Vous fréquentiez autant votre fenêtre avant le Covid ? Presque autant, oui. J’aime bien regarder la vie qui passe rue des Filatiers. J’y suis comme au spectacle. Je travaille donc toujours dos à la fenêtre. Sans ça je me mets à regarder les gens et je ne fous plus rien.
Comment vous est venue l’idée de cette série ? Toute l’année, je poste sur Instagram des photos de passants prises au hasard de mes promenades. Une fois confiné, j’ai fait la même chose depuis ma fenêtre. Dès le deuxième jour j’ai compris que ces passants racontaient un moment important de mon histoire personnelle et de celle de la ville. Je me suis décidé, par jeu, à garder les mêmes contraintes jusqu’au déconfinement : carré, noir et blanc, fenêtre.
Le spectacle de la rue doit être bien différent désormais… Tout est normal et un jour, la vie s’arrête. On voit son premier passant masqué. Les gens ne flânent plus, ils passent. Il n’y a plus d’insouciance. Que des fronts soucieux. Plus de terrasses blindées. Que des gens flippés qui marchent en regardant leurs chaussures. Certains sombrent dans la parano. D’autres agissent comme si de rien n’était, par inconscience ou par bravade. Le bal des scooter Uber se met à rythmer la vie de la rue. Le pizzaiolo vend plus de pizzas, le resto à sushis plus de sushis, le boucher plus de barbaque. Un peu plus loin les premières pancartes « À vendre » apparaissaient sur des rideaux baissés.
N’est-ce pas lassant de photographier la même chose pendant deux mois ? C’est un peu comme s’acharner sur un motif, comme peindre mille fois le même paysage sous des lumières différentes. C’est une question de sensibilité. J’aime la singularité, le détail, le grain de sable. J’ai étudié à l’ETPA et fait des photos pour des publicitaires, mais ça ne m’a jamais plu. Les panoramas de rêve qu’on voit sur Instagram, colorés et filtrés à mort, ça n’a pas de sens. La vue depuis nos fenêtres et les gens cabossés qui passent dessous sont bien plus beaux que ces trucs-là. Même quand ça paraît difficile, il vaut mieux préférer le réel.
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