Passée la porte de Saint-Sernin, rien n’indique la présence d’un chantier. Il règne en ce lieu un silence de cathédrale. Il faut se diriger vers le transept nord pour trouver les premiers signes de travaux. Là, s’élève une haute palissade de bois d’où s’échappe un échafaudage. Le premier palier est éclairé par des lumières artificielles. Des outils, une table chargée de poudres colorées, occupent une partie de l’espace. Près de la fresque, Gabriel Lacoste s’active. Il étale, à gestes mesurés, une pâte sur un petit platoir triangulaire. Marie-Lys de Castelbajac, chignon flou et manières engageantes, l’observe. Les deux restaurateurs ne sont pas spécialisés dans la réhabilitation d’œuvres romanes. « J’aimerais bien, mais l’offre ne serait pas assez importante pour se consacrer seulement à cette période. Par contre, cette fresque est magnifique », souffle Marie-Lys de Castelbajac, en un sourire.
Pour restaurer la fresque, Marie-Lys de Castelbajac élabore elle-même ses mélanges à base de pigments naturels – les mêmes que ceux utilisés à l’époque – et d’eau.
Avant elle, ses prédécesseurs aussi s’étaient pris de passion pour la pièce. En 1972, ils ne s’attendaient pas à faire pareille découverte : une fresque romane conservée à Saint-Sernin ? Impensable ! Au départ, ils prévoyaient simplement d’enlever le faux parement ocre ourlé de noir qui tapissait les murs de l’édifice. Les décapages ont mené à la découverte fortuite de ces peintures. Devant l’intérêt manifeste de l’ensemble, les anciens restaurateurs ont décidé de le préserver en passant un badigeon. Cependant, avec le temps, cet enduit a capturé des poussières, formant un écran opaque camouflant la peinture. Quand les nouveaux travaux ont commencé en 2018, le nettoyage de la fresque a constitué la première intervention de l’Atelier 32. L’opération a révélé une iconographie d’un style surprenant. Une déisis est visible au troisième palier des travaux. Le Christ en majesté, assis sur un trône, occupe le centre de la peinture. Marie placée à sa gauche s’apprête à le rejoindre, tandis qu’à sa droite s’avance Saint-Jean-Baptiste. « C’est une représentation typiquement byzantine, un exemple unique dans la région. Des historiens de l’art catalans doivent venir pour l’étudier », explique Marie-Lys de Castelbajac. Composition dynamique, les pieds des personnages indiquent des directions. Les vêtements se plissent sous les mouvements. Les teintes sont chaudes avec des ocres, terres et verts. Ces nuances n’ont plus rien à voir avec les tons pastel, rose d’origine. Sur le manteau, il reste des traces de bleu. « C’est une couleur précieuse au Moyen Âge. En France, elle est rare sauf ici où nous nous servions d’une pierre extraite des Pyrénées. »
Au dernier étage, un agneau de la passion orne le centre du plafond en coupole. Des anges, soutenant le ciel, sont aux angles. Le décor fait de poissons, de bustes de femmes, d’hommes tenant des gourdes, est foisonnant. Les détails sont généralement bien conservés, toutefois, on aperçoit des différences de couleurs. Ces démarcations proviennent de l’application de jus, mélange de pigments et d’eau. Les restaurateurs actuels s’en servent pour combler les lacunes du décor. Les réparations doivent permettre à l’œil de reconstituer l’image tout en laissant deviner ce qui est original. C’est un travail d’harmonisation étroitement encadré. « La restauratrice fait des interprétations et propose des solutions qui seront soumises à un conseil technique et scientifique », expose Jean-Louis Rebière. Si, à cet étage, il ne reste plus qu’à ajouter un film protecteur, aux paliers inférieurs les travaux devraient se poursuivre encore un peu. « Ça méritait qu’on y passe plus de temps », commente Jean-Louis Rebière. « Saint-Sernin, c’est la seule grande église romane restante en France. C’est fantasmatique », confie-t-il enthousiaste, pendant que les cloches sonnent la fin de la visite.
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