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  • BOUDU

« La nuit où j’ai croisé l’ours »


David Blondeau en Bourgogne, avant sa rencontre avec l’ours.


Lorsque j’ai préparé mon GR10, je me suis renseigné sur la faune et la flore que je pourrais y rencontrer. Je pensais que croiser un ours en randonnée, ça se faisait en plein soleil, avec les oiseaux qui chantent. Que soudain, à 100 mètres, tu voyais une masse brune déboucher sur le chemin, qui te regarde, et qui se barre dans la forêt. En vrai, ma rencontre avec un ours fut effectivement extraordinaire… mais pas comme je l’avais imaginée !

L’ours, c’est un type qui n’aime pas la compagnie des autres. Y compris des humains.  Il est tellement asocial qu’il vit plus de 300 jours par an caché dans sa tanière, ne sortant qu’à la fraîche pour manger sans être vu ni dérangé.

L’ours était donc censé être tout seul, tranquille dans sa forêt. Une magnifique forêt d’ailleurs, puisque les faits se déroulent au cœur de l’Ariège, un département où la forêt recouvre 40% du territoire. Ce soir-là, je suis mort de fatigue. La journée a été longue. J’ai beaucoup de kilomètres dans les jambes, encore plus de dénivelé, et mes pieds commencent à me faire mal. Je m’écarte un peu du sentier, m’enfonce dans la forêt, et trouve un petit coin pour planter ma tente.

Je ne sais pas pourquoi, mais je suis très nerveux. Certes, il fait chaud, les moustiques m’assaillent sans relâche, mais il y a autre chose, et je ne sais pas quoi. Exceptionnellement, je prends la précaution de mettre mes poubelles loin de ma tente, et même de fermer mon double-toit ! C’est une chose que je ne fais jamais lorsqu’il fait chaud, afin que l’air circule à travers la moustiquaire.

3H09. Je me réveille. J’ai le sommeil léger, et quand je suis au bivouac, je me réveille dès que j’entends un animal approcher. Avec plus de 300 nuitées en bivouac au compteur, j’ai la chance d’avoir observé de nombreux animaux. D’habitude, je n’ai qu’à tendre l’oreille pour reconnaître le pas feutré du renard ou le sabot caractéristique du cervidé. Mais là non… Je n’ai jamais entendu un bruit de pas comme celui-ci. En plus, c’est très gros. En plus… ça s’approche. Oh putain, c’est un ours ! Et un ours qui respire, ça fait quelque chose comme : snif…snif…snif… grrrr ! Très lentement et bruyamment. Je dois avouer que rien que d’y repenser, j’ai les poils qui se hérissent.

Un ours qui respire, ça fait quelque chose comme : snif…snif…snif… GRRRR ! Rien que d’y penser, j’en ai les poils qui se hérissent.

L’animal est assez loin de moi, mais il se rapproche. C’est un cauchemar, le terrain est en pente, il n’y a qu’un sentier pour passer, large d’environ 90 cm, et c’est là que j’ai eu la bonne idée de planter ma tente ! À tous les coups il va être obligé de passer par mon campement pour continuer son chemin.

À cet instant précis, la situation est simple : je suis allongé à même le sol, engoncé dans mon duvet ultraslim (comme une grosse chenille), enfermé dans ma tente sarcophage qui pèse 1.8kg, nez à nez avec un ours brun des Pyrénées.

Là, je comprends que pour une fois dans ma vie, je ne suis pas au sommet de la chaîne alimentaire, et j’ai une décharge d’adrénaline forte. On ne peut pas connaître à l’avance nos réactions face à une situation de stress comme celle-là, et là je ne contrôle plus rien, tout n’est que réflexe et instinct. 

Première chose à faire : remettre mon froc, vite ! J’ai ma petite pudeur quand même. Alors je me contorsionne, j’attrape dans le noir total mon short et je l’enfile en vitesse. Maintenant, au cas où il essaie d’entrer dans ma tente, il faut que je puisse le voir, donc je mets ma frontale autour de la tête.

Pourquoi l’ours voudrait rentrer ? Ah oui, j’ai oublié de dire que j’utilise mon sac à dos 50 litres comme oreiller. Et dedans, il y a… 1 kg de miel ! Putain, c’est pas possible ! Le gros cliché de Winnie l’ourson. Tout le monde sait que les ours raffolent du miel ! Et moi, j’ai ma tête posée sur son repas préféré. Et ce n’est pas fini : j’ai du pollen, du saucisson, du fromage, du pain, des fruits, du chocolat… que des choses appétissantes et odorantes. Heureusement que j’ai déposé mes poubelles loin du campement.

Maintenant que je suis habillé, que je peux allumer ma frontale en cas d’intrusion dans la tente, je prends mon couteau. Un Buck, pliant acier 440, 10 cm de lame pour 4 mm d’épaisseur. Avec lui, je m’apprête à vendre chèrement ma peau. Même si je sais que je n’ai aucune chance face à l’animal. Il pèse 3 à 5 fois mon poids, il est debout alors que je suis allongé, il est nyctalope et pas moi, j’ai un couteau et il a 5 griffes plus longues que ma lame à chaque pattes… À ce stade, je n’arrive pas à m’empêcher de penser à ce film : The Revenant. Surtout la scène où Leonardo DiCaprio se fait dérouiller par une femelle grizzly.

Ça peut paraître idiot, mais je ne me suis jamais réveillé aussi content d’être en vie !

Que faire de plus ? Prier. J’ai prié. De toute façon, je ne peux rien faire d’autre. Comme pour tout contact avec un animal sauvage, j’essaie d’adapter mon comportement : je ne parle pas, je ne bouge pas, j’essaye de calmer ma respiration et mon rythme cardiaque. De cette façon, je n’augmente pas son énervement et je limite les chances d’attaque. Alors je prie pour que l’ours parte.

Ce qui est un petit peu frustrant (voire clairement angoissant), c’est que je suis totalement impuissant. La décision d’agression ou non lui revient à lui, pas à moi. Je dois accepter sans rien faire de laisser l’ours me tourner autour, ce qui revient à peu de choses près à accepter ma propre mort. Me tourner autour, c’est exactement ce qu’il va faire. D’abord il stoppe net quand il voit ma tente. Il respire et grogne très bruyamment. Puis, il fait un grand tour à plusieurs mètres de distance. Ensuite, il se rapproche et vient tout près… juste de l’autre côté de la toile de tente qui doit faire 2 dixièmes de millimètre d’épaisseur. C’est si peu, et pourtant c’est tout ce qui sépare la tête du fauve de la mienne. Il fait tout le tour de la tente, et s’arrête pour me renifler. 


À Banyuls, après sa rencontre avec l’ours.


Après son petit tour rapproché, il reprend le sentier sur lequel j’ai planté la tente, puis s’éloigne lentement, en faisant des pauses pour fouiner par-ci par-là…

3H39, enfin je ne l’entends plus du tout, notre rencontre aura duré 30 minutes. La pression redescend, je desserre mon couteau que je tiens toujours au creux de ma main, et je remercie le ciel d’avoir exaucé ma prière. Je suis vivant, c’est fini, il est parti !

Oui, mais… Il est passé dans un sens pour partir manger mais… est-ce qu’il va repasser par-là pour rentrer à sa tanière ? Et s’il repasse, est-ce que ça se passera aussi bien ? Je suis face à un dilemme : soit je reste dans ma tente et je prends le risque d’une deuxième apparition, soit je me barre et je prends le risque de le recroiser en pleine nuit, dans la forêt, à découvert.

C’est ce qu’on appelle avoir l’embarras du choix. Charybde ou Scylla ? J’hésite, prends une décision, puis fais volte-face tout de suite après, et ce plusieurs fois d’affilée. Dans un premier temps, je commence à remballer, puis dans un second temps, je suis tétanisé à l’idée de le croiser dans les bois. Donc je reste, je tends l’oreille et j’attends. Jusqu’à temps que je m’endorme d’épuisement, une fois le taux d’adrénaline redescendu.

05H00, mon réveil sonne. Je l’éteins et me rendors. 06H00 : je me réveille vivant ! Ça peut paraître idiot, mais je ne me suis jamais réveillé aussi content d’être en vie ! Je ressens une sincère et profonde gratitude envers le monde. C’est un sentiment vraiment délicieux. Mais la béatitude est de courte durée, et je décide de me barrer d’ici le plus rapidement possible. Étonnamment, ce jour-là je pète le chrono : habituellement il me faut 1 heure pour remballer mon campement, et là, 20 petites minutes suffisent ! Trois fois plus vite. Si tu te demandes comment augmenter la productivité au boulot, un petit conseil : lâche un ours au bureau.

Je pars à grand pas de mon lieu de bivouac, après avoir pris soin de filmer l’endroit pour m’en souvenir. Je reprends le GR10, et arrivé au premier hameau que je croise, mon instinct grégaire m’offre un sentiment de sécurité.

Après cette rencontre, et pendant plusieurs jours, l’ours devient mon obsession. J’ai peur d’en croiser un autre, et le moindre bruit m’inquiète. Un autre ou… qui sait, peut être que l’ours me poursuit ? Ça, c’est pire que l’obsession, c’est de la paranoïa.

Je me rappelle qu’à un col, quelques jours plus tard, j’entend un gros craquement. Je sursaute, me retourne et me dis : « Un ours ! », mais non. C’est un névé qui vient de s’effondrer près du pic qui se dresse devant moi, à plus de 500 mètres. Ouf… 


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