Mercredi, 20h. Une quarantaine de garçons et trois filles évoluent sous les spots vert et bleu du bar. Rien dans leur tenue – jeans et baskets – ne laisse entrevoir leur tendance geek, à l’exception d’un logo sur leur t-shirt. Les soirées du weekend ont laissé au sol le souvenir de verres renversés : malgré les évidentes traces de serpillère, ça colle. Au fond, trois personnes terminent un bière-pong. Au comptoir, les derniers arrivés passent commande. Les regards sont surtout tournés vers les 15 ordinateurs qui occupent un coin de la salle et affichent à l’écran un jeu de cartes en ligne. Tout autour, des télés diffusent des parties en cours dans le monde. Une effervescence règne dans l’établissement, tandis qu’une liste circule pour s’inscrire. Ce soir au Meltdown – bar e-sport et franchement geek – se jouent les pré-qualifications d’un tournoi officiel de Hearthstone : un conquest mod en trois decks pour peut-être jouer les qualifications à domicile et aller à Paris, dernière étape avant le championnat européen aux États-Unis… Vous n’avez rien compris ? Nous non plus, et c’est, semble-t-il, normal.
Personne n’arrive par hasard au Meltdown. Fondé sur un coup de tête et après un coup de trop par deux amis d’enfance il y a deux ans, le bar – une franchise de son homonyme parisien – est caché sur la dalle Saint-Georges. Avec ses vitres noires et son sas d’entrée, ses ordinateurs et ses consoles en libre accès, ses cocktails aux noms de jeux vidéos, c’est le rendez-vous gamer et geek de la ville.
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Vous n’avez rien compris ? Nous non plus et c’est normal.
À l’intérieur, ambiance « fin du monde » : les murs et leurs LED clignotantes sont ceux d’un sous-marin en perdition ; des projecteurs servent de table-basse devant des canapés en skaï au look rétro. Une fois encore, le symbole échappe aux profanes : « Cette déco colle parfaitement au nom du bar, qui signifie «fission nucléaire » en anglais, explique Stéphane, gérant et créateur du bar à 26 ans. Elle est inspirée d’un jeu dont on est fan avec Maxence (son associé-gérant, ndlr) : BioShock, l’histoire du seul survivant d’un accident aérien qui se retrouve dans une ville sous-marine. »
Bahamas et vodka consignée
Perché sur l’estrade des ordinateurs, Stéphane fait l’appel : « Sushi ? Ok. Quasimodo ? » Visiblement, il n’est pas là. Vaima (alias Tigra), la seule fille à jouer, s’assoit devant un PC. À 19 ans, c’est sûrement l’une des plus jeunes de la soirée, qui réunit plutôt des presque-trentenaires. Adepte de Zelda, elle a commencé à jouer à Hearthstone avec son copain, et vient désormais tous les mercredis.
20h15, tout le monde est en place. La partie peut commencer. Très concentrés devant leurs écrans, les joueurs choisissent leurs cartes. Les autres observent, une bière à la main, prodiguent quelques conseils, commentent la partie. Édouard, 27 ans, sweat à capuche, casque audio bleu pétard, pics décolorés et canette de Monster, attend son tour, très absorbé. Il joue à d’autres jeux, mais c’est Hearthstone qui l’occupe ces temps-ci : quatre heures par jour, quand il rentre de son boulot d’équipier dans la restauration. Le décor paradisiaque de la dernière finale internationale, aux Bahamas fin mars, le laisse encore rêveur… même s’il ne se fait pas d’illusion sur l’issue du tournoi : « Il faudra que je m’entraîne encore longtemps pour arriver au niveau des meilleurs joueurs mondiaux ! ». Tous, ce soir-là, ont le même état d’esprit. Compétition officielle ou non, la plupart sont là tous les mercredis. Les bouteilles de whisky et de vodka réservées sept jours derrière Maixent, le barman, en attestent. « Je vois certains clients tous les jours. On a peut-être une centaine d’habitués. » Geoffroy, étudiant et pion en collège, vient une fois par semaine, pour Hearthstone : « Tu ne viens pas pour un jeu auquel tu ne joues pas, car c’est sûr que tu vas t’ennuyer. Mais ça n’empêche pas de rencontrer des gens sympas ». Effectivement, tout le monde a l’air de se connaître un peu.
Entre deux parties, on bavarde. Dans un coin, quelques copains lancent Mario Kart sur une console en libre accès.
22h. Le tournoi se termine doucement. Assis sur l’accoudoir d’un canapé, un jeune homme, lunettes carrées et t-shirt geek, suit un jeu sur une télé, comme on regarde un match de foot. À l’écran, le canadien Purple affronte le français Bestmarmotte. Au fond de la salle, une équipe entame tranquillement une nouvelle partie de bière-pong
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