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La guerre des mondes – Jean-Pierre Pailhol, directeur général de la Mutuelle du Rempart

Dernière mise à jour : 19 janv.

Alors que s’ouvre le mois de l’Économie sociale et solidaire, Boudu est allé à la rencontre de l’un de ses acteurs toulousains emblématiques, la Mutuelle du Rempart. Son directeur général, Jean-Pierre Pailhol, nous explique comment cette mutuelle, qui vient de fêter ses 90 printemps a traversé les époques en essayant de ne pas perdre son âme.


Jean-Pierre Pailhol, un brin d’histoire en guise d’introduction. Comment est née la mutualité ? C’est un concept très ancien qui date de l’Égypte ancienne et des grands travaux. Il s’agissait de protéger les ouvriers des aléas de la vie en collectivisant des fonds. Depuis, l’histoire a été parsemée de groupements d’ouvriers qui ont prolongé cette action visant à mettre en commun des fonds pour pouvoir suppléer aux besoins des gens empêchés de travailler suite à un accident, une maladie ou un décès. Donc ce principe de solidarité et de mutualisation est presque aussi vieux que la société. Après être un peu tombé en désuétude, il a été revivifié au XIXe siècle par un imprimeur, Pierre-Joseph Proudhon, à l’origine de la renaissance d’un certain nombre d’organisations sociales comme le mutualisme, les coopératives voire les banques mutualistes, avec l’idée, en pleine révolution industrielle, de proposer un modèle plus vertueux basé sur l’autogestion.


Quelle est la particularité des mutuelles ? Leur particularité, c’est qu’elles sont à but non lucratif et qu’elles ont une gouvernance démocratique. Autrement dit, les adhérents élisent un Conseil d’administration qui élit un président. Et il y a une structure opérationnelle composée de salariés. C’est dans cet esprit qu’est née, en 1932, La Mutuelle, à l’initiative de chirurgiens toulousains, probablement en réaction à la misère sociale engendrée par la crise économique et financière de 1929.


Quelle était la situation du monde mutualiste en 1932 ? Il n’y avait pas de mutuelle nationale à l’époque. La protection sociale n’existait pas en tant que telle puisque l’ordonnance date de 1945. Donc les mutuelles sont antérieures à la Sécurité sociale. La plupart d’entre elles étaient mise en place par des patrons qui avaient compris, notamment dans l’industrie, qu’il y avait intérêt à organiser la protection de la santé et de la vieillesse de leurs ouvriers pour les conserver.


Quelles étaient les motivations des fondateurs de la Mutuelle du Rempart ? Elle ne s’appelait pas Mutuelle du Rempart mais Caisse médico-chirurgicale mutualiste de la Haute-Garonne. La première mission était de répondre à l’urgence des soins. Ils étaient donc guidés par une vision humaniste. À Toulouse comme partout en France, les mutuelles se sont d’abord créées en tant que centres de soin. Ce n’est qu’ensuite que le financement est arrivé avec la Sécurité sociale qui a mis en place le principe : « chacun cotise selon ses moyens et reçoit selon ses besoins », un peu avec l’opposition des mutuelles, parce qu’elle arrivait comme une solution qui allait nationaliser le service et donc leur retirer des prérogatives.


Jean-Pierre Pailhol, Mutuelle du Rempart

Comment fonctionnait la Mutuelle à ses débuts ? Contrairement à beaucoup de mutuelles qui étaient spécialisées, la Mutuelle était dès le départ interprofessionnelle. Sans parler de cooptation, le recrutement se faisait sans publicité. Les gens, satisfaits des services de la Mutuelle, la recommandaient à d’autres. Elle a donc essentiellement grossi par le bouche-à-oreille. Et les adhérents n’étaient pas des clients mais des personnes qui adhéraient à une structure dont ils étaient gouvernants.


Comment s’est-elle développée ? C’était une époque où seule une minorité de la population était mutualisée. Le potentiel de développement était donc énorme. Il y avait du coup une sorte de pacte de non-agression, chacun disposant de suffisamment de marge de manœuvre pour se développer sans empiéter sur la zone de prédilection des autres. Pour l’anecdote, l’agence de Castres a été ouverte parce que l’UMT avait ouvert une agence à Toulouse. C’était en quelque sorte la réponse du berger à la bergère.


Mais cette entente cordiale n’a pas duré… En effet. Tout a commencé à basculer dans les années 80 avec l’arrivée sur le marché des assureurs qui s’étaient jusqu’alors peu intéressés à ce monde-là. Sauf qu’à un moment donné, ils ont cherché à se diversifier. Et donc à mordre sur un domaine dans lequel on ne parlait pas de clients et d’activité commerciale… Hélas certaines mutuelles ont voulu ressembler aux assureurs. Pour se développer, elles se sont mises à faire de la publicité. Certaines ont vendu leur âme au diable. Et d’autres, comme la nôtre, ont essayé de trouver un compromis entre les valeurs de l’ESS et les contraintes de l’entreprise.


Quelle différence entre mutuelle et assurance ? Un assureur rémunère les actionnaires s’il réalise des bénéfices. C’est impossible chez les mutuelles. Mais ne pas être à but lucratif ne signifie pas ne pas faire de bénéfices. Souvent, les gens confondent. C’est juste qu’ils ne sont pas redistribués à des actionnaires privés mais réinvestis dans des réserves qui sont pour partie obligatoires et qui nous servent notamment à réinvestir. La particularité, c’est aussi que ce sont les adhérents qui sont collectivement propriétaires de la mutuelle. Enfin il n’y a pas, structurellement, de recherche de gains. On peut choisir de faire des déficits pour ne pas augmenter les cotisations des adhérents.


Comment fait-on pour trouver un compromis entre les valeurs de l’ESS et les contraintes de l’entreprise ? Théoriquement, une mutuelle qui est animée par les valeurs de solidarité est naturellement une entreprise à mission. Elle n’a pas d’efforts à faire… sauf à abandonner sa mission première ! Si on ne s’est pas oublié en route, les valeurs demeurent : fonds social, gouvernance démocratique, écoute par rapport aux adhérents, on ne peut pas pousser dehors un adhérent qui serait trop consommateur… Après, on a commencé à faire de la communication, à se structurer de façon à être plus efficace. En clair de se professionnaliser, notamment sur le recrutement. On a également fait œuvre de pédagogie.


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C’est-à-dire ? Le terme de mutuelle est devenu générique. Un contrat de complémentaire santé n’est pas un contrat de mutuelle. Il y a une confusion des genres qui nous dessert car elle fait oublier qu’une mutuelle a un statut très particulier, qui relève d’un code, avec des fondamentaux. Le tort des mutuelles a été de ne pas avoir voulu défendre suffisamment leurs spécificités. Or, comment demander aux autres de nous être fidèles quand on n’est pas fidèle à soi-même ? C’est ce que l’on essaie de faire, être fidèle à nos principes, pour que les gens sachent ce qu’ils vont trouver chez nous.


Le distinguo n’est pas forcément évident pour le grand public. Quelle est la singularité de la Mutuelle du Rempart ? Elle a toujours eu, dans son ADN, une tradition d’innovation. Elle a toujours essayé d’être à l’avant-garde, en étant par exemple la première à avoir mis en place le chèque santé, l’ancêtre du tiers-payant ; en ayant très tôt fait la promotion de l’activité physique, en ayant été l’un des premiers à rembourser l’ostéopathie avant qu’elle ne soit réglementée, en proposant la gratuité dès le deuxième enfant… Et puis notre structure a une personnalité liée à son ancrage territorial, une histoire, qu’il faut préserver car c’est le gage de la diversité de choix contre un modèle dominant, concentrateur, normalisé. On est vraiment dans un combat entre deux mondes.


C’est une singularité de la Mutuelle du Rempart ? Oui, je le crois, et c’est resté l’une de nos forces. Quand je suis arrivé, il y a 20 ans, j’ai été saisi par l’âme de la Mutuelle. Il y avait ici des personnes qui étaient garantes de cet esprit de famille, du souci de l’intérêt de l’adhérent. Au fond, je ne fais que l’entretenir. Dans mes recrutements, j’ai toujours cherché des profils, qui avaient ça en eux, qui se fondraient dans cet esprit. La Mutuelle du Rempart, c’est comme une cellule où chacun a un rôle à jouer, mais il y a une immunité naturelle que j’ai pu constater.


Que voulez-vous dire ? En 2013, alors qu’une menace règlementaire qui consistait à généraliser les accords de branche pouvait être mortifère pour une mutuelle comme la nôtre, on avait le projet de se rapprocher d’une mutuelle toulousaine qui était adossée à un organisme paritaire. Après avoir fusionné, on s’est aperçu que leurs intentions n’étaient pas aussi claires que ce qu’elles paraissaient. Et que l’on risquait d’être absorbés. Il y a eu une levée de boucliers des salariés qui ont fait front face à cette volonté de prise de contrôle. On aurait dit qu’il y avait une sorte de conscience organique pour la structure, au-delà de l’intérêt des personnes. C’est fabuleux d’avoir un collectif de personnes qui collectivement décident de se battre contre un danger pour l’entreprise.

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