Elle a le visage rassurant de ceux qui savent donner l’impression que nos problèmes sont leur seule préoccupation. Ce mardi-là, dans le petit bureau niché dans le hall d’entrée de l’Espace Diversités Laïcité, Joséphine Soumah assure la permanence du Cran (Conseil représentatif des associations noires de France, ndlr). Face à elle, un Algérien venu comprendre pourquoi on lui a à nouveau refusé un titre de séjour. De l’autre côté de la vitre dépolie, une dizaine de personnes attendent pour obtenir une explication, un conseil, un soutien. Demain, le petit local sera investi par d’autres associations de lutte contre les discriminations. Info Sectes, Mrap, SOS racisme, … Tous les mois, une vingtaine d’entre elles tiennent des permanences régulières au sein de cet espace à part. Ouvert en février 2012 à l’initiative de Pierre Cohen avec l’assentiment de l’ensemble du conseil municipal, l’Espace Diversités Laïcité est le seul équipement municipal de France dédié à la lutte contre toutes les formes de discrimination. Installé au sein d’une ancienne usine textile de 2 200m2, il offre gratuitement à plus de 200 associations des locaux et un auditorium pour leurs réunions, rencontres, conférences gratuites ou expositions, et accueille près de 230 évènements par an. Ses équipes font aussi l’interface entre les associations et la Ville pour les demandes de subventions. En six ans, l’équipement municipal est devenu incontournable pour les associations. « Sans ce lieu, on ne sait pas comment on pourrait continuer à travailler, à la fois en termes d’organisation et financiers », s’interroge Coumba Baby, présidente de l’association Ta vie en main, qui milite notamment contre les mutilations sexuelles et les mariages forcés. L’autre atout très apprécié de l’Espace, c’est la complémentarité des associations qui s’y croisent. « Ce lieu facilite les échanges et nous permet de mieux nous connaître », salue Martine Rønnoe-Guiraut, responsable du relais Orientations sexuelles et identités de genres d’Amnesty International Midi-Pyrénées. « Ce qui est d’autant plus important quand on sait que souvent, plusieurs facteurs de discrimination s’accumulent : origine géographique, milieu social, genre, orientation sexuelle, ou handicap. »
Gay Pride, djihad et droits des femmes Parmi les permanences qui gagnent en visibilité grâce à cette diversité, celle d’Annie Leotey, déléguée du Défenseur des droits en Haute-Garonne. « Très peu de victimes de discrimination entament des procédures. Des lieux comme celui-là sont importants pour nous faire connaître. D’autant plus que l’Espace leur paraît neutre, impartial, là où d’autres permanences, comme à la Préfecture, peuvent être plus intimidantes, surtout quand ils s’estiment discriminés par l’État. » L’Espace Diversités Laïcité abrite aussi un centre LGBT, réclamé à cor et à cris par les associations depuis de nombreuses années. Et si, à l’origine, certaines étaient plus que sceptiques sur la pertinence d’un espace partagé avec d’autres types de discriminations, aujourd’hui, parmi la vingtaine d’associations LGBT qui utilisent le centre (Aides, Act Up, SOS homophobies, Le Refuge, …), plus aucune ne songe à remettre cette diversité en question. Au-delà de l’accompagnement associatif, l’espace se veut aussi un équipement ouvert aux Toulousains avec de nombreuses expositions ou conférences gratuites. Il se projette régulièrement hors les murs, accompagne de grandes journées de mobilisation comme la Journée internationale des droits des femmes ou la Gay Pride, et s’associe à des évènements comme Cinélatino ou Le Marathon des Mots. Il monte aussi de nombreuses expositions thématiques, prêtées ensuite dans toute la France, et intervient dans des établissements scolaires pour évoquer la laïcité dans des lycées où des élèves sont partis faire le djihad, ou l’homosexualité là où un coming-out s’est mal passé.
Dans le petit bureau bocal, Joséphine Soumah peut recevoir jusqu’à une vingtaine de personnes par demie-journée de permanence.
Chaque année, 65 000 visiteurs fréquentent l’Espace Diversités Laïcité. Mais à l’exception de quelques évènements aux thématiques porteuses, le lieu peine encore à mobiliser au-delà des cercles militants déjà sensibilisés. La faute, sûrement, à un déficit de notoriété auprès des Toulousains. Mais pas de quoi atténuer l’enthousiasme de Jean-Luc Moudenc. « 65 000, c’est plus que certains de nos musées qui sont pourtant plus anciens et mieux connus. C’est bien la preuve que des Toulousains non militants ont aussi plaisir à y venir. » Reste qu’au niveau national, et au-delà de nos frontières, cet espace inhabituel suscite étonnement et intérêt. Dans une enquête publiée dans Têtu en 2014, le magazine cite d’ailleurs l’Espace parmi les arguments qui font de Toulouse la 2e ville la plus gay-friendly de France selon lui. L’un des responsables de l’Espace se souvient aussi d’une audition au Sénat dans le cadre du baromètre annuel réalisé par le Cran. « À la fin de la présentation de tous les projets, quasiment toutes les questions nous étaient adressées. On a souvent du mal à comprendre comment un tel espace peut fonctionner. » Et notamment comment un équipement traitant de sujets finalement si politiques peut à ce point faire consensus. Même si lors de l’alternance municipale de 2014, certains ont craint la fermeture du site en raison notamment de la présence de Jean-Luc Moudenc à la Manif pour tous. « J’avais voté en faveur du projet, rappelle-t-il. Il y a parfois des a priori un peu grossiers qui perdurent. Alors que, cet équipement en est la preuve, il faut lutter contre les idées reçues. » Tags antisémites, lettres de menaces de mort adressées au responsable de l’espace LGBT,etc. Malgré ce consensus politique, l’Espace Diversités Laïcité reste la cible d’attaques régulières. L’exposition photo d’Olivier Ciappa, « Les couples imaginaires », montée en 2015 par l’association l’Autre Cercle au Grand Rond et financée par la mairie en avait fait les frais. Détruite à deux reprises, l’expo mettant en scène des couples homosexuels factices formés par des personnalités avait été réinstallée deux fois en pleine nuit. Pour un militant des droits LGBT de la première heure, « c’est là qu’on se rend compte que l’Espace est utile, et qu’il y a encore de la pédagogie à faire… »
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