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Déambulation nocturne : Impros

BOUDU

Le 7 février à 21h, près de la fac de pharmacie, je passe devant une porte d’où fuite une musique assourdie. Comme j’ai les doigts gelés et pas de plan pour la soirée, je la pousse, pour voir. Derrière, ça sent le tabac, la bière et la sueur. D’un regard circulaire j’embrasse la première pièce. Un bar de fortune, trois canapés éventrés, un billard pour enfant et un petit chien qui me regarde. Derrière, une salle de répet’, et dedans, rien moins que le collectif La baraque à free, un groupe de libre improvisation. Ils sont douze, comme les apôtres, et forment un cercle, comme les poètes disparus. Ils sont saxophonistes, trompettistes, violonistes, ou chanteurs, et veulent « expérimenter sans règles ni limites ». Ils commencent par faire circuler une bouteille de cidre comme on se passe le calumet de la paix. Puis, la lumière s’éteint. J’entends murmurer une chanteuse, grincer un violon, et cracher les cuivres. Ça sonne à peu près comme un chat sous l’hélice d’une tondeuse à gazon. Je porte machinalement les mains à mes oreilles pour m’assurer que les tympans ne saignent pas. C’est bon, pas d’hémorragie pour l’instant. Retour de la lumière. Un tempo s’impose comme par magie. Place désormais à l’improvisation, au sens noble du terme. Des fulgurances jouissives jaillissent de cette orgie sonore comme des bouquets de violettes qui poussent au milieu d’un champ de patates. S’ensuivent deux heures de musique où chaque note résonne dans ma tête comme un feu d’artifice. Deux heures de liberté et de création. Je comprends, maintenant, l’intérêt de telles séances. Et je touche du doigt l’étrange paradoxe qui veut que pour transgresser les règles, il faut un minimum de discipline. Après deux heures d’impro, un litre de cidre et un paquet de Pringles, je prends congé de l’orchestre de La baraque à free. Pour terminer la soirée, moi aussi, j’improvise. Je m’arrête sur un coup de tête au Ministère, un bar de la rue Peyrolières où la bière est fraîche et les soutiens-gorge pendus au plafond. En sortant, je mets mon iPod en mode random :  la septième de Beethoven pour m’accompagner sur le chemin du retour. Quelques minutes plus tard je m’endors avec cette conviction : l’impro, c’est tout sauf du hasard.

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