À Céret, dans les Pyrénées-Orientales, les résidents de l’Ehpad bénéficient d’un service d’évasion fourni par une société de vidéo immersive des environs de Perpignan. Des séances de randonnée et des escapades touristiques permises par un casque de réalité virtuelle qui génère des émotions fortes, ravive le passé et améliore le présent.
« Direction les Gorges de Galamus ! » Pour faire le voyage, Guadalupe, ergothérapeute, n’a pas besoin d’autobus. Le casque de réalité virtuelle suffit. Elle le présente à six résidents de l’Ehpad réunis dans le hall aux murs jaunes transformé à la hâte en mini-cinéma. Ils sont assis sur des chaises et attendent patiemment que l’animation commence. Derrière l’ergothérapeute, une grande télévision : « Vous verrez la vidéo diffusée à l’écran dans les lunettes, mais vous aurez l’impression d’être sur place ». Le film débute, les images d’un sentier entouré d’arbres apparaissent.
Yvan, 75 ans, est le premier à tester le casque. Un sourire illumine son visage : « On a intérêt à avoir de bonnes chevilles vu le chemin ! ». Les haut-parleurs diffusent le son : vent dans les arbres, eau des cascades, bruit de pas, chant d’oiseaux. « C’est beau », lâche le vieil homme. Il tourne la tête à droite puis pointe du doigt le mur : « c’est quoi ça ? », geste qui provoque le sourire d’Anaïs, assistante de soins en gérontologie (ASEG). Yvan finit par quitter son casque, non sans regret : « On est des petits vieux coincés entre quatre murs alors ça, c’est un spectacle, une paix, un éveil qui me fait oublier tous mes problèmes. Ça me ferait presque quitter l’Ehpad ».
Emmitouflée dans un grand pull mauve, Angèle, 92 ans, prend le relais. Elle a autrefois visité les Gorges de Galamus avec son mari. « Vous reconnaissez ? », lui demande Anaïs en posant ses mains sur ses épaules, « oui » répond-elle dans un murmure. Elle retire le casque peu de temps après. « J’aime revoir ces paysages, même si j’ai peur de trébucher », confie-t-elle émue, comme si elle avait oublié, l’espace de quelques minutes, qu’elle était assise sur une chaise. Quelques sièges plus loin, Aimé, 88 ans, préfère garder la tête en arrière, les yeux vers le ciel. Un sourire se dessine sur son visage. « C’est magnifique » soupire-t-il. Avant l’Ehpad, il aimait passer du temps en forêt pour chercher les champignons.
L’activité est rendue possible par Clément Trucharte et Julien Paris, fondateurs de la société Vythisi. Ayant l’habitude de travailler avec des personnes handicapées, les deux passionnés de randonnée ont eu une idée : offrir une promenade virtuelle aux personnes à mobilité réduite. Avec leur caméra 360 degrés, ils ont sillonné les plus beaux sites, souvent difficiles d’accès. Présents lors de l’animation, les deux amis prennent plaisir à aidé conseiller les soignants, tout en échangeant avec les résidents.
« Voir les émotions sur les visages donne du sens à notre travail » souffle Clément Truchartre. Le binôme a réalisé 25 films en Occitanie, en Bretagne et dans la région parisienne. « En France, il y a plein de sites dont on ne soupçonne même pas l’existence. On voulait leur montrer ce qu’ils n’ont pas eu le temps de voir aussi bien que des lieux près de chez eux qui pourraient leur rappeler de beaux souvenirs », résume Julien Paris.
Depuis octobre 2020, la Casa Assolellada de Céret a acheté un équipement et 12 de leurs vidéos. Georgia Chalancon, infirmière coordinatrice, explique : « Le fait de ne plus sortir, d’être privé de liberté en raison du Covid, nous a poussé à mettre en place cette activité. Elle permet de se reconnecter avec l’extérieur. C’est un atelier que la majorité des résidents apprécient, tant pour son aspect relaxant que culturel. » Guadalupe complète : « Ça provoque le retour de souvenirs, ravive des émotions, donne le sourire même aux plus apathiques, et apaise, en particulier ceux qui ont des troubles du comportement ».
Quelques autres Ehpad sont équipés du dispositif dans les Pyrénées-Orientales. Le concept semble plaire et les idées ne manquent pas. Yvan est force de proposition : « Pourquoi pas le sommet du Canigou vu du ciel, comme si un oiseau le survolait, la visite des châteaux Cathares sans personne autour ou alors en plongée pour observer le milieu aquatique ! Je suis très sensible au bruit des vagues, des mouettes, au reflet de l’eau, j’aimerais revivre les balades le long de la jetée que je faisais à mes 14 ans ».
Pendant que Julien songe à embaucher le vieil homme pour profiter de ses idées, l’équipe de soignants rangent le mobilier. En moins d’une minute, la salle est vidée. Après un geste de la main en guise d’au revoir, les retraités regagnent leur chambre, souriants et apaisés.