Participer à une action de désobéissance civile, c’est comment ? Trois collectifs de militants écolos ont conduit Boudu dans les rues de Toulouse pour une matinée de revendications.
Le rendez-vous est donné de bonne heure, le ciel encore nébuleux. « À 9 heures, place de la Trinité, pour le briefing », annonçait le mail envoyé la veille au soir, par le collectif ANV-COP21, aux personnes inscrites au rassemblement. Au menu : une « action théâtrale », à visage découvert, pour protester contre BNP Paribas, accusée d’accorder des prêts à TotalEnergies, le groupe finançant de nouveaux projets d’extraction d’énergies fossiles. Si cette manifestation est menée par le collectif de chercheurs, Scientifiques en Rébellion, ils ont été suivis et aidés par les associations Stop Total et ANV-COP21, en charge de l’organisation. Entre collectifs, on se soutient : « Je ne défends pas qu’un seul mouvement, assure Camille, une professeure de 50 ans, membre d’Extinction Rébellion depuis l’an dernier. Face au vivant, on est tous concernés, et cette action est symbolique : quand les scientifiques eux-mêmes sortent dans les rues, c’est bien que quelque chose ne va pas, alors il faut les écouter. »
Réunie autour de la fontaine, la vingtaine de militants écolo ayant rejoint la cause « anti-bombes climatiques » commence à s’activer. Au sol, des sacs emplis de pancartes. Aujourd’hui, comme à chaque mouvement, chacun devra s’en tenir au le rôle qui lui sera attribué: certains tiendront des banderoles, d’autres distribueront des flyers, les scientifiques vêtus de blouses blanches déclameront leurs discours, les « peace keeper » en gilet jaune, dont Camille, encercleront le groupe afin de veiller à sa sécurité, tandis que le « contact police » se tiendra prêt à négocier avec les forces de l’ordre.
Mais ce matin, peu de stress, l’action se voulant « non-violente, différente de ce qui se fait d’habitude, qui correspond davantage aux scientifiques », précise un coordinateur du collectif ANV-COP21 depuis 2017, Gwarr, lunettes sur le nez et cheveux gris, se qualifiant lui-même de « vétéran ». « Ça permet de se confronter à la diabolisation du militantisme écologique, pour montrer que ce qu’on fait n’est pas violent, comme on pourrait le faire croire », poursuit-il d’un air réprobateur.
En attendant le top départ, la jeune coordinatrice du jour annonce le déroulé des événements, rappelle les aspects juridiques de l’action et les bons réflexes à avoir : noter le nom des avocats des associations sur le bras, avoir sa carte d’identité sur soi… – bien que, souvent, certains militants utilisent des noms d’emprunt comme un moyen de se sécuriser soi et ses compagnons en cas de garde-à-vue, les uns ne pouvant donner la véritable identité des autres. Pendant ce temps, des bénévoles terminent les préparatifs, et mettent au point leur principal accessoire, un gros ballon noir de deux mètres sur deux où s’inscrit le message : « Bombes climatiques : qui sont les vrais écoterroristes ? ». Une passante sur le chemin de l’école avec son fils glisse furtivement à l’un deux : « Je ne sais pas ce que vous préparez, mais je vous dis bravo quand même ! » Dans les regards et les sourires, se dessinent alors envie et motivation.
Il est enfin dix heures quand le groupe s’installe place Esquirol, devant la BNP. Au premier coup de sifflet, la mise en scène démarre. Mais la rue de Metz, bruyante de circulation, couvre les prises de parole. Au milieu de l’agitation militante, Julian Carrey, 47 ans, enseignant-chercheur à l’INSA Toulouse, s’adresses aux quelques journalistes présents : « C’est la journée internationale d’action des scientifiques qui sortent des laboratoires pour appeler à la rébellion et à l’arrêt des ouvertures de nouveaux projets pétro- gaziers soutenus par les banques dont BNP Paribas… » Outre les médias couvrant l’événement, seules quelques passants intriguées les observent au loin, sans vraiment s’y intéresser. Après une trentaine de minutes et trois coups de sifflets marquant la fin de l’action, les militants se tiennent fin prêts à rejoindre le deuxième point de rencontre de la journée. Sur le chemin, Julian Carrey se dit être « hyper content du temps, plutôt clément, et du bon déroulé de l’action pour le moment ».
Tout en marchant, poussant son vélo jaune, le vétéran Gwarr témoigne que « pour ce genre d’événement, il faut une quinzaine de jours, presque trois semaines de travail préparatoire. Les bénévoles viennent après leur boulot le soir, les week-end », se donnant désormais rendez- vous dans les locaux de la Base Toulousaine. Ce type d’action « plus douce », précise-t-il, permet aux nouveaux entrants de se faire la main avant de participer à de plus gros mouvements, parfois plus violents et risqués. Sur les coups de onze heures, installés devant le métro Palais-de-Justice où se trouve une autre agence BNP Paribas, trois scientifiques, munis de micros, prononcent leurs discours dans le brouhaha de travaux citadins. « Nous ne devrions pas être là mais dans nos bureaux, devant nos étudiants », clame Laure Teulières, 54 ans, maître de conférences en histoire contemporaine à l’université Jean-Jaurès, et membre de l’Atecopol (Atelier d’écologie politique de Toulouse). Suivie par les paroles de Julian Carrey et Sylvain Kuppel, spécialiste toulousain des ressources hydriques, arrêté en Allemagne en 2022 pour une action dans un showroom BMW.
Les trois derniers coups de sifflet signent la fin de la matinée, et la fin de l’action contre « les bombes climatiques ». Après quelques rangements, direction les allées Jules-Guesde pour un débriefing au soleil, assis par terre. Marion, dans le rôle de « peace keeper », se lève: « On a pu désamorcer facilement deux ou trois tensions en prévenant les agents de banques. » Fière du résultat, elle remarque cependant une trop grande dispersion du groupe entre les deux points de rassemblement. « Il faut rester groupés. Plus on est isolés, on est vulnérables. S’il y avait eu la police, ils auraient eu le temps de nous séparer… », et l’action tombait à l’eau. Un autre lance : « Je suis content, c’était cool de faire une action tranquille et sans difficulté, même si on a un peu l’impression qu’elle ne touche que trois personnes. » Après ce moment d’échanges, certains retournent à la Base ramener le matériel, d’autres se dirigent vers le Tribuna pour y soutenir deux militants de Dernière Rénovation jugés s’être attachés aux poteaux du stade Ernest-Wallon lors du Stade Toulousain – Stade Français de novembre 2022. Entre collectifs, « on est tous solidaires », confirme encore Camille.
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