Dr Radoine Haoui : Deuxième vague psychiatrique
- BOUDU
- 14 mai 2020
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Vous alertiez il y a quelques jours, dans le Quotidien du Médecin, sur le risque de « deuxième vague psychiatrique » en raison du confinement et de l’isolement social. Pourquoi ?
On constate, comme pour les maladies physiques, qu’un certain nombre de personnes ont eu peur de consulter ou d’appeler le Samu. Par peur d’être contaminé ou d’alourdir la charge des psychiatres. Or il y a, comme dans toutes les épidémies, la partie immergée de l’iceberg. Il est tout à fait possible de voir apparaître, dès la mi-mai, des personnes restées invisibles jusque-là.
Quels changements avez-vous observés à ce jour ?
Il faut avant tout bien distinguer nos patients à haut risque des autres. Les premiers nommés souffrent déjà de troubles graves comme la schizophrénie ou la bipolarité. Pour la plupart, ce sont des patients ritualisés qui ont vu leur quotidien bouleversé par cette crise. Ils cumulent les risques : souvent sédentaires, fument beaucoup, souffrent de maladies respiratoires, de diabète, d’hypertension. Vu ces signes de comorbidité, il fallait les protéger. C’est ce que nous avons fait, d’une part pour eux et d’autre part pour ne pas engorger les services de réanimation.
En parallèle, vous accueillez des patients plus occasionnels. Leur nombre a-t-il augmenté ?
Ce confinement a du jour au lendemain ôté la possibilité aux patients qui n’ont pas de pathologies chroniques, mais des dépressions réactionnelles ou des problèmes liés aux évènements de la vie, de « vider leurs sacs ». On a donc constaté une augmentation des symptômes anxieux, des troubles du sommeil, des angoisses. C’est souvent eux qui nous ont appelés. Mais on a aussi pris les devants car on sait que certaines dépressions peuvent conduire au suicide. L’idée était donc de prévenir les passages à l’acte auto-agressifs.
Pourquoi le confinement crée ou aggrave-t-il les troubles psychologiques ?
Dans la vie de tous les jours, on a besoin de rencontres sociales. Ce sont des espaces qui nous aident à aller mieux. Quand vous n’avez plus ces rencontres et que vous vous retrouvez seul chez vous, surtout quand vous avez des antécédents dépressifs, inévitablement, les ruminations augmentent. Vous ne pensez qu’à du négatif. Alors que les sorties sont des espaces de divertissement qui peuvent permettre d’aller mieux.
Ce serait donc la privation de liberté qui serait la principale responsable de ces troubles ?
Cela me gêne de parler de privation de liberté car ce concept s’applique surtout pour les personnes incarcérées. Il n’en reste pas moins que le fait d’avoir restreint la liberté d’aller et venir a un impact psychologique voire psychiatrique. Mais ce n’est pas le seul facteur. Il y a ceux qui sont très inquiets à l’idée de perdre leur travail. Les conséquences sociales vont également avoir un impact sur les conséquences psychologiques.
Comment expliquez-vous que l’on ait autant peur ?
La peur est une sensation irrationnelle. Aujourd’hui, il y a tellement d’inconnues autour de ce virus, que c’est normal d’avoir peur. Dès que l’on commencera à mieux l’appréhender, les gens deviendront plus raisonnables.
Qu’est-ce que cela dit de notre société ?
Que l’on vit dans une société où la cellule familiale est un peu éclatée et surtout qui a l’habitude de fonctionner de manière individualiste. On observe d’ailleurs que le confinement paraît moins pénible à vivre en milieu rural où les gens semblent mieux armés pour vivre cette épreuve. En milieu urbain, les gens ont davantage l’habitude de sortir. D’un coup, ils se retrouvent seuls dans leur appartement, sans connaître leurs voisins, sans espace de verdure pour sortir.
Et les réseaux sociaux, comment les jugez-vous ?
Il y a beaucoup de créativité dans les réseaux sociaux ce qui permet aux gens de mieux vivre leur confinement. Après, c’est aussi à double tranchant car ils véhiculent des informations anxiogènes. Quand on dit que l’économie est à plat, forcément cela augmente les peurs et fragilise des personnes déjà vulnérables. Car on ne sait pas ce qui va se passer après.
Outre la créativité que l’on peut observer sur les réseaux sociaux, voyez-vous d’autres bons côtés au confinement ?
Cette crise nous montre la fragilité de l’Homme. C’est une belle leçon d’humilité qui doit nous amener à être plus attentif aux autres. C’est au fond ce que l’on peut retenir de cette période : on a besoin les uns des autres. D’ailleurs cette maladie atteint tout le monde. Quand on voit que les États-Unis ne sont pas en capacité de contenir cette épidémie… Que l’on soit la première puissance du monde ou un pays du tiers-monde, c’est le même traitement pour tout le monde : le confinement !
Après avoir craint le confinement, faut-il craindre, dorénavant, le déconfinement ?
Je pense que beaucoup de gens vont développer des symptômes anxieux à cause des incertitudes qui vont perdurer après le 11 mai. Il y a en particulier des gens qui vont se mettre à avoir peur en permanence de mourir. Pour beaucoup de gens, la cicatrice va rester ouverte tant que l’on n’aura pas trouvé un traitement. Le risque va être de développer un stress pro-traumatique, c’est-à-dire de se croire malade à la moindre courbature. Ceux qui ont des antécédents de psychotraumatismes dans l’enfance sont beaucoup plus exposés. Tout comme les personnes seules. Sans parler de ceux qui n’ont pas pu aller aux obsèques de proches. Et donc qui n’ont pas pu faire leurs deuils. Car ça aussi, c’est traumatisant.
Vous parlez de symptômes de stress post-traumatiques comme après un attentat. Pourquoi ?
Ces symptômes apparaissent après un évènement traumatisant qui vient créer une rupture dans la vie de quelqu’un. Quelqu’un qui perd un être cher sans y être préparé peut développer ce genre de stress qui se manifeste par de l’angoisse, des réveils nocturnes, des cauchemars ou un état d’hyper vigilance. Dans le cas présent, c’est lié au fait que l’on a restreint les contacts sociaux. Pour peu que ces gens-là aient eu dans leur passé un traumatisme grave, celui-ci va se réactiver. C’est comme une cicatrice qui se rouvrirait.
Quels conseils pourriez-vous donner pour éviter la décompensation, voire la dépression post-confinement ?
Il est difficile de donner des conseils. Chacun a des facteurs protecteurs qu’il faut essayer de réactiver. Certains sont capables de construire une carapace, d’autres ont besoin de se faire aider. Il faut également que les gens puissent se retrouver en famille, entre amis pour parler, raconter comment ils ont vécu le confinement. La communication est essentielle.
C’est ce que révèle le plus ce confinement ?
Bien sûr. L’Homme est un être social qui a besoin de relations humaines. Sans quoi il ne peut vivre.