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BOUDU

Halim : « Je me suis décolonisé »

Comment vous êtes-vous retrouvé à collaborer sur ce projet? Je connaissais un peu le travail de Feurat Alani, j’avais vu certains de ses reportages dans le Monde Diplomatique ou sur Arte. Mais je ne le connaissais pas. Une maison d’édition, après Petite Maman, est venue me voir pour me proposer d’illustrer son enquête.

Jusqu’à présent, vous aviez toujours scénarisé vos albums. Pourquoi avoir accepté cette proposition ? Je voulais savoir ce que ça faisait de dessiner pour un autre. Je pensais que ce serait reposant… En réalité, j”ai l’impression que mon cerveau a du mal à se contenter de dessiner ! Mais j’ai adoré cette collaboration, en premier lieu parce que l’enquête est remarquable.

Racontez-nous… Il s’agit d’une enquête sur l’utilisation des armes chimiques lors de l’invasion américaine en Irak. C’est un sujet terrifiant, puisque, rien qu’à Falloujah, où la famille de Feurat vit toujours, 2000 tonnes de bombes à l’uranium appauvri ont été larguées. Depuis, tout est empoisonné (l’eau, l’air, la terre). Il y a 52 éléments chimiques non répertoriés supplémentaires. Les médecins conseillent par exemple aux femmes de ne plus faire d’enfants jusqu’à nouvel ordre ! C’est vraiment une enquête interdite.

En quoi cette enquête est interdite ? Elle me fait penser au film Les hommes du président d’Alan Pakula. Elle est interdite parce que les scientifiques qui tentent de mener des investigations sont intimidés (menaces de mort, coupures de budget, mises à l’écart), y compris les Américains (certains ont été virés du Pentagone). Il faut savoir que la plupart des soldats sont revenus malades, et enfantent eux aussi des bébés déformés. C’est sans doute pire qu’Hiroshima et Nagasaki. Mais personne n’en parle. J’ai vraiment pris une claque en la lisant.


Comment avez-vous procédé avec Feurat ? Il a d’abord fallu que l’on fasse connaissance. Lui étant basé à Dubaï, on s’est appelé. Et on s’est très vite compris. La vie de Feurat, c’est un peu la mienne : il vient d’un pays, l’Irak, où il n’a pas pu se rendre (comme l’Algérie pour moi) à cause des guerres. Il y a donc eu très vite beaucoup de connexions entre nous. Après, il a fallu que je fasse beaucoup de recherche documentaire pour comprendre les modes de vie en Irak.

En creux, le message de cet album est qu’il faut se méfier des apparences… Soyons clair : l’album ne cautionne pas le terrorisme, mais il explique pourquoi Daech est apparu. Parce qu’il n’est pas arrivé par hasard. Falloujah met en garde ceux qui se berceraient d’illusions en cherchant à se convaincre qu’ils sont du bon côté.

Vous caressez l’espoir que cet album fasse bouger les choses ? J’ai bien peur que cette enquête reste lettre morte. Et ce malgré le prix Albert Londres qui valide pourtant le travail de Feurat. Après l’espoir, c’est toujours bien. Car comme le dit très bien Noam Chomsky, ce n’est pas une question de choix que d’être optimiste.

Vous écriviez, il y a dix ans, votre premier album, Arabico. Y-a-t-il un lien avec Falloujah ? Le lien, c’est l’immigration et le souci de se débarrasser de son histoire surtout. Je pense qu’avec Falloujah, j’en ai fini, ça y est !

Qu’entendez-vous par « « se débarrasser de son histoire » ? Je n’étais pas comme les autres auteurs de BD. J’étais prisonnier du monde arabe, un peu je pense comme Enki Bilal l’a été pendant longtemps avec la Yougoslavie. J’avais des comptes à régler, des choses à dire. Avant, j’écrivais en tant que colonisé. Mais depuis Petite maman, j’ai enlevé mon nom de famille et je ne signe plus qu’Halim.

Vous trouviez votre nom trop lourd à porter ? Cela ne me dérange pas d’être défini par mon origine mais j’aspire à ce que ce soit moins déterminant : avant j’écrivais en tant qu’Algérien parce que j’avais des messages personnels à dire. Mais aujourd’hui je ne veux pas être comme Rachid Bouchareb qui passe sa vie à faire des films centrés sur la même question. J’aime bien l’éclectisme. Et j’aime bien l’idée que l’on s’adresse à tout le monde dans une œuvre.


Vous aspirez, en somme, à transmettre un message plus universel dans vos albums, c’est bien ça ? Oui, c’est ça. En fait, on peut dire que je me suis décolonisé d’Arabico à Falloujah. Tant que j’étais en colère, je me piégeais tout seul, je m’auto-sabordais. Vu que j’écrivais que ce que je dessinais, je ne sortais un album que tous les deux-trois ans, un peu comme on crache une pastille Valda. Mais ce n’est pas ça être un artiste. Au fond, je crois que c’était davantage une thérapie pour m’aider, et aider ceux que j’aime : les quartiers, les banlieues, les pays du sud, l’Afrique…

Donc le changement, c’est maintenant ? Après Falloujah, je sais que je vais entrer dans la surface de combat artistique. Car je ne me suis pas vraiment amusé avec la BD jusqu’à maintenant. Il y avait en moi trop de colère, d’intranquillité comme Pessoa… Ou comme Toni Morrison. J’adore ce qu’elle fait. J’aurais aimé qu’elle vive plus longtemps car je suis sûr qu’elle aurait parlé d’autre chose. Mais quel drame de n’avoir parlé que des noirs toute sa vie ! Le monde est devenu multipolaire maintenant. Les messages que je veux faire passer, j’ai l’impression qu’ils ont davantage de portée si j’enlève la couleur ou le sexe.

Vous avez une idée des prochains thèmes que vous souhaitez aborder ? Mes prochaines œuvres vont être sur des sujets aussi différent que le sexe alimentaire, la transsexualité, les super-héros, les années 20 à Hollywood… Et grande nouveauté, ce seront d’autres dessinateurs qui vont dessiner certaines de mes histoires.

Vous avez désormais davantage d’aspirations de scénariste que de dessinateur ? Oui, le scénariste a pris le dessus. Il y a un flot d’histoires qui débarque tous les jours. Mon problème, c’est que le robinet à inspiration est ouvert en permanence ! Je veux faire des œuvres légères et divertissantes mais aussi excitantes pour le cerveau. Mais attention, c’est tout sauf creux ce que je veux faire ! Je veux mettre en lumière notre façon d’ingérer les choses, de les accepter, notre manière de regarder la vie, les interdits. En résumé, c’est comme si j’ouvrais enfin mon coffre à jouets à l’âge de 43 ans.

Fal

loujah, ma campagne perdue de Feurat Alani et Halim, 126 pages aux éditions Les Escales

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