sortir de sa zone de confort. Je connais par exemple des jeunes de 15-20 ans qui sont perclus d’habitudes. Pour moi, ce sont des « jeunes-vieux » au sens comportemental et cognitif. Alors qu’il y a des anciens qui sont d’une jeunesse époustouflante.
Vu des jeunes
Dans le projet Géner’avenir, on attend la même implication de la part des séniors que des jeunes. Une attente comprise par Laura qui regrette que « l’on scinde souvent les personnes selon leur génération comme s’il existait une rupture entres les séniors et les jeunes ». Convaincue qu’il faut abattre ces barrières, elle avoue néanmoins avoir vu quelques préjugés tomber comme celui de la technologie : « Lorsqu’on a abordé le sujet de l’application, j’ai été étonnée de voir que cela les intéressait…et que leurs questions, pertinentes, permettaient de soulever des problématiques auxquelles nous n’avions pas pensé. Cela a été un vrai travail collaboratif qui nous a permis d’avancer ensemble. » Un avis partagé par Morgane pour qui les deux groupes se sentent perdus, « les jeunes parce qu’ils doivent intégrer un monde compliqué et les vieux parce qu’ils sont complètement mis a l’écart de ce monde ».