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BOUDU

L’épopée Figeac

Quand nous sommes arrivés aux affaires en 1977, Figeac était encore une ville très rurale », se souvient Jean-Claude Lugan, d’abord adjoint à la culture puis chargé des affaires économiques au sein de l’équipe municipale de Martin Malvy. « Il y avait encore des foires aux bestiaux et une population d’agriculteurs très importante. » À l’époque, la ville ne dispose d’aucune zone d’activités, d’artisanat ou de commerce. Et l’usine Ratier, fleuron industriel qui produit des hélices d’avion depuis 1918, frôle la faillite.

Alors la nouvelle équipe municipale s’est faite élire sur un programme axé sur le développement du tissu économique local et la création d’infrastructures. L’une de ses premières mesures est notamment de créer, au milieu des années 1980, une première zone artisanale. La zone de l’Aiguille. Certains Figeacois, qui auraient préféré que ces terrains restent agricoles renâclent. « Mais soit Figeac se recroquevillait sur elle-même, soit elle se développait. Nous avons choisi de nous développer », tranche Martin Malvy.

C’est une erreur de croire que l’on peut faire tout seul. On peut initier des politiques, mais il faut un entourage, des collaborateurs, et des interlocuteurs industriels. 

Dans le même temps, grâce, notamment, à l’essor de l’aéronautique, l’économie locale commence à retrouver des couleurs. Au sein du bassin d’emploi qui va de Rodez à Brive, près de 200 entreprises actives dans la mécanique et l’aéronautique montent en puissance. Situé juste au milieu de cet axe, Ratier-Figeac retrouve lui aussi des forces. L’entreprise, reprise par le groupe Lucher après sa quasi-faillite et désormais dirigée par Robert Vitrat, un ami d’enfance de Martin Malvy, est en pleine croissance. Au point d’avoir besoin, dès la fin des années 1980, de s’agrandir. Mais aucun terrain n’est disponible à proximité. « Robert Vitrat a un moment laissé planer l’hypothèse d’un départ de Figeac. On a compris le message et on a réagi très vite », se souvient Jean-Claude Lugan. Et pour cause, Ratier est redevenu l’un des principaux moteurs économiques et employeurs de la ville, et il n’est pas question de le laisser partir. En à peine plus d’un an, la municipalité acquiert les terrains adjacents à l’entreprise, remblaie des zones inondables, et créé une nouvelle zone : la zone de Lafarrayrie. « Cet épisode nous a appris que le politique avait intérêt à réagir très vite pour ne pas laisser passer des opportunités », se souvient Jean-Claude Lugan.

Ratier-Figeac et Figeac Aero comme moteurs

Dans la même période, Robert Vitrat veut rapatrier localement les 800 000 heures de travail qu’il sous-traite chaque année à des entreprises lointaines. Il encourage alors les cadres de Ratier à quitter l’entreprise pour monter leur propre activité et devenir sous-traitants. Pour les inciter, il leur garantit un carnet de commande pendant les premières années, des formations, du prêt d’outillage, la possibilité de partir avec deux salariés, et celle de réintégrer Ratier dans les deux ans en cas d’échec. Une dizaine d’entreprises créées via cette politique « d’essaimage » existe toujours aujourd’hui.

Parmi les cadres qui saisissent cette opportunité figure Jean-Claude Maillard. En 1989, l’ancien technico-commercial s’installe dans un hangar municipal rudimentaire au sol en terre battue doté d’un bureau et d’un pont roulant que lui prête la mairie en échange d’un loyer très bas. Il y crée Figeac Aero, spécialisé dans la fabrication de pièces élémentaires pour les avionneurs et les équipementiers aéronautiques. À peine deux ans plus tard, Figeac Aero déménage à la zone de l’Aiguille, et devient la première société de Figeac à bénéficier d’un système qui sera étendu plus tard sur le territoire : la location-vente, ou « atelier relais ». Concrètement, la Ville mobilise les aides du Département, de la Région, de l’État et de l’Europe, emprunte les fonds nécessaires, construit le bâtiment et fait payer au locataire un loyer qui le rend progressivement propriétaire. « J’ai toujours été convaincu que l’entreprise ne devait pas bloquer ses moyens financiers pour le foncier », explique aujourd’hui Martin Malvy, qui développera plus tard cet outil à l’échelle régionale lorsqu’il prendra les rênes de Midi-Pyrénées.

On a appris que le politique avait intérêt à réagir très vite pour ne pas laisser passer des opportunités.

Aujourd’hui, Figeac Aero est devenu un groupe mondial coté en bourse qui emploie 3300 salariés dont 1200 à Figeac (où il conserve son siège et ses activités de recherche), a généré un chiffre d’affaires de 372 millions d’euros en 2017, et détient des sites de production en Tunisie, aux États-Unis, au Maroc ou encore au Mexique.

Dans les années 1990 et 2000, des dizaines de sociétés – dont des groupes étrangers – viennent s’installer dans le sillage de Ratier-Figeac et Figeac Aero, et constituent un écosystème solide lié à l’aéronautique et la mécanique : soudure de pointe, peinture industrielle… De quoi réjouir responsables économiques et politiques. « Avec Figeac Aero, Jean-Claude Maillard a su drainer des entreprises alors que Figeac n’était pas la ville la mieux placée. Le nombre d’emplois industriels a doublé en 30 ans », se félicite Martin Malvy. Aujourd’hui, sur les 16 500 emplois que compte la zone d’emploi de Figeac, 4 000 sont des emplois industriels majoritairement liés à l’aéronautique et la mécanique. Au premier trimestre 2018, le taux de chômage y était de 6,9 %, bien en-deçà des moyennes nationale (9,2%), régionale (10,7%) et départementale (8,8%). Et la zone d’emploi se classait 3e en termes de plus faible taux de chômage sur les 33 zones d’emploi d’Occitanie.


Arnaud Montebourg, alors ministre du Redressement productif, en visite à la Mecanic Vallée, en 2012.


Mecanic Vallée

Une expansion économique qui est aussi due au rayonnement national, voire européen dont bénéficie Figeac grâce à l’aura de la Mecanic Vallée, une initiative née en 1999 d’une volonté commune des acteurs économiques et politiques locaux de créer une dynamique interdépartementale dans les secteurs de l’aéronautique et de la mécanique. Un Système Productif Local (SPL), outil alors très peu utilisé, qui réunit aujourd’hui 200 entreprises et représente 14 000 emplois entre l’Aveyron, le Lot, la Corrèze, la Haute-Vienne, et certaines zones du Cantal et de la Dordogne Est. De ce rapprochement d’entreprises sont nées de nombreuses collaborations qui dynamisent un peu plus le tissu économique et industriel du bassin et le font rayonner à l’échelle européenne. « C’était indispensable parce que nous sommes éloignés de la métropole toulousaine, et des liaisons internationales, ce qui reste un handicap pour l’économie », constate Jean-Claude Lugan.

Pour s’adapter à ce développement économique exponentiel, et notamment à l’extension rapide de Figeac Aero, les pouvoirs publics agrandissent les zones d’activités et industrielles existantes et en créent de nouvelles sur le territoire intercommunal. La dernière en date est celle de Quercypôle, qui a ouvert à Cambes en 2015, et est dotée, entre autres, d’une pépinière et d’un hôtel d’entreprises, et bientôt d’un centre de formation industriel pour former de la main d’œuvre qualifiée. Car la formation est depuis plus de 20 ans un autre enjeu majeur du développement industriel de Figeac.

À la fin des années 1990, politiques et industriels figeacois se sont alliés pour obtenir la création d’un IUT. Objectif : fournir de la main d’œuvre qualifiée adaptée aux besoins des entreprises locales. Un IUT obtenu de haute lutte auprès du rectorat après des mois de tractations, comme le raconte Martin Malvy. « Jospin avait dans un premier temps refusé que l’IUT s’installe à Figeac, considérant que la ville était trop petite. Pour forcer la décision, j’ai invité le recteur à venir visiter les entreprises locales. Il était loin d’imaginer l’existence d’un tel tissu industriel. C’est ce qui l’a convaincu d’appuyer le projet. »

Grâce à son IUT, ouvert en 1995 avec un BTS en génie mécanique et productique – d’autres diplômes sont délivrés depuis – Figeac, avec ses 9 900 habitants (intramuros) est toujours la plus petite ville universitaire de France. De quoi renforcer l’attractivité de la ville auprès des jeunes et des entreprises, à quoi il faut ajouter des transports gratuits, ou encore la réhabilitation du centre-ville. « L’avantage à Figeac, c’est que les collaborateurs sont attachés à leur région, leur qualité de vie, et leur entreprise. Il n’y a pas d’embouteillages, et moins de tentations de quitter l’entreprise », salue-t-on chez Figeac Aero.

Optimisme et prudence

Pour les acteurs de l’époque, le succès économique de Figeac est essentiellement dû à la collaboration des politiques et des entrepreneurs. « C’est une erreur de croire que l’on peut faire tout seul. On peut initier des politiques, mais il faut un entourage, des collaborateurs, et des interlocuteurs industriels, avertit Martin Malvy. On a eu la chance, à Figeac, dans une petite ville, de trouver ces partenaires. » Un constat partagé par Robert Vitrat : « Nous avons su faire abstraction de toute considération politique. Nous avons œuvré ensemble, et personne n’a tiré la couverture à soi ». « Même si ça a été sportif et que j’en ai eu quelques nuits blanches », sourit Jean-Claude Lugan. Pour lui, Figeac est devenu « la preuve qu’il n’y a pas besoin de centraliser pour fonctionner, grâce à la conjonction de trois facteurs : la présence aéronautique, la volonté politique de Martin Malvy de développer le secteur industriel, et les qualités de chefs de projets comme Robert Vitra et Jean-Claude Maillard. »

Mais le trio s’accorde aussi pour rester prudent, même si des entreprises à fort potentiel, comme WhyLot, qui conçoit des moteurs électriques innovants, et des groupes d’autres secteurs comme Larnaudie ou Reynal et Roquelaure, se développent sur le territoire. « Figeac reste très dépendante du secteur aéronautique, qui représente des milliers d’emplois. Et la mono-industrie est un vrai problème, avertit Jean-Claude Lugan, toujours enseignant à la Faculté de sciences économiques et à l’Institut d’études politiques de Toulouse. La question est : quels risques encourt Figeac si la santé de l’aéronautique venait à se dégrader ? » 

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