Élue députée pour la première fois en juin, Dominique Faure n’aura pas longtemps fréquenté les travées du palais Bourbon. Nommée secrétaire d’État à la ruralité, l’ancienne championne de tennis voit ainsi sa fidélité à Emmanuel Macron récompensée. Avec un défi majuscule à relever : réconcilier la ville et la campagne.
La vie joue parfois des tours… heureux ! Alors qu’elle pensait avoir (enfin) touché le graal en devenant députée, après deux premières tentatives infructueuses, lors du dernier scrutin législatif, Dominique Faure a donc intégré le gouvernement (2e version) d’Élisabeth Borne au poste de secrétaire d’État en charge de la ruralité. « Je ne m’y attendais pas du tout » jure-t-elle. S’il n’y a pas de raison de douter de la sincérité de cette native de Carcassonne, cette nomination s’inscrit dans une certaine logique… bien que la politique n’ait pas toujours été au cœur de ses préoccupations. Après avoir grandi au Maroc, elle rejoint la France à 17 ans pour y pratiquer le tennis à haut-niveau, et y poursuivre ses études. Championne de France cadette, elle progresse dans la hiérarchie hexagonale au point d’accéder à la 1e série française tout en suivant, en parallèle, une formation d’ingénieur à l’INSA à Lyon et une formation MBA à HEC à Paris. Pas suffisamment douée, selon ses propres dires, pour tutoyer les sommets tennistiques, elle décide de se consacrer entièrement à sa carrière. Elle enchaîne ainsi les postes à responsabilité dans le privé chez Motorola, Cegetel et SFR, avant de devenir directrice du développement de Veolia Environnement. En 2012, elle décide de rentrer dans l’arène politique en se portant candidate, sous les couleurs du Parti radical valoisien, à la députation dans la 10e circonscription de la Haute-Garonne. Battue par le socialiste Kader Arif, elle ravit, deux ans plus tard, la mairie de Saint-Orens de Gameville au communiste Christian Sempé, et devient vice-présidente de Toulouse Métropole en charge du développement économique. Une nouvelle fois battue au scrutin législatif en 2017, elle rejoint La République en Marche quelques mois plus tard. Depuis, elle constitue un soutien inoxydable à Emmanuel Macron à propos duquel elle ne tarit pas d’éloges, en privé comme en public. Une fidélité qui lui permet aujourd’hui de faire son entrée dans le gouvernement d’Elisabeth Borne après avoir été élue, quelques semaines auparavant, députée sous la bannière Ensemble.
Comment êtes-vous devenue secrétaire d’État ? Le plus naturellement du monde, serais-je tentée de dire. Elisabeth Borne m’a appelée sur mon portable le dimanche 3 juillet à 20h. Je la connaissais un peu l’ayant déjà rencontré à plusieurs reprises lors de ses différents déplacements ministériels à Toulouse. Mais pas au point d’avoir son numéro de téléphone ! J’étais à la maison, les enfants étaient là, c’était le premier dimanche où je commençais à souffler après la campagne des législatives et l’installation des députés à l’Assemblée.
Vous n’aviez pas été sondée précédemment ? Pas du tout, c’était totalement inattendu ! J’ai compris après coup que plusieurs personnes au plus haut niveau de l’État avaient poussé mon nom. Par ailleurs, Emmanuel Macron sait qui je suis vue la campagne que j’ai faite auprès des maires au moment de la présidentielle. Plus globalement, je suis l’un des maires, depuis 2017, qui l’a toujours soutenu. Et il n’y en a pas tant que ça.
Imaginiez-vous être appelée pour de telles fonctions ? Considérant que la plupart des ministres ou secrétaires d’État ont déjà une petite expérience de député, pas forcément. Mais j’amène une énorme expérience professionnelle, de management, de direction dans le monde de l’entreprise, mais aussi d’élue local, aussi bien à la mairie de Saint-Orens qu’à la Métropole.
Et vous n’avez pas hésité ? C’est une immense chance, une formidable opportunité que l’on ait pensé à moi pour apporter ma contribution sur un sujet, la ruralité, qui me tient à cœur.
Pourquoi est-ce un sujet qui vous tient à cœur ? Mes grands-parents, côté maternel, étaient ouvriers agricole dans l’Aude, à Homps. Et ouvrier agricole, ce n’est pas métayer ou fermier. C’est-à-dire qu’ils n’étaient payés, à la journée, que s’il y avait du travail. Ensuite quand mes parents ont décidé d’enseigner au Maroc, j’ai grandi dans un bled très agricole, à Sidi Yahia du Gharb. Chaque été, je revenais passer les trois mois d’été dans l’Aude où j’ai vu mes grands-parents, à force de travail, réussir à acheter une vigne, puis deux. De telle sorte que lorsque mon grand-père est décédé, ils avaient acquis une petite propriété.
«Elisabeth Borne m’a appelée sur mon portable le dimanche à 20h. C'était totalement inattendu ! »
Quel regard portiez-vous alors sur la ruralité ? C’était pour moi un espace d’évasion, de découverte de la nature, les grillons, les cigales, les insectes, les terriers. Chaque été, j’ai vécu dans cette maison des plaisirs simples comme se baigner dans le canal du Midi. Sans vouloir tomber dans le cliché, j’avais l’impression que l’on était plus facilement heureux à la campagne. Peut-être était-ce dû aux gens que je trouvais plus authentiques qu’en ville. Lorsque je suis allé à Lyon pour mes études d’ingénieur, puis à Paris pour le tennis, j’ai trouvé que l’on y tissait davantage de liens superficiels.
Votre regard a-t-il changé ? Forcément. L’urbanisation galopante des métropoles a fait qu’elles sont devenues extrêmement attractives et que la ruralité, s’est mise à souffrir de désertification médicale, de carence en transports en commun, d’absence de croissance démographique. Et c’est vrai que les gens y sont de plus en plus isolés.
Quelle est votre définition de la ruralité ? Il n’y a pas une ruralité mais des ruralités. C’est vraiment mon premier constat après avoir découvert des ruralités qui ne sont pas les miennes. Après, c’est trois chiffres clés : 22 millions de Français, 1/3 de la population française, et 88 % de la surface géographique de la France. Ma mission, c’est donc de travailler pour améliorer les conditions de vie de 22 millions de Français ! En prenant en compte qu’ils ont des problématiques différentes. Et l’objectif des prochains mois est de bien les inventorier.
Comment se porte la ruralité en 2022 ? Les classes moyennes y souffrent à cause de l’augmentation du prix du carburant parce que l’on y prend davantage sa voiture qu’en ville, pour amener les enfants à l’école, pour se rendre chez le médecin, etc. On y rencontre également de très grandes difficultés pour maintenir les séniors à domicile. Il y a aussi des néo-ruraux qui la choisissent. Mais globalement, il y a une très grande souffrance qui s’est accentuée. Mon objectif est aussi de réconcilier les territoires ruraux et urbains.
Quels sont les grands enjeux ? La santé. Il faut impérativement améliorer la qualité de services, en installant par exemple des plateformes technologiques pour éviter aux gens de devoir se rendre à l’hôpital dans la grande ville. Ensuite, les mobilités. Heureusement Jean Castex a pris des engagements sur le sujet des petites lignes ferroviaires transversales. Car s’il y a souvent des bus et des trains pour amener les gens vers la ville centre, il n’y a rien pour les déplacements entre petits villes. Enfin j’aimerais travailler sur un projet où l’on installe, à chaque fois que l’on refait une route, une piste cyclable sécurisée.
Le vélo à la campagne ? On pourrait tout à fait se déplacer entre les villages, qui sont souvent éloignées de quelques kilomètres, en vélo. Mais les routes départementales sont actuellement trop dangereuses. Cela va requérir des deniers, mais le vélo n’est pas réservé à la ville. Il faut également maintenir les petites lignes d’avion pour permettre à des territoires enclavés de pouvoir se rendre à Paris. Par ailleur, il faut être plus souple sur le nombre d’enfants minimum par classe. Parce que si aujourd’hui, on ne ferme quasiment plus d’école, on continue à fermer des classes. Il faut enfin continuer à amener du haut débit dans les campagnes, surtout si on veut y développer de l’emploi.
« Le sujet du pouvoir d’achat est plus prégnant en milieu rural. Et la raison principale est l’absence d’emplois »
Vous pensez que l’on peut développer de l’emploi dans la ruralité ? J’en suis même convaincue ! Le sujet du pouvoir d’achat est encore plus prégnant en milieu rural. Et la raison principale est l’absence d’emplois. Donc mon dada sera d’amener du développement économique, de la transformation agro alimentaire pour créer de l’emploi tout en servant la cause de l’autonomie alimentaire de nos territoires que le président Macron appelle de ses vœux. Quand je vois que 100 % de la production de blé et de céréales produite dans le Lauragais va en Italie ou au Maghreb, on peut s’interroger sur ce que l’on fait depuis 30 ans pour en arriver là.
Que faut-il faire ? Il faut multiplier les projets de transformation comme celui que je mène sur Saint-Orens avec la Préfecture, la Chambre d’agriculture, la Région, la Métropole ou le CD31. La difficulté est de trouver des porteurs de projets, c’est-à-dire des jeunes qui soient à la fois agriculteurs et entrepreneurs. Il va nous falloir porter, avec le ministre de l’Agriculture, des projets de transformation beaucoup plus importantes que ceux que l’on a fait au cours de ces 30 dernières années.
Le monde économique est-il prêt à jouer le jeu selon vous ? Il est plus que prêt, il est même demandeur à condition que le foncier soit à un prix très abordable, qu’il y ait des mobilités qui permettent à leurs salariés de se déplacer et qu’il y ait du très haut débit pour mettre de la robotique. Un chef d’entreprise a envie que ses salariés soient heureux et que son entreprise se développe. Donc si on leur fait des propositions à des prix intéressants, avec des infrastructures, ils vont jouer le jeu. Je vois plein de startups industrielles qui, tout en conservant leur centre R&D en ville à côté des laboratoires publics, envisagent d’installer leurs unités de production dans des territoires ruraux.
Vous croyez donc à la revanche des villes moyennes ? Complètement. À condition que tout le monde travaille main dans la main plutôt que de se tirer dans les pattes. La politique que l’on a conduite à la Métropole avec les contrats de réciprocité fonctionnent. Quand on évite la fermeture de l’abattoir d’Auch et que les petits Toulousains mangent dans toutes les cantines de la viande issu de circuit court qui vient des élevages gersois, on a tout gagné. Il faut le reproduire partout. Je pense que les villes moyennes peuvent vraiment tirer leurs épingles du jeu.
Comprenez-vous la déception d’une partie du monde rural qui espérait pour la ruralité un ministère et non un secrétariat d’État ? Je l’entends, mais j’ai envie de tout mettre en œuvre pour que plus personne ne parle de cela dans six mois. Je vois le verre à moitié plein. Considérant qu’un gros travail avait été effectué, il eut été possible qu’il n’y ait pas de secrétariat d’État à la ruralité. Donc je crois qu’il faut plutôt saluer le choix du gouvernement d’en avoir maintenu un. Et que la personne qui s’occupe de la ruralité qui soit dans la même équipe que celui qui s’occupe de la ville.
Quelle est la vision de la Macronie sur la ruralité ? Je n’ai pas de feuille de route. On est dans un moment où chacun pose le diagnostic, analyse ce qui a été fait, évalue les politiques publiques conduites. Fin octobre, on connaitra les points forts et faibles. À ce moment-là, on fera des propositions en sachant qu’un certain nombre d’actions ont déjà été lancées et budgétées.
Avez-vous obtenu des garanties ? Pas pour l’instant. On commence à travailler sur le budget 2023. Certaines choses peuvent être faites sans argent, comme les maisons de santé pour lutter contre les déserts médicaux. Aujourd’hui, la difficulté est d’attirer des médecins dans ces maisons de santé. Or, la loi prévoit que les médecins généralistes, dans les six derniers mois de leur internat, fassent un stage en environnement rural. On va donc faire en sorte que la loi soit appliquée.
On a le sentiment, depuis le Covid, que la ruralité retrouve les faveurs des Français. Comment l’analysez-vous ? J’observe ce phénomène de manière très positive…tout en me gardant de considérer que tout est gagné d’avance. Parce que les néo-ruraux vont dans certains territoires, mais pas dans tous. Donc il faut être lucide. Je suis optimiste. Je vois un énorme potentiel autour de la transformation alimentaire, du développement de nouvelles cultures, du besoin de réindustrialiser notre territoire, de développer les énergies renouvelables. Reste à agir efficacement et à emporter les maires avec soi.
C’est-à-dire ? Ils sont le corps intermédiaire crucial pour développer des choses pertinentes. Certes on a l’agence de cohésion des territoires pour toute la partie ingénierie. Mais si le maire ne veut pas du projet sur sa commune, rien ne se fera. Heureusement en tant que maire, je parle le même langage. C’est parce que je pense que je peux les comprendre et que j’ai envie de travailler avec eux que je crois que l’on va y arriver. L’attente est grande, aussi bien pour le monde rural qui a massivement voté RN lors des dernières élections que pour le gouvernement qui en a fait un objectif majeur… J’ai le sentiment que ce ne sont pas des propos de campagne, que le président et la Première ministre veulent améliorer les conditions de vie en milieu rural. J’ai des signaux, par ma nomination et la feuille de route que l’on me laisse libre d’écrire, que ce n’est pas un vœu pieux. Concernant le vote RN, je crois qu’il s’agit de la traduction des galères que les gens vivent. C’est mon rôle de résoudre ces problèmes, d’amener des services, de la qualité de vie. Et donc de faire baisser ce sentiment de révolte et de mal-être.
Quand on vous écoute, on trouve beaucoup de similitude avec Carole Delga… Pourtant vous n’êtes pas du même bord politique. Comment voyez-vous les choses en Occitanie ? Elle a été ma première demande de rdv lorsque j’ai été nommée. J’ai énormément d’estime pour elle, pour sa personnalité, pour le travail qu’elle mène en Occitanie, sa proximité avec les élus locaux, les citoyens. Je vais travailler main dans la main avec elle car elle connaît le sujet du rural et de la proximité mieux que personne. Jusqu’à présent, le fait que nous ne soyons pas du même bord politique n’a jamais nui. Car je crois que nous avons toutes les deux le bon sens chevillé aux corps, et le souci de l’efficacité des politiques publiques.