Toulouse. 4h30 du matin. Les voitures passent au compte-gouttes le long du canal du Midi. Au pied d’un immeuble, deux jeunes femmes font le pied de grue. Il fait froid. Elles fument une cigarette en discutant et, pour tromper l’ennui, battent le pavé en mesure. La scène est ordinaire. Une camionnette banalisée s’approche au ralenti. Les jeunes femmes montent. À peine installées, elles font leur rapport. Ces deux passantes font en fait partie du dispositif mis en place par l’agence JMC international pour établir un flagrant délit d’adultère. Les lumières de l’appartement sont éteintes et les voitures, préventivement tamponnées la veille, n’ont pas bougé de la nuit. Aucun doute, « les oiseaux sont dans le nid ». Jean-Marie Canivet, le directeur de l’agence, va pouvoir confirmer l’intervention planifiée avec l’huissier de justice. Dès l’heure légale, (6h tapantes), celui-ci viendra toquer à la porte des amants endormis, accompagné de deux officiers de police judiciaire (et d’un serrurier, au cas où). « C’est assez rare qu’il ait à intervenir. Il suffit en général qu’il secoue un peu sa boîte à outil ou qu’il grattouille la serrure pour décider les récalcitrants. » Une heure plus tard, débriefing autour d’un café. Une fois passé l’effet de surprise, l’intervention s’est déroulée dans le respect et la bonne humeur. Une brève visite du logement a permis à l’huissier d’établir son constat : monsieur a ses habitudes, ses affaires dans les placards et une brosse à dent sur le lavabo. Affaire classée.
Les dinosaures aux méthodes douteuses qui se baladaient avec un pétard dans la poche, c’est de l’histoire ancienne.
Contrairement aux idées reçues, ceux qui font appel aux détectives privés viennent de tous les milieux sociaux et mènent, en général, des vies sans histoires. Tous, en tout cas, partagent le besoin de faire valoir leurs droits devant un tribunal. En la matière, le code civil est clair : pas de preuves, pas de droit. Reste que le même code précise que « nul ne peut se constituer de preuve soi-même », ce qui fait le bonheur des privés. « Il y a deux types d’affaires : celles dont on parle et qui tiennent de la comédie de boulevard, retrouver l’amant dans le placard, et celles dont on ne parle pas », détaille Patrick*, un ancien privé passé par la grande muette avant de se reconvertir dans la lutte contre la piraterie maritime. « Ça se démocratise. Des grosses boîtes jusqu’au boucher du coin, tout le monde veut son détective privé. » Il est catégorique. « Tout se fait ! Ce n’est qu’une question de pognon et de réseau. » Pour lui, aucun doute : l’industrie et la classe politique font appel à des agents d’investigation. Même si lui n’y a pas trempé. « L’espionnage industriel, c’est trop compliqué, il faut être un peu cambrioleur. J’ai pas envie de me faire arrêter par les flics parce que j’ai merdé et fait sonner une alarme. Je laisse ça aux anciens des services spéciaux. » De même, il n’est pas question de s’étaler sur les affaires. Il y a bien ce cas qui implique un gros industriel de l’armement, mais… « C’est une grosse patate et il vaut mieux faire attention ! C’est un milieu où on n’hésite pas à flinguer un mec qui dérange. »
Commerce, industrie, piratage Dès le premier appel, un bon détective écarte les affaires foireuses. « La mission doit impérativement être morale, légale et légitime. Son intervention doit strictement s’opérer dans le cadre de la défense des intérêts de son client, jamais dans celui de nuire à autrui. On n’est ni des maîtres chanteurs ni des hommes de main, insiste la directrice de l’agence ATDC. Pour exercer, un détective doit rester polyvalent et être à l’aise dans le règlement d’affaires familiales comme dans les affaires liées au droit des entreprises. » Mais le fond de commerce, c’est l’adultère. Si la mission semble acceptable, le détective propose un premier rendez-vous dans un lieu public du centre-ville. Une terrasse du Capitole ou le bar d’un hôtel un peu chic…
Cet entretien permet d’évaluer la nature de la mission et ses chances d’aboutir. Le détective établit un devis en fonction du dispositif qu’il va mettre en place. Faut-il faire des planques, des enquêtes de voisinage ou des photos ? Il cherche également à jauger les difficultés en n’hésitant pas à tirer les vers du nez du client. « On met un point d’honneur à le cuisiner pour avoir un maximum d’infos. Si on doit faire un flag et que le mec est violent ou cardiaque, il vaut mieux le savoir ! Avec un timbré, ça peut aller très loin… Parfois le client a déjà fait intervenir des copains. Du coup, la cible est méfiante et on ne veut pas risquer de se faire retapisser au premier carrefour », précise Patrick. De retour au bureau, le détective prépare la mission du jour. Entre les piles de dossiers et de rapports circonstanciés, une impressionnante collection de gadgets d’espionnage plus ou moins obsolètes est soigneusement rangée. Trop évidents, les stylos-caméra ne sortiront plus de leur boîte.
Filoches et pinholes Un tour sur Internet permet de vérifier quelques informations et de faire un repérage des lieux grâce aux images satellites. Un plan de la ville maculé de puces rouges apparaît à l’écran. Grâce à des balises GPS, le détective peut connaître, minute par minute, la position de certains véhicules et suivre précisément leur itinéraire. La cible est localisée devant un café, quartier Saint-Michel. C’est le moment de partir en planque. La planque, c’est pratiquement la moitié du boulot. Il faut être patient et obstiné pour garder ses yeux rivés à une porte d’immeuble pendant des heures… sans savoir combien de temps ça peut durer. « Celui qui n’a pas le goût de la filoche n’a rien à faire dans ce boulot, avertit Patrick. Parfois on peut rester à planquer 15 ou 20 heures, dans une voiture en plein cagnard avec juste une bouteille pour se soulager. »
Pour une bonne planque, il vaut mieux être bien installé. Pour cela, rien ne vaut le bon vieux sous-marin, un camion spécialement aménagé avec une couchette et du matériel de surveillance. Mais le poster n’est pas toujours simple. Il faut trouver une place libre et discrète à proximité de la cible, maquiller un minimum le fourgon, puis installer les « pinholes », des caméras sans fil de la taille d’une tête d’épingle. Cachées sur un pylône ou dans la charpente d’un édifice, ces micro-caméras permettent de surveiller les allées et venues de la cible, sur les écrans de contrôle, tranquillement allongé dans le véhicule. Ça y est, du mouvement ! Bien abrité derrière un appuie-tête, le détective déclenche son appareil photo. Les lieux et la personne sont identifiables grâce au zoom de l’appareil. L’objectif du jour a été atteint, mais il faudra revenir pour prouver la répétition de la faute. Aujourd’hui, la réglementation encadre strictement le métier d’agent de recherche privé. Filer une personne plusieurs mois sans interruption est considéré comme une atteinte à sa vie privée. « On essaie d’être le moins intrusifs possible. C’est comme dans la posologie pharmaceutique, on fonctionne avec la dose minimale efficace. Dans les rapports, on ne met des photos que si elles sont indispensables ou si le juge les demande. Et évidemment, on ne traite que ce qui est relatif à l’enquête », nous assure Francis Potok, de l’agence du même nom. « Les dinosaures aux méthodes douteuses qui se baladaient avec un pétard dans la poche, c’est de l’histoire ancienne », confirme Jean-Marie Canivet. Depuis une dizaine d’années, une véritable formation professionnelle et un agrément officiel sont devenus obligatoires pour exercer.
Motus operandi Mais les agréments ne font pas tout. Un bon agent de recherche privé, en plus d’être formé à la psychologie comportementale, est un baratineur jamais en peine d’un scénario qui lui permette d’obtenir ce dont il a besoin : « Il faut savoir être comédien. Se mettre dans la peau d’un personnage en train de faire les soldes ou de sortir de boîte bourré, c’est de la tactique, ça s’apprend. Par exemple, un jour où je n’avais pas de planque pour surveiller la porte d’entrée, j’ai téléphoné à la cible et j’ai prétendu que j’étais un étudiant en neurologie faisant passer un questionnaire sur la latéralité cérébrale. Noyé entre d’autres questions sur ces habitudes, je lui ai demandé par quel côté elle descendait le plus fréquemment la rue en sortant de chez elle. En deux minutes, j’ai eu mon info et j’ai pu me poster du bon côté », s’amuse Francis Potok. Mais les conseils s’arrêtent ici. Les détectives n’aiment pas trop en dire sur leurs méthodes de travail. D’une part pour ne pas percer leurs tuyaux mais également parce qu’ils sont parfois amenés à travailler sur le fil du rasoir… Motus ! Officiellement, les détectives privés n’entretiennent aucun contact avec les forces de police. Si certains assurent se passer des infos, d’autres restent plus évasifs : « Une source c’est secret. Sinon, ce n’est plus une source. » Patrick, l’ancien détective, est plus transparent : « Le cousin, c’est l’informateur… ou la balance. Tout dépend du point de vue ! Et dans le métier, on est un peu tous le cousin de quelqu’un. » *Le prénom a été changé pour respecter l’anonymat du témoin.
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