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BOUDU

L’urgence, c’est maintenant – Agnès Langevine

Angnès Langevine, en 2016, la présidente de la Région Occitanie Carole Delga affirmait son ambition de faire de l’Occitanie la première région européenne à énergie positive d’ici 2050. Pourquoi ? C’était d’abord une manière d’avoir une marque dynamique, optimiste, aussi bien dans la vision de l’action politique que dans l’avenir du territoire. Il s’agissait ensuite de mobiliser et d’embarquer les habitants autour d’un projet commun qui nécessite de la coopération. L’idée était également de développer un écosystème et une communauté d’acteurs en initiant une dynamique qui créerait de l’activité, de l’emploi. C’était gagnant-gagnant.

Pour atteindre cet objectif, vous avez établi un scénario baptisé Répos. Quel en est le principe ? Ce scénario a été co-construit avec une centaine d’acteurs de la société civile, des énergéticiens, des développeurs, en tenant compte du potentiel, du parc de logement, de la progression de la population, etc. Une fois établi, il nous a permis de mesurer les marches à gravir sur le territoire et de structurer le dispositif d’accompagnement, de prioriser notre action, de créer l’Arec (Agence régionale énergie climat) ou encore d’intégrer le soutien aux communes pour faire en sorte que leurs projets de territoires croisent nos stratégies régionales.

Quel premier bilan établissez-vous ? Il est très positif avec la création d’une communauté, au travers du réseau Toten en Occitanie, la montée en compétence des élus locaux, des bureaux d’études, pour s’approprier ces questions énergétiques. Si nous avons été les premiers à enclencher le plan hydrogène vert, c’est parce que les acteurs se connaissent et savent jouer la complémentarité sur la chaîne de valeurs. Par ailleurs, les industriels, professionnels du bâtiment ont également intégré ces opportunités dans leurs propres activités. C’est important parce que la transition énergétique doit être hyper-transversale. Il faut que les usages, les débouchés marchés, irriguent l’aménagement du territoire. Aujourd’hui l’Occitanie est entrée dans le radar des investisseurs, et sait saisir les opportunités, comme elle l’a fait en répondant aux appels d’offres sur les deux fermes expérimentales d’éolien offshore.

Reste que vous êtes un peu en retard par rapport à l’objectif affiché, non ? On est un peu en dessous de la trajectoire mais celle-ci n’est pas figée. Ce n’est pas juste un tableur Excel ! Il va d’ailleurs falloir l’actualiser en fonction des nouvelles technologies. Et même la repenser si l’on veut changer d’échelle et massifier. Car les derniers évènements, la pandémie, la guerre en Ukraine, rendent plus urgent la nécessité de croiser les questions de souveraineté, d’indépendance, de climat et de pouvoir d’achat. Le mot transition est parfois un peu piégeux parce qu’on dirait que c’est doux et sans problème. Or la séquence qui s’annonce va être compliquée.


Agnès Langevine

© Antoine darnaud


Pourquoi ? Parce qu’en France, le consommateur ne paie pas le vrai prix de l’électricité contrairement à Allemagne ou l’Espagne où il est indiqué tous les jours dans les journaux. Depuis un an, la facture y a été multipliée par 4. J’aime autant vous dire qu’ils s’en sont aperçus ! En France, on parvient encore à amortir la hausse de l’énergie, comme avec le chèque énergie, mais jusqu’à quand ? Des entreprises ont déjà arrêté certaines chaînes de production, comme les tuiles, car elles sont trop énergivores pour le séchage. Des collectivités qui ne peuvent plus payer la facture de gaz ont fermé leurs piscines. On est sur des traductions très concrètes. Mais cette distorsion ne nous aide pas à basculer véritablement sur la transition énergétique.

Que préconisez-vous pour réduire cette distorsion ? Il faut faire de la pédagogie. En France, on n’explique pas quel est le modèle énergétique, la dépendance, la production, la consommation. Autant on commence à le faire sur l’eau, autant sur l’énergie, ça reste assez compliqué. Cela s’explique par le poids du nucléaire, un système très centralisateur, et une infrastructure de réseau de distribution, RTE, qui a des vertus mais qui accepte mal les projets plus territorialisés parce qu’elle n’a pas été pensée comme ça.

Quelle serait la vertu d’une approche plus pédagogique ? Si on veut avoir un débat sur l’énergie, il faut outiller la concertation citoyenne. Sinon, on n’est que sur des considérations esthétiques. Il faut connaître l’équation risque/bénéfice. Une production énergétique sans impact, cela n’existe pas. L’avantage des différentes crises que nous venons de vivre est que le système énergétique est révélé. C’est déjà ça. Car ce qui va se poser très rapidement, ce n’est plus uniquement l’acceptabilité : la question du paysage et de l’impact va croiser celle du coût de l’énergie. À l’avenir, on ne va peut-être plus réfléchir de la même façon.

Sous-entendez-vous qu’il sera plus difficile de s’opposer aux EnR pour des questions purement esthétiques ? Disons qu’il y aura davantage de paramètres à intégrer dans l’équation : l’indépendance, la guerre, les risques, le climat. Plus il y a de paramètres, plus ça se complexifie. On voit d’ailleurs que des développeurs réfléchissent à proposer de développer du « soleil solidaire », c’est-à-dire de pouvoir re-flécher une partie des bénéfices sur de la solidarité.

La redistribution est donc un des axes de développement ? Oui, c’est fondamental pour moi. Il faut prendre le contre-exemple du nucléaire qui est très opaque, avoir de la transparence sur des modèles d’EnR, savoir quelles entreprises ont travaillé, combien d’emplois ont été créés, le valoriser mais aussi développer des produits de tourisme industriels, initier des efforts de solidarité. Bref, il y a plein de choses à inventer.

Existe-t-il suffisamment d’opérations de valorisation et d’information pour permettre aux citoyens de s’approprier ces sujets ? Il n’y en a jamais assez. Récemment, j’ai beaucoup apprécié la démarche initiée par la commission nationale du débat public sur les fermes commerciales éoliennes offshore. Des assos se sont rendues dans les quartiers prioritaires de Montpellier pour voir les gamins, des groupes de guides ont encadré des randonneurs pour aller faire de l’interprétation paysagère, c’était très impliquant et pas uniquement chiffré. Il faudrait développer ce type d’initiative et se servir de ces projets de transition pour remettre de la démocratie participative. Car le développement des EnR est un sujet complexe et personne ne connaît la recette miracle. Mais on sait que si on ne fait pas avec la population, ça ne marche pas.

Pourquoi le développement des EnR est-il, depuis le début, semé d’embûches ? Pour de multiples raisons. L’Occitanie a pourtant été une région pionnière dans l’éolien. Il faut d’ailleurs souligner la ténacité des pionniers qui se sont accrochés à des moments où il fallait vraiment croire à cette technologie face à un modèle énergétique français très centralisé dont le socle était le nucléaire. Ce sont plus des choix idéologiques que des problèmes de structuration de filières qui ont freiné cet essor. Il a fallu attendre la prise de conscience de la nécessité de réduire les émissions de gaz à effet de serre et de sortir des énergies fossiles, et donc de réduire l’empreinte énergétique de nos activités, pour que la population commence à s’approprier la question énergétique. Mais cela reste très compliqué.

Le contexte actuel ne constitue-t-il pas une opportunité pour développer les EnR ? Disons que l’on n’a plus trop le choix. N’oublions pas que la France est le seul pays de l’Union européenne à ne pas avoir atteint ses objectifs en matière d’EnR alors que l’on a tous les atouts pour y arriver. La marche est certes haute mais c’est parfois quand on est au pied du mur que les changements les plus spectaculaires s’opèrent. Une chose est sûre : tous les derniers scenarii montrent que l’engagement dans les EnR est faisable et possible à grande échelle, et que ça ne coûte pas plus cher que les fossiles. C’est un choix raisonnable d’aller vers les EnR.

Que manque-t-il pour accélérer la transition ? Il faut simplifier les procédures, notamment les délais d’instruction. Si l’on n’arrive pas aujourd’hui à faire sauter tous ces verrous et à massifier, je ne sais pas si on y arrivera un jour. Parce que tout est réuni pour y arriver. À l’échelle de l’Occitanie, il faut identifier tous les projets qui sont en stock, examiner les freins règlementaires d’acceptation ou financier, et tout faire pour en sortir le plus rapidement possible. On doit aussi rebooster la filière du solaire en faisant une cartographie des surfaces qui pourraient en accueillir. Car le solaire me parait plus rapide que l’éolien.

L’éolien est-il au point mort comme certains développeurs le disent ? Non, il y a encore du potentiel même s’il y a surtout une filière à structurer avec l’éolien offshore. Sur le terrestre, il faut inventer de nouveaux modèles en associant davantage le citoyen, et en mettant en visibilité le bénéfice pour le territoire. Si une éolienne ou une unité de méthanisation peut permettre à une collectivité de ne pas fermer sa piscine, peut-être que les habitants verront les choses différemment. Et puis on dit beaucoup que le sujet crispe mais globalement, les études d’opinion sur l’éolien sont plutôt favorables, y compris quand c’est à côté de chez eux. Dans tous les secteurs on pourrait aller plus vite, notamment dans la rénovation, qui est tout aussi importante que la production d’énergies renouvelables.

Le bilan de Rénov’Occitanie, un an après son lancement, est-il mitigé ? Avec Rénov’Occitanie, où l’on mobilise beaucoup d’argent, on attend des résultats. Or pour l’instant, le passage aux travaux est encore trop lent. C’est en partie dû au coût de rénovation, compris entre 20 et 60 000 euros par foyer, que tous les ménages ne peuvent pas se payer. Ça veut dire qu’il faut peut-être trouver des process plus industrialisés pour rénover des copros de 200-500 logements. Si on veut avoir du volume, donc un marché, là aussi, il faut changer d’échelle.

Vous semblez croire aux projets citoyens. Pensez-vous qu’ils suffiront à atteindre l’objectif ? Bien sûr que non mais ils ont d’autres vertus, notamment celle de participer au changement culturel : quand on installe des panneaux sur le toit d’une école, on fait de la pédagogie. Ces projets permettent aussi à des citoyens d’acquérir des compétences et d’essaimer des modèles, notamment en milieu rural. Quand on a proposé le dispositif 1€ citoyen =1€ de la Région, on a vu des groupes de citoyens se mobiliser, dans des démarches assez joyeuses, aller dans des marchés, se challenger. En agissant ainsi, ils deviennent des ambassadeurs des EnR. Et puis penser un système d’autoconsommation collectif suppose de savoir ce qu’est l’énergie, être capable de coopérer et de se parler sur les usages et les besoins. Je crois également beaucoup au financement participatif au travers d’Enerfip qui est désormais une grosse plate-forme de financement participatif.

Le financement participatif permet-il aux projets d’être mieux acceptés ? Oui, à condition que les financeurs se situent dans le territoire, ce qui n’a pas forcément été le cas des premiers projets qui ont souvent été couverts en 2 jours par des gens extérieurs. Les développeurs ont rectifié le tir en procédant par cercle concentrique. Et ça marche plutôt bien car les citoyens qui ont investi se rendent sur le parc pour voir l’avancée des travaux. Ils sont plus sensibilisés.

Entre la baisse de la consommation et l’augmentation de la production, qu’est-ce qui vous semble le plus atteignable ? Il ne faut pas que la baisse de la consommation entraîne de la précarité. On voit bien, dans tous les rapports, que ce sont les plus pauvres -qui sont aussi les moins émetteurs- qui subissent de plein fouet les impacts du changement climatique. Donc baisser d’un degré, c’est bien si on a déjà les moyens de se chauffer. Ce sont des messages un peu casse-gueule qui peuvent être ressentis violemment. L’énergie, c’est souvent des sujets générateurs de colère. On l’a bien vu avec les Gilets jaunes… C’est pour ça que je crois beaucoup dans l’acceptation des projets à des systèmes de coopération et de solidarité.

En résumé, si la situation globale est inquiétante, jamais les planètes n’ont été aussi alignées pour les énergies renouvelables ? La Région seule n’y parviendra pas. Donc il faut que l’État se mobilise à son tour, lève les verrous, fasse reculer les lobbys. Dans toutes les études de prospective, on voit bien que c’est la solution et que ça coûte beaucoup moins cher que de faire un réacteur nucléaire. Donc allons-y !

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