« RpK ». Ces trois lettres ne vous disent certainement rien. Pourtant, ce pseudonyme, sous lequel Cédric Guipouy est connu dans le jeu Counter-Strike, est célèbre dans une communauté mondiale de fans. Ces aficionados remplissent des stades entiers et suivent en masse des compétions diffusées sur la plateforme de streaming Twitch. Les matchs les plus prestigieux réunissent de 500 000 à 1 million de personnes, soit des chiffres comparables à l’audience de matchs de football en première division française. Dans cet univers, Cédric Guipouy fait partie des meilleurs. Il joue actuellement chez Vitality, principal club d’esport en France, et équipe classée numéro un mondial sur Counter-Strike en décembre 2020. L’apothéose d’une année où il a été particulièrement performant avec son équipe, qui comptabilise quatre participations à des finales de tournois internationaux et deux titres dont le dernier lors des IEM (Intel Extreme Masters) Beijing en novembre. Ce joueur, adulé pour son aisance technique et suivi par plus de 100 000 personnes sur Twitter, est Toulousain. Counter-Strike est l’une des licences vidéoludiques les plus courues dans le domaine de l’esport, ces compétitions de jeux vidéo professionnelles. Autrement appelé CS, ce jeu de tir à la première personne (seul le viseur apparaît à l’écran), fait s’opposer deux équipes de 5 joueurs avec des remplaçants. Quand il se lance sur Counter-Strike en 2006, Cédric Guipouy est loin d’imaginer devenir une star du jeu vidéo, ni même d’en vivre confortablement un jour.
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À 31 ans, ce Toulousain au physique robuste et au regard perçant, qui a eu son premier ordinateur à l’âge de 8 ans « parce que mon père était branché informatique », fait figure de vétéran du jeu. Il faut dire qu’il a connu une époque où le jeu n’était rien d’autre qu’une passion qui permettait, à la limite, d’arrondir ses fins de mois. Sur Counter-Strike, il se révèle rapidement un très bon joueur et finit par participer à des compétitions aux côtés des meilleurs Français à partir de 2007. À l’époque, néanmoins, il est encore loin de connaître la ferveur dans les stades : « Les compétitions avaient lieu dans des hangars avec quelques tables et chaises où tout le monde ramenait son PC. C’était une sorte de grosse teuf avec une buvette. » Une atmosphère qu’a également connu Arthur Guillermet dit « pm », commentateur français de Counter-Strike : « RpK a connu le jeu avant le strass et les paillettes. On jouait par passion sur des tournois en LAN (réseau local ndlr) et il nous arrivait de dormir dans les gymnases ou à l’arrache. » Mais RpK a beau gravir les échelons au niveau professionnel et multiplier les déplacements en Europe, il peine cependant à en vivre. « Entre 2011 et 2013, je faisais partie des top joueurs. Mais il n’y avait pas assez de liquidités dans la discipline. Du coup, on gagnait des snickers et des mars. » Las, il décide de quitter le jeu et de trouver un vrai job. Il devient mécanicien, un métier qui serait sans doute encore le sien aujourd’hui si son ancien manager ne lui avait pas proposé de reprendre fin 2014 : « Je n’étais pas très chaud pour repartir dans les mêmes conditions qu’avant, mais il m’a proposé un SMIC. » Le joueur accepte la proposition et « tout explose ». Le début d’une carrière auréolée de succès pour le Toulousain.
@Rémi Benoit
Dès le premier tournoi, le jeune homme découvre, médusé, la métamorphose de la discipline : « Quand je reviens en 2015 je joue d’emblée devant 14 000 personnes dans un énorme stade en Pologne à la Spodek Arena de Katowice. Je ne pouvais pas me balader dans le stade sans me faire arrêter pour une photo ou un autographe ! Je me suis dit : les gens sont fous ! » Puis il finit par s’y habituer car en coulisse, la réalité est celle d’une discipline qui se professionnalise à marche forcée avec l’argent qui afflue, notamment par le biais du sponsoring. Dans son équipe, Vitality, le staff n’a rien à envier à celui d’une équipe de football professionnelle : coach, assistant coach, manager, coach mental, coach de préparation physique…Au poste de manager, on trouve même Mathieu Péché, médaillé olympique en canoë-kayak, preuve que l’exigence de l’esport s’approche des standards du sport professionnel. L’emploi du temps de Cédrix Guipouy ressemble d’ailleurs davantage à celui d’un sportif de haut niveau qu’à celui d’un gamer du dimanche. Entre les discussions sur la stratégie de jeu et les parties en elles-mêmes, Cédric Guipouy consacre près de 6 h par jour à Counter Strike, sans compter les phases d’entraînement individuel. À ce quotidien chargé, s’ajoute une vie de globetrotter usante pour participer à toutes les compétitions : « On se déplace 38 semaines par an. Si on a souvent un ou deux jours off pour visiter, on est parfois obligé de faire des allers-retours entre les États-Unis, la Chine, l’Europe. à la fin, on ne sait plus où on habite ! » Un rythme effréné qui n’est pas sans risque sur la santé des pratiquants, d’autant que les parties de Counter-Strike, qui peuvent durer jusqu’à 6h, sont éprouvantes. Pour se prémunir contre le risque de burn-out, le jeune homme veille à se ménager et à garder un équilibre de vie : « Si je ne faisais que ça de la journée, je ne tiendrais pas. »
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Une hygiène de vie sans doute pas étrangère à sa longévité dans le jeu, plus de 10 ans, phénomène plutôt rare dans l’esport où les carrières sont très courtes. Il ne lui manque finalement qu’une Major (tournoi majeur prestigieux) à accrocher à son palmarès. Une absence qui s’explique en partie par l’arrêt de ce type de tournois en 2020 à cause de la covid. En attendant de reprendre sa marche en avant, il mesure néanmoins sa chance de pouvoir vivre (aisément) de sa passion. À l’instar des meilleurs joueurs du monde sur Counter-Strike, son salaire se conjugue à cinq chiffres, sans compter les bonus qui peuvent aller jusqu’à 500 000 euros à se partager par équipe. « Je comprends qu’un ouvrier travaillant à l’usine puisse avoir du mal à imaginer que l’on gagne autant d’argent avec le jeu. »
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