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  • BOUDU

L’amour dure longtemps

Vous écrivez cette formule gaullienne : « Les gens qui trouvent la vie de couple monotone sont des bœufs ». Vous trouvez ça comment, vous, le couple ?

C’est un terrain d’observation extraordinaire. J’ai du mal à comprendre qu’on puisse s’y ennuyer. On change énormément, et en permanence, si bien qu’on n’aime jamais la même personne, et qu’on n’est jamais le même.

Votre livre est un éloge du quotidien, de tout ce qui fait fuir généralement les gens, non ?

Je considère qu’un véritable album de famille ne devrait pas être composé d’images de sorties ou de fêtes, mais de clichés de gens qui se brossent les dents ou qui remplissent le lave-vaisselle. Le paradoxe étant que supporter cette banalité est aujourd’hui exceptionnel. Alors que ce qui fait la valeur de l’amour, c’est précisément la capacité à affronter le quotidien.

Pourquoi envisager le couple dans un livre, de cette façon inattendue ?

Quand je me suis demandé quel livre j’aimerais écrire avant de disparaître, ce sujet s’est imposé comme une évidence. Ce que j’ai vécu de plus fort dans ma vie a été mon histoire avec ma femme. Elle regarde la vie comme si elle allait de soi… ce qui n’est pas mon cas ! Donc c’était vraiment, au-delà de tout projet d’édition, pour rendre hommage à ma femme. Parce que je l’aime, et parce qu’elle m’a permis de trouver la vie plus vivable. Et puis, avoir vécu plus de 35 ans en couple, pour ma génération, c’est un fait assez rare.

Est-ce cette rareté qui en fait un objet littéraire ?

Il n’y a rien de mieux que la littérature pour explorer des expériences singulières. Elle permet d’embrasser la dimension analytique de cette histoire d’amour, et sa dimension esthétique. Or quand les gens apprennent qu’on est ensemble depuis 35 ans, ils disent généralement : « C’est beau ! ».

Le livre balance en permanence entre le mystère qui continue d’entourer l’autre, et la connaissance parfaite que vous avez de son corps… 

Malgré cette connaissance intime de l’autre, qu’elle soit psychologique ou physique, le mystère perdure. Tant pis si l’autre ne comprend pas jusqu’au bout. Il y a une part irréductible de soi qui est intransmissible. Et il faut l’accepter. C’est sans doute la raison pour laquelle notre couple dure. On s’appelle 5 à 6 fois par jour, on se voit dès qu’on peut… Les choses ont besoin de passer par elle pour exister à mes yeux. J’ai du mal, au sens littéral, à croire à la vie sans elle.

Vous mentionnez le destin comme explication possible de la durée de votre couple. Vous y croyez vraiment ?

D’un côté, j’ai la conviction qu’il y a une part de volontarisme dans un couple réussi. Qu’il faut non seulement aimer l’autre, mais aussi aimer le couple qu’on forme. Et avoir ce désir de durer. Et d’un autre côté, je suis persuadé qu’on ne s’appartient pas. Je n’ai pas l’impression d’avoir choisi Hélène. Au tout début, on n’arrêtait pas de se déchirer. Il n’y avait aucune raison que cela dure. Et ça, je ne sais pas l’analyser.

C’est un point de vue plutôt atypique pour votre génération, surtout dans le milieu artistique, où le couple est généralement considéré comme une prison, et le renouvellement permanent comme salutaire… 

C’est vrai que je suis un peu l’anti-Beigbeder ! Je pense que les gens se trompent. Si les rapports entre les hommes et les femmes sont devenus si compliqués, c’est parce qu’au nom de l’hédonisme et du plaisir immédiat on a négligé des plaisirs plus profonds. Sous prétexte de jouissance, on est passé à côté de trésors de tendresse, d’expériences intimes et beaucoup plus profondes que ce qu’amènent des histoires successives et éphémères. J’ai baigné dans une culture où il fallait jouir immédiatement, sans entraves et sans penser à demain. Sentimentalement, on y a beaucoup perdu.

Sous prétexte de jouissance, on est passé à côté de trésors de tendresse.

Les entraves seraient-elles un gage de réussite pour le couple ?

Ce n’est pas le champ lexical de l’amour à priori. On ne baigne pas dans le romantisme échevelé. Mais je suis persuadé que, faire couple, c’est aussi faire des efforts, des compromis au profit de quelque chose de magnifique. On bâtit une cathédrale. Et c’est parfois pénible ! On se fait mal à soulever des pierres, on les taille. Mais ça vaut la peine.

Peut-on aller jusqu’à dire que c’est un livre réactionnaire ?

Oui, mais je ne m’en suis rendu compte qu’en l’écrivant… 

Au fond, ce livre exalte les efforts fournis pour faire durer le couple ?

Oui, parce que malgré ce bain culturel soixante-huitard, on est toujours imprégné du désir de vivre une longue histoire. En tant que prof, j’observe ça chez mes lycéens. Malgré les statistiques qui montrent qu’il y a très peu de chances qu’ils restent toute leur vie avec la même personne, ils cherchent encore le grand amour. Alors même que j’ignore si l’Homme est viscéralement fait pour vivre en couple !

N’êtes-vous pas plus amoureux de l’amour que de votre femme ?

C’est une vraie question. Je crois que le réalisme est l’une des clefs de l’amour. Parce que j’ai vécu des passions. Mais la passion, c’est mensonger, c’est un jeu de dupes où l’on se ment. C’est pour ça que j’écris que je n’ai jamais eu envie de baiser la trace de ses pas. Hélène a toujours été dans la réalité et nous ne nous sommes jamais sublimés. On s’est aimé pour ce que l’on était. Je n’ai d’ailleurs aucune idée du type que je serais si elle n’avait pas été là. Elle m’a conduit. Je ne suis pas très doué pour la vie, je me torture pour n’importe quoi. Elle me sauve jour après jour.

Hésite-t-on avant de publier un livre comme celui-là ?

Bien sûr. Mais c’est un cadeau, une déclaration d’amour qui marche dans les deux sens. De mon côté, le fait de l’écrire ; du sien, d’accepter qu’il soit publié

Ceux qui s’aiment, éditions du Rocher, 16,90€

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