Le maire de Toulouse, Jean-Luc Moudenc, coincé entre injonctions contradictoires et préservations du patrimoine.
Dans la réponse à la tribune du Collectif pour la protection de l’œuvre de Pierre Debeaux, vous reprochez à ses signataires de « caricaturer les élus en saccageurs du patrimoine »
Dans ces polémiques, l’attitude des hommes de l’art s’apparente à de l’élitisme ou du mépris. Ces tribunes sont souvent signées à Paris par des gens qui regardent les élus de haut sans les consulter ni se préoccuper des besoins des habitants.
Ne jouent-ils pas simplement leur rôle ?
Le rôle de ceux qui identifient un danger est effectivement d’alerter, de sonner les cloches. Encore faut-il qu’il y ait danger.
Le patrimoine que constitue la caserne n’est donc pas en péril ?
Au contraire. Cette caserne est un patrimoine auquel le public n’a jamais eu accès. J’ai l’espoir que sa reconversion permette aux Toulousains d’accéder à cette œuvre architecturale dont je connais la valeur, et qui doit être préservée.
Comment les Toulousains peuvent-ils être sûrs que le futur propriétaire la préservera ?
Dans le cahier des charges de la consultation, nous avons inscrit que nous serions attentifs à la préservation de ce patrimoine qui, bien qu’il ne fasse pas l’objet d’une protection au titre des Monuments historiques, est labellisé Architecture remarquable du XXe siècle.
Ce label n’étant pas contraignant, comment s’assurer de l’avenir du site ?
La règle du jeu est clairement posée. J’ai proposé une méthode collaborative au préfet, à l’architecte des bâtiments de France, au directeur régional des affaires culturelles et au président de la commission régionale du patrimoine et de l’architecture.
En quoi consiste cette méthode ?
Nous classerons les projets ensemble, et sélectionnerons ceux qui respectent le patrimoine de Pierre Debeaux. Je m’engage à écarter les autres. La collectivité fera ensuite son choix parmi les projets retenus.
Une demande de classement aux Monuments historiques est en cours. Le résultat est attendu le 6 juin. Souhaitez-vous ce classement ?
Je souhaite cette protection, mais je ne suis pas partisan de la conservation intégrale. Je laisse cela aux intégristes. Je combats le point de vue des conservateurs et leur vision fixiste. L’architecture, c’est la vie. Et la vie, c’est le passé respecté pour partie, et l’avenir qu’on écrit. Pourquoi l’architecture échapperait-elle à cette loi de la vie ?
Les signataires de la tribune estiment que détruire une partie de la caserne affecterait la cohérence de l’ensemble…
Il y a une cohérence, en effet… pour une caserne de pompiers ! Il y a des éléments remarquables qui doivent être conservés, et d’autres – piscine, fosse, tour d’habitations – qui ont vocation à être détruits ou adaptés.
Cette histoire rappelle celle de l’hôtel de Lestang, mis en vente par la mairie cette année du fait de l’impossibilité de le mettre aux normes et d’y installer un ascenseur…
Comme la caserne Vion, l’hôtel de Lestang est un immeuble municipal qui n’a jamais été utilisé par la mairie – il était la résidence du recteur ou de la rectrice – et auquel les Toulousains n’ont jamais eu accès. On imaginait y installer des services culturels. Le problème c’est qu’il y a de grandes hauteurs sous plafond, que l’ensemble n’est pas fonctionnel, et que son magnifique escalier Renaissance ne répond pas aux règles d’aujourd’hui.
Les normes sont-elles les ennemies du patrimoine ?
Reconnaissons que l’intérêt général est indiscutable quand il s’agit d’accessibilité des personnes qui souffrent de handicap. Reconnaissons aussi que les normes environnementales et de sobriété énergétiques de plus en plus sévères, sont vertueuses. Il n’en reste pas moins que nous vivons, nous les élus locaux, dans tous les domaines, au milieu d’injonctions contradictoires.
C’est-à-dire ?
L’État nous dit par exemple de construire davantage de logements. Dans le même temps, il nous demande de diminuer de moitié la consommation foncière. Cela signifie construire deux fois plus avec deux fois moins de terrain… donc plus haut. Mais les citoyens, eux, dont la consultation – et c’est une bonne chose – a été approfondie et amplifiée par l’État, nous demandent de ne pas construire trop haut.
Comprenez-vous que des riverains ou des architectes s’inquiètent quand un patrimoine leur semble menacé ?
Je comprends, parce qu’il y a encore quelques décennies, on saccageait les villes. Le patrimoine toulousain est orphelin d’œuvres d’art détruites de manière scandaleuse. Mais tout cela n’existe plus ! Aujourd’hui, on ne détruirait pas la halle des Carmes.
Comment expliquez-vous ce désir collectif de conservation ?
Par la peur de l’avenir. Notre monde est tourmenté, chaotique. Inventer l’avenir est un exercice plus compliqué aujourd’hui qu’au temps des Trente Glorieuses. Le rôle d’un responsable politique est de ne pas succomber à cette peur, même si elle prend l’allure de pétitions, de polémiques. Il faut garder son sang-froid et ses principes. Je suis pour la préservation, la mise en valeur, mais aussi la reconversion du patrimoine, conformément à l’intérêt général. Une fois de plus, je ne suis pas fixiste.
Pas fixiste mais conservateur ?
Je peux être taxé de conservatisme politique sur certains aspects, mais en bon centriste, je suis davantage réformateur que conservateur. Réformateur, mais pas révolutionnaire.