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Jean-Luc Moudenc : «  Les conflits entre usagers m’inquiètent »

  • BOUDU
  • 6 juil. 2019
  • 7 min de lecture

Commençons par l’apparition des nouveaux modes de transport comme le vélo électrique, la trottinette…. Que vous inspire ce foisonnement ?

Il est le produit du progrès technologique et aussi d’une modernisation de la société. Mais plus on ajoute des moyens de transport, plus la difficulté est grande de les concilier. D’autant que l’espace public, lui, ne s’élargit pas et que l’on avait déjà des conflits entre les automobilistes, les vélos et les piétons. Ce sont des conflits qui me désolent en tant qu’élu car lorsqu’il y a conflit, c’est toute la mobilité qui est contrariée et toute la dynamique que nous voulons impulser qui est compromise. C’est donc pour moi une source d’inquiétudes.

Pourriez-vous envisager la mise en place d’un code de bonne conduite ?

Il y a déjà un code de la route ! Des réglementations, des conditions, des interdictions, ont été posées dans la loi sur les mobilités. C’était vraiment nécessaire. Parce que nous, les maires, sommes démunis face à ces sujets-là.

Pourquoi a-t-on le sentiment qu’il est plus difficile de se déplacer à Toulouse qu’ailleurs ?

C’est un discours tarte à la crème que l’on verra sans doute resurgir lors des prochaines échéances électorales. Mais ce n’est pas vrai : quand on regarde le nombre de passagers transportés par le réseau Tisséo, on se trouve au 3e rang national alors que l’on est la 5e métropole de France. On est donc en avance.

Pourquoi dès lors cette impression de retard ?

Parce que la croissance démographique et économique se fait à un rythme plus fort encore que la progression des investissements en matière de transports et d’infrastructures de déplacements. Et que la congestion automobile est toujours là. Mais quand on se rend dans les autres agglomérations, y compris celles qui ont fait des choix différents comme Bordeaux avec le tout-tramway, on s’aperçoit que la congestion est la même. C’est propre à toutes les métropoles en développement. C’est une vérité qui n’est pas toulousaine mais nationale.

Vous ne partagez donc pas l’avis de ceux qui estiment que vos prédécesseurs auraient manqué d’ambition en matière de transports ?

Quand on veut quitter les habits de la démagogie politique et du discours électoraliste, et que l’on regarde la réalité ailleurs, on relativise la situation toulousaine. Ce n’est pas une raison pour rester les bras croisés, bien au contraire d’ailleurs, puisque l’on a fait un effort bien supérieur à ce qui avait été fait auparavant. Entre 2014 et 2020, nous aurons investi dans le développement des transports en commun 1 milliard 120 millions d’euros, soit 30 % de plus qu’au cours de la période 2008-2014.

Pourquoi ces questions de mobilité crispent-elles autant le débat ?

Parce que je pense qu’il y a d’un côté une approche très politique, dogmatique, et de l’autre une approche, qui est la mienne, qui recherche l’efficacité et le pragmatisme. Cela ne date pas d’aujourd’hui puisque les débats étaient déjà vifs lorsque Dominique Baudis était aux commandes. La seule fois où il n’y a pas eu de débat, c’était pour la 2e ligne de métro.

Pourquoi y a-t-il eu consensus autour de la 2e ligne de métro ?

Parce que Pierre Izard, qui était à la tête du Département, avait fait preuve de bon sens et de lucidité. Il m’avait dit  : « Nous avons perdu la bataille du métro en 1983, à l’occasion de la première ligne. On ne va pas en lancer une autre pour la 2e ligne parce qu’on la perdrait. Les Toulousains ont déjà tranché en faveur du métro ». Il n’a pas forcément été suivi par ses camarades lorsqu’ils se sont retrouvés aux commandes.

En étudiant l’histoire des élections municipales à Toulouse, on s’aperçoit qu’elles se sont souvent jouées autour de la question des mobilités. Pourquoi ?

C’est effectivement toujours le thème dominant pour une raison très simple : Toulouse bat tous les records de croissance. Il n’y a pas d’autre agglomération en France qui crée autant d’emplois, et qui connaisse une aussi forte croissance démographique. Par conséquent ces deux phénomènes, complètement liés l’un à l’autre, conduisent à des besoins de mobilité croissants.

Quand on se rend dans les autres agglomérations, on s’aperçoit que la congestion est la même. 

En vous écoutant dire que les investissements vont toujours moins vite que la croissance démographique, on est en droit de se demander si on parviendra à synchroniser les deux. Une piste ne serait-elle pas d’œuvrer à une meilleure répartition de l’activité sur le territoire ?

J’y suis favorable. Mais je sais aussi que les arbitrages rendus par les investisseurs et les chefs d’entreprises pour se localiser à un endroit ou à un autre obéissent à des paramètres qui ne sont pas politiques mais extrêmement réalistes. C’est la proximité par rapport à un certain nombre de services qui prime, ce qui explique pourquoi les entreprises préfèrent parfois se regrouper autour du noyau toulousain plutôt que de se disperser dans la périphérie ou plus loin encore. 

Quelle est la solution ?

Elle est entre les mains des acteurs économiques. Parce qu’à la fin, ce ne sont pas les élus qui décident. Même si c’est nous qui aménageons les zones d’activité, à la fin ce sont les entreprises qui font les arbitrages. Et je pense que c’est une question qui n’a pas été suffisamment travaillée avec les milieux économiques. J’aimerais des coopérations renforcées, directes, sans intermédiaire, entre la Métropole et les intercommunalités rurales de manière à répartir harmonieusement le développement.

À quels intermédiaires faites-vous allusion ?

Je vous laisse deviner… J’estime que le clivage urbain-rural n’est pas sain. Et qu’il faut, au contraire, essayer d’œuvrer à la réconciliation. Pour cela il faudrait, chose qui ne se fait quasiment jamais dans ce pays, que l’urbain et le rural travaillent ensemble plutôt que de se regarder en chiens de faïence. Or le jeu politique, territorial, jusqu’ici, n’a pas permis cette relation de travail directe. C’est que ce que j’ai essayé d’initier dans ce mandat au travers notamment des contrats de réciprocité. Je suis le premier maire de Toulouse à faire cela, parce que je considère que ce n’est pas bon pour la cohésion sociale d’avoir d’un côté une Métropole qui accumule les richesses, et de l’autre une péri-urbanité ou un monde rural en déprise économique. 

Il faudrait, chose qui ne se fait quasiment jamais dans ce pays, que l’urbain et le rural travaillent ensemble.

Revenons à la question des transports. Quels sont les enjeux pour la Métropole en matière de mobilités ?

On a fait une étude en arrivant aux responsabilités en 2014 qui montrait qu’entre 2015 et 2025, il y aurait 500 000 déplacements par jour supplémentaires sur la grande agglomération toulousaine. L’enjeu, c’est de faire face à cette augmentation en mettant en œuvre le plan mobilités que nous avons révisé et qui d’ici 2030 aura permis d’investir quatre milliards d’euros sur le territoire de la grande agglomération toulousaine. L’autre enjeu réside autour de la route.

La route, c’est-à-dire ?

Jusqu’à ce que j’arrive aux responsabilités en 2014, il y avait un dogme qui prévalait à Toulouse, imposé par les Verts, qui était qu’il ne devait pas y avoir d’investissements routiers. La totalité des investissements devait aller aux transports en commun. Depuis mon arrivée, je n’ai cessé de dire qu’il fallait prioriser les transports en commun tout en investissant dans le routier. Au niveau de la Métropole, il faut que l’on soit capable, sur les 20 annnées à venir, de concrétiser le plan d’aménagement routier métropolitain (PARM).

Est-ce compatible avec l’urgence écologique ?

Il faut concilier l’urgence écologique avec les déplacements. C’est possible de plusieurs manières. Notamment en développant le vélo. C’est un enjeu qui peut paraître de moindre envergure mais qui répond à une demande sociétale de plus en plus forte. Aujourd’hui, on y consacre grosso modo 10 millions d’euros par an d’investissements pour 600 kilomètres de pistes aménagées sur la Métropole. Il faut que l’on fasse plus. Surtout quand on voit que pratiquement la moitié des déplacements du quotidien sur Toulouse fait moins de trois kilomètres.

Quel est votre objectif en matière de vélo ?

L’objectif est d’arriver à 25 millions d’euros. L’État a annoncé qu’il allait débloquer un plan vélo au niveau national. Peut-être que cela peut nous permettre d’aller plus vite que prévu. Mais pour ce faire, il faut avoir un itinéraire pratique et sécurisé. C’est au fond la même logique que pour les transports en commun.

Que voulez-vous dire ?

On a beau les développer, il faut surtout qu’ils soient attractifs et performants si on veut inciter les gens à laisser leurs voitures. C’est pour cette raison que l’on a opté pour le métro car il attire plus que le tramway ou le bus. Et puis il y a les transports propres. On a besoin de développer la voiture propre. Car si demain, sur les routes, la proportion des véhicules qui y circulent est plus forte, alors on aura réussi à concilier la mobilité routière avec l’écologie.

Quand on voit la rapidité du progrès technologique, il semble de plus en plus difficile de deviner comment les gens se déplaceront à l’avenir. Pour prendre un cas concret, comment être sûr que le métro continuera, à Toulouse, à être plébiscité par la population ?

Je pense que le métro va rester attractif très longtemps. À une condition : que le tracé des lignes soit pratique, qu’il desserve de l’habitat dense et des zones d’activité. C’est d’ailleurs pour cela que la 3e ligne est celle qui a donné lieu aux études les plus poussées, et aux débats citoyens les plus développés. Jamais on n’avait eu un conseil scientifique, un débat public. Jamais on n’avait saisi le secrétariat général pour l’investissement de l’État. Elle a été étudiée, préparée techniquement, expertisée, contre-expertisée, critiquée, débattue, améliorée dans une proportion incomparable aux deux précédentes.

Pourquoi ?

Parce que les citoyens sont aujourd’hui plus demandeurs de participer aux décisions qu’auparavant. Et parce que l’enjeu financier est plus important. La 3e ligne, en longueur, est l’addition de la ligne A et la ligne B. C’est aussi un investissement plus coûteux. L’importance du projet justifiait donc qu’on le prépare de manière plus approfondie.

Élargissons la réflexion à l’échelle régionale. Carole Delga appelle à la création d’une autorité organisatrice des mobilités sur l’ensemble des réseaux. Qu’en pensez-vous ?

Il y a peut-être des simplifications nécessaires pour la Région, mais pour l’organisation des transports urbains, il faut que ce soit les élus urbains qui décident. Mais au fond quel est le changement nécessaire ? Je ne pense pas, pour être honnête, que les congestions en matière de déplacements sur l’agglomération toulousaine soient dues à un problème organisationnel des pouvoirs publics chargés des transports. Donc si l’on veut faire des changements institutionnels, on fera plaisir à certains pouvoirs publics, moins à d’autres. Mais dans la réponse concrète, dans le service apporté au citoyen, ça n’amènera rien.

Même pour les routes ?

Il y a des coopérations possibles, comme celle mise en œuvre entre la Métropole et le Département depuis que nous avons hérité, en 2017, de la gestion des routes départementales situées sur notre territoire. Vu qu’il s’agit souvent de la même route, il est logique que l’on travaille ensemble. C’est ce que l’on a fait avec Georges Méric en signant l’accord qui prévoit un co-investissement pour développer les routes sur la Métropole.

Vous êtes donc d’accord avec la présidente de Région pour dire que la coopération, en matière de route, est nécessaire. Pourquoi ne pas aller plus loin ?

C’est effectivement un axe de coopération qui fait consensus. Mais selon moi, cette coopération à mettre en œuvre ne doit pas se traduire par la mise en place d’une nouvelle structure. On ne va pas créer une autorité organisatrice supplémentaire ou doter la Région d’un pouvoir accru. On doit faire de la coopération en restant chacun chez soi. Comme ça il n’y a pas d’enjeu de pouvoir.

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