Alors que les Français reprendront le chemin des urnes dans quelques jours, les 18-30 ans les boudent de plus en plus. Un rejet du système institutionnel né d’un manque de confiance dans les générations précédentes, qui prend des formes différentes, et parfois inattendues.
De Greta Thunberg à Remi Cardon (le plus jeune sénateur de la Ve République), des collages féministes à la création de parti, la jeunesse expérimente de nos jours des trajectoires politiques multiples. Pendant que certains s’impliquent encore dans les partis traditionnels, d’autres s’engagent directement au profit de causes qui leur parlent. Élu dans l’équipe des jeunes socialistes de la région Occitanie à 16 ans, actif au cours des dernières campagnes électorales, Gabriel Belloc, 24 ans, a fini par quitter le PS. Lors des législatives de 2017, il s’aperçoit qu’il préfère la candidate d’en face, membre de la majorité présidentielle. Soucieux de ne pas trahir son camp, il s’en détache « pour éviter de se retrouver dans une situation délicate ». Morgan Durden, 27 ans, ne se sent pour sa part « représenté ni par la gauche, ni par la droite ». Un classique générationnel : une enquête de l’Institut Montaigne parue en début d’année, révèle que 7 jeunes sur 10 ne se positionnent pas sur l’axe gauche-droite : « La politique a évolué, mais les partis politiques ont du mal à suivre », explique Enzo Gauthier, 21 ans, rédacteur en chef de Pass’Politique, un site internet pensé pour « reconnecter les jeunes avec la politique ».
Bien qu’animés par le désir de changement, ils sont nombreux, à l’image de Morgan Durden, à renoncer à s’impliquer : « Je n’ai pas l’impression que mon bulletin de vote soit une arme efficace, puisqu’on nous pousse au vote utile dès le premier tour » lâche-t-il. Clément Marion, 25 ans, est plus blasé encore : « Tout est mené par l’argent ». Margot Dumontel, déplore, quant à elle, « cette politique du jugement qui dévie vers du buzz ». Conséquence, 82 % des jeunes se sont abstenus lors des derniers scrutins régionaux et départementaux : « Cette forme d’engagement, c’était celle de nos parents ou de nos grands-parents » lâche Alexis Costa, 25 ans. Le fait qu’on n’aille plus voter ne signifie pas qu’on n’a pas de convictions. Certains jeunes, par exemple, s’abstiennent parce que le vote blanc n’est pas reconnu. » Engagé chez Les Républicains, il a quitté le parti après trois ans de militantisme : « Je me suis dit que ce n’était pas la bonne solution de militer dans un parti, parce qu’on s’adresse à des convaincus ». Pour s’adresser a des sceptiques, il se tourne vers l’antenne toulousaine des Engagés, une association qui promeut le débat d’idées chez les jeunes : « Ce sont toujours les mêmes qui ont la parole : les partis, les syndicats ou les associations politisées. Il faut dépasser ces frontières partisanes. »
Jérôme Bordenave-Gassedat, 23 ans, a expérimenté l’engagement en marge des partis en participant aux mobilisations de la Manif pour tous : « se battre pour ou contre une question de société a plus de sens que de militer pour un politicien. Les idées d’aujourd’hui forment les politiciens de demain » assène-t-il. Adèle Fagès, 16 ans, qui met les questions du droit des femmes, du climat ou de la lutte des classes au centre de son quotidien, ne pense pas le contraire : « Les oppressions résultent du système. C’est ce qui m’a poussée à m’engager. On vit dans un monde où l’on ne peut pas fermer les yeux. » Victor Guirand, 26 ans, ne votera pas non plus à la présidentielle, refusant de « contribuer à cette mascarade ». Animateur en CLAE, il a le sentiment de militer à travers son métier, en sensibilisant les enfants aux questions de discrimination ou de protection de l’environnement. Pas en glissant un bulletin dans l’urne tous les cinq ans. « C’est un devoir qui s’exprime au quotidien, en prenant soin de son environnement, en s’informant. Débattre est essentiel, tout comme boycotter certaines marques, pratiques et institutions ». Engagée chez Extinction Rébellion, Pousse, 20 ans, va encore plus loin dans la remise en cause du pouvoir et des institutions. Elle vit son engagement comme le fruit d’une « déconstruction du fonctionnement de la société ». Elle considère sa morale supérieure aux lois, et a choisi la désobéissance civile : « Les lois qui régissent la société ne sont pas toujours morales. Donc il faut bien les combattre et désobéir. Notre génération est un peu perdue. On vote pour des gens qui ont 30 ou 40 ans de plus que nous, on ne sait pas trop ce qu’ils font, on ne les comprend pas trop », conclut la jeune femme… étudiante à Sciences-Po.
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