Président du Centre national d’agroécologie, Alain Canet estime qu’en Occitanie comme ailleurs, le salut viendra de l’arbre. Il en veut pour preuve un récent voyage au Maroc, où les paysans produisent en quantité aux portes du désert.
« J’ai fait, en compagnie de l’ethnobotaniste Geneviève Michon, un voyage d’études prospectives au Maroc. Presque un voyage initiatique. Il y a beaucoup d’agroforesterie au Maroc. Par endroit, le climat qui y règne pourrait être celui de certains coins d’Occitanie dans quelques décennies. On est allés voir comment les paysans marocains se sont adaptés, comment ils peuvent continuer à cultiver du blé et à élever des moutons jusqu’aux portes du désert. Même si j’avais vu des photos, même si je savais cela possible, j’ai pris en pleine poire le spectacle d’un million d’hectares d’arganiers, avec autour des millions de gens qui vivent de l’élevage, de la polyculture, de la récolte et de la fabrication d’huile d’argan et de miel, avec des coopératives gérées par des femmes. Ils ont mené tout un boulot de micro-climatisation par le végétal et de gestion des flux d’eau, en faisant passer la même eau plusieurs fois par la même plante. »
J’ai vu de mes yeux vu que les arbres hydratent les milieux secs. Je me suis dit Eureka!, c’est la réponse à nos problèmes de coteaux qui se désertifient dans le Gers, le Lauragais et le Larzac ! Moi qui milite pour les trognes* depuis la première heure, j’ai compris qu’elles hydrataient les milieux secs. La coopération entre le végétal et les paysans y est génialissime, jubilatoire. 200 kilomètres plus loin j’ai vu un parc à frênes fourragers. On y fait manger la feuille du frêne aux animaux. Chez nous, le frêne est donné pour être un arbre d’eau, de rivière de milieu humecté. Au Maroc, les paysans, en le trognant, l’ont rendu nain, et en le nanifiant ils lui ont donné une résistance phénoménale à la chaleur et au manque d’eau. Les paysans nourrissent tous leurs troupeaux avec du frêne, et il n’y a d’herbe que sous les arbres. Cela fait tomber toutes les idées reçues ! » Plus loin j’ai vu des parcs agroforestiers de chênes-lièges, où l’on produit de l’eau de qualité pour la ville de Rabat, du mouton, des glands comestibles et du bois pour faire cuire la bouffe. Ces parcs sont gérés par les paysans eux-mêmes, l’arbre étant à la fois le patrimoine, l’outil de prévention, de régulation, de protection, de production. Plus loin encore des parcs agroforestiers d’oliviers, de plantes persistantes comme les genévriers… implantés dans une aridité terrible ! » Et chaque fois, les mêmes constantes : du bon sens, de l’adaptation, de la biodiversité, et de la productivité, parce que dans ces milieux de grande aridité… on produit beaucoup ! C’est un message d’espoir monumental dont nos politiques devraient s’inspirer. Chez nous, on élabore des programmes très segmentés. Là-bas, les paysans traitent de façon transversale le sol, la biodiversité, la biomasse, le climat, le paysage, et l’animal. De cette manière, ils se sont sédentarisés dans des zones que d’autres auraient jugé impropres à la culture. C’est une belle leçon de vie. Un vrai sujet de société. Ce bon sens de l’arbre est planétaire : les gestes des paysans marocains qui trognent les arbres sont rigoureusement identiques à ceux qu’exécutaient nos paysans des Pyrénées. »
*Arbre régulièrement taillé à la même hauteur, pour son bois, son feuillage, ses fleurs ou ses fruits. La trogne est le résultat d’une technique paysanne d’exploitation de l’arbre, auquel on a coupé le tronc ou les branches maîtresses à une hauteur choisie, pour provoquer le développement de rejets que l’on récolte ensuite périodiquement. Source : Association française d’agroforesterie