Georges Méric, la Haute-Garonne, et plus globalement la France, n’a plus grand chose à voir avec celles que vous aviez trouvé lors de votre élection en 2015. Que vous inspirent les bouleversements de ces dernières années ? La Covid-19 a accentué les problématiques qui préexistaient. La société est en crise avec un système qui crée de plus en plus d’exclus et une population désorientée. Cette désespérance larvée favorise un passage à la violence. Il est urgent de mener une profonde réflexion sur le futur de notre société.
Dans quelle direction doit se mener cette réflexion ? Quels enseignements faut-il tirer de la crise que nous traversons ? Qu’il faut absolument lutter contre le tout marché et les injustices du néolibéralisme mondialisé débridé. Il faut viser le juste milieu entre le marché et les services publics. Le mouvement des Gilets jaunes montrait déjà la fracture territoriale, la détresse et l’exclusion d’une certaine catégorie de la population. Mais ce qu’il est intéressant d’observer, c’est la capacité de résilience. Les gens veulent vivre autrement, prendre leur destin en main, et retrouver le partage, le lien social, la nature, le bien-être.
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Nous assistons donc à la fin d’une époque ? Oui, un monde meurt mais celui d’après n’est pas encore là. Et il ne faut pas croire qu’il est écrit. Il va résulter d’un rapport de force qui va notamment se déterminer à partir des élections. Les deux ans à venir sont à ce titre cruciaux. Il faut que l’on arrive à proposer un avenir fédérateur.
Sinon ? Face à cette crise, trois attitudes sont possibles : ne rien changer et ne surtout pas remettre en question le marché ; choisir l’aventure populiste, autoritaire et xénophobe qu’il faut absolument éviter ; proposer une société en harmonie avec les volontés de résilience de la population. Les progressistes peuvent et doivent tirer les leçons du Covid, en confortant les services publics, et en allant plus loin dans la logique de partage. Il faut par exemple mieux rémunérer le travail tout en avançant sur la mise en place du revenu de base, qui n’est ni plus ni moins qu’un salaire d’implication et d’inclusion républicaine. Tout être humain doit pouvoir subvenir à ses besoins.
Le revenu de base, qui est l’un de vos chevaux de bataille depuis plusieurs années, ne rentre pas à proprement parler dans les prérogatives du Conseil départemental. Pourquoi vous emparer de ce sujet ? Je ne me considère pas uniquement comme un gestionnaire. Je connais bien la réalité du terrain pour avoir été un élu local pendant 30 ans. Mais au Conseil départemental, je fais de la politique. Et cette politique requiert une boussole, définie en début de mandat, fruit d’une réflexion philosophique et d’un héritage politique. Cette boussole guide toujours mes choix. Je considère par ailleurs qu’il faut prendre de risques en politique. J’ai beaucoup lu Machiavel, je sais qu’on ne perd que les batailles qu’on ne livre pas.
Quels genres de caps votre boussole indique-t-elle ? Elle repose sur un triptyque : émancipation, universalisme et humanisme. L’émancipation, c’est le chemin de la liberté, l’accomplissement de chacun. C’est très bien résumé par Victor Hugo « La liberté commence où l’ignorance finit ». Ça signifie que l’éducation et l’accès la culture sont une priorité. L’universalisme, c’est le chemin de l’égalité et du respect mutuel illustré par la citation de Montaigne « Chaque homme porte la forme entière de l’humaine condition ». D’où notre lutte contre le racisme, l’antisémitisme ou l’homophobie et pour l’égalité homme-femme. L’humanisme enfin, c’est l’accès à l’empathie, la volonté de fraternité que l’on retrouve chez Camus : « Je ne connais qu’un seul devoir, c’est celui d’aimer ». C’est en m’appuyant sur ces préceptes que je bâtis ma politique, en mettant l’humain au cœur du projet pour faire société ensemble et non les uns contre les autres comme la société néolibérale nous y conduit.
Est-ce compatible avec la réalité ? Absolument. Au fond, c’est l’héritage des Lumières que je défends, la quête du bonheur dans la rationalité. Politiquement, je suis héritier de Jaurès, ce républicain social qui devient socialiste parce qu’il a la réalité devant les yeux. Aller à l’idéal en comprenant le réel, c’est ce que j’essaie de faire depuis six ans.
Pour quel bilan ? Je crois avoir réussi à donner une impulsion, une dynamique, une modernité au Conseil départemental. Avec une méthode de travail qui repose sur des mots clés : ouverture, dialogue, concertation, partenariat et contractualisation. On a par exemple impliqué les agents du département en les amenant sur un management participatif de responsabilité qui n’existait pas. C’est progressif, il faut qu’ils s’habituent, c’est un changement culturel, mais ça vient. Idem pour les élus locaux, avec lesquels on a établi un dialogue et signé des contrats de territoire, et le monde économique, la CCI, ou la Chambre d’agriculture avec laquelle on ne parlait plus depuis 25 ans.
Diriez-vous que vous avez réussi à vous démarquer de votre prédécesseur ? Je le crois, en particulier sur la méthode. J’ai joué l’ouverture, la concertation. Spinoza m’a appris qu’il fallait d’abord comprendre. Vu que je suis un spinoziste, j’essaie d’être dans cette logique-là, d’écoute, de concertation. Sans imposer. C’est du reste l’un de mes motifs de fierté avec le succès du dialogue citoyen.
En quoi avez-vous le sentiment d’avoir fait progresser le dialogue citoyen ? L’objectif initial était de réenchanter la démocratie car je considère que le citoyen veut être informé. Il n’accorde la confiance à l’élu qu’à la condition de participer. Il faut donc allier les compétences techniques des services, politique des élus et celle de la réalité du terrain des citoyens. Nous avons mis en place 400 réunions de dialogue qui ont permis de faire avancer des dossiers, sur notre politique culturelle, le transport en commun ou les ressources en eau. Mais aussi sur des sujets sensibles comme la mixité sociale dans les collèges où, à l’issue de 7 mois de travail, le dossier que l’on avait proposé initialement est sorti totalement transformé, et bonifié. Le succès de ces initiatives montre que l’évolution de la société est conforme à ce que nous avions prévu.
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Dans six mois, les premiers collégiens à avoir bénéficié du programme de mixité sociale en 2017 entreront au lycée. Quel premier bilan tirez-vous de l’expérience ? Très positif. Au bout de quatre ans, l’inspection d’académie et le rectorat estiment que c’est un succès pédagogique. D’après les différents contrôles et pointages qui ont été faits, les résultats au brevet n’auront sans doute rien à voir avec les précédents au collège Badiou. Avec la mixité scolaire, on a montré la volonté d’implication et d’intégration de tous ces enfants dans la République.
Est-ce l’initiative dont vous êtes le plus fier ? Oui parce qu’elle s’inscrit dans mes valeurs et que nous avons rencontré beaucoup de difficultés pour la faire accepter au début. Sa mise en œuvre a été laborieuse parce que c’était inédit. Sauf qu’aujourd’hui, cette expérience fait tache d’huile en France, y compris au sein du ministère de l’éducation.
Ce n’est pas la seule expérimentation qui a rencontré une certaine hostilité. La mise en place du parcours laïque et citoyen a également soulevé un certain scepticisme… C’est pourtant un succès. Les enseignants se sont emparés de cette proposition qui leur étaient faites de s’appuyer sur une association d’éducation populaire pour expliciter ce qu’est la République. Le succès est tel que l’on a dû augmenter le budget dédié cette année.
Preuve que la laïcité dans la société française est fragile ? De reculade en compromis, on est en train de sortir de la laïcité. Et aujourd’hui, on est au bord d’en sortir définitivement. Quand vous avez une partie de la population qui demande à ce que des préceptes religieux soient au-dessus des lois communes de la République, on va très loin. On a de plus en plus besoin de défendre et d’affirmer la République.
@Rémi Benoit
On parle moins, surtout depuis le début de la pandémie, de la rivalité entre la Métropole et le CD31. Diriez-vous que le sujet est clos ? Oui, mais il est bon de rappeler d’où on vient. 5 départements devaient disparaître en France dont la Haute-Garonne. Au final, ça s’est fait nulle part, notamment ici où 95 % des maires étaient contre. Avec le recul, heureusement que l’on a réussi à renverser le rapport de force. On a vu que l’hyper-métropolisation, c’est-à-dire concentrer les richesses, les emplois et la population sur une seule métropole en abandonnant les autres territoires était un non-sens. La crise a aussi montré toute l’utilité et l’efficacité du Département. Quand on fait les comptes, c’est 70 millions que l’on a mis sur la table pour venir en aide aux Haut-Garonnais. Et ce sans parler des millions de masques achetés à la place de l’État, des tests réalisés par le laboratoire départemental et de notre rôle pendant la vaccination. Sur les trois échecs de l’État, le département a répondu présent.
On a parfois l’impression qu’il faut choisir son camp entre l’État et les territoires. Pourquoi les deux ont-ils tant de mal à travailler ensemble ? En tant que républicain, je défends l’État régalien. Je ne suis, par exemple, pas favorable à des régions européennes. Mais il faut aller plus loin en matière de décentralisation : on pourrait par exemple travailler de manière plus étroite avec la CAF ou réformer l’ARS. Je souhaiterais qu’on laisse davantage faire le département qui est le leader de l’action sociale. Car les gens ont de plus en plus besoin de proximité comme l’enquête que nous avions mené il y a deux ans l’avait révélé.
@Rémi Benoit
Comment répondre à ce besoin de proximité ? En mettant du lien humain, ce que nous avons fait au travers de la territorialisation des maisons de solidarité et de la décentralisation des lieux de décision. L’objectif permanent doit être de rapprocher la décision (et le service) du citoyen. Cela passe par le déploiement du haut débit. En créant Haute-Garonne numérique, on aura mis la fibre partout d’ici la fin 2022. Dans les terres péri-urbaines ou rurales, ils auraient dû attendre longtemps si on avait laissé le privé agir.
Vous êtes candidat à un nouveau mandat. Pourquoi ? Moi qui fais de la voile, j’ai appris que par gros temps, le capitaine doit rester à la barre, gérer son équipage et le renforcer. C’est ce que je vais m’efforcer de faire. On sait qu’il va y avoir un tsunami social à gérer dans les années à venir mais aussi la nécessité de trouver une complémentarité entre le département et la métropole qui va perdre du terrain. Et puis nous avons réussi, en Haute-Garonne, à rassembler la gauche autour de la majorité départementale.
À l’exception de La France Insoumise et d’EELV qui considère que vous auriez pu aller plus loin en matière de transition écologique… On peut toujours être critiqué sur des idées générales mais j’attends de l’être sur des dossiers. Car en cinq ans, on a fait le maximum de ce que l’on devait faire. On a investi 150 millions d’euros sur la transition écologique, on a réhabilité 1000 logements sociaux qui étaient des passoires thermiques et on a prévu d’en faire le double dans les années à venir, on promeut une alimentation de qualité, on a considérablement développé les réseaux vélo, on a construit 1000 places de co-voiturage. On est dans l’écologie du réel et de l’efficacité. On n’est pas des prédicateurs du désastre mais des gens consciencieux qui connaissent le problème et apportent des solutions par l’acte.
La pénurie d’eau menace à moyen terme 1/4 de l’humanité, notamment nos voisins espagnols et italiens. Qu’en est-il en Haute-Garonne ? C’est clair qu’il y aura un vrai problème à l’horizon 2050 sur Toulouse et le bassin de la Garonne si on ne fait rien. Plusieurs dossiers sont en cours : d’une part, on négocie avec l’État pour que les lacs d’EDF, qui permettent l’étiage de la Garonne l’été, ne soient pas privatisés parce que l’on considère l’eau comme un bien public. Deuxièmement, on a identifié, dans le dossier Garonne, des ressources actuelles qui sont mal exploitées. Mais il faut aussi faire des économies, gérer avec les agriculteurs l’optimisation des irrigations, avoir les usines pour l’eau potable. Il faut appréhender tous ces problèmes en même temps.
Alors que la surface des terres agricoles fond comme neige au soleil, le Département dispose d’un fonds de 120 000 euros destiné à encourager la création de nouveaux espaces agricoles. Pourquoi ? En plus des aides classiques à l’installation des jeunes agriculteurs, nous avons la volonté d’avoir une nouvelle politique de maraîchage. L’idée est de louer à de jeunes agriculteurs des terres, autour des villes comme Toulouse, pour leur permettre de créer leurs propres entreprises et de s’aguerrir pendant 4-5 ans. C’est une manière de développer les circuits courts. En parallèle, il faut trouver un moyen d’aider l’agriculteur à transformer ses matières premières. Sinon, il est condamné à suivre le prix du marché mondial.
Le tsunami social ne risque-t-il pas d’oblitérer les capacités d’investissement du département ? Nous avons réussi à maîtriser en 2021, le budget du point de vue du fonctionnement, en augmentant les investissements de 7 %. Le tout, sans augmenter les impôts. Je ne suis pas inquiet pour les 2-3 ans à venir. Après c’est plus difficile à prévoir.
À quelques semaines du scrutin se profile le spectre de l’abstention. Comment l’éviter ? En renforçant le bouclier social, en étant au rendez-vous de l’impératif écologique, en relevant le défi d’émancipation et en poursuivant le dialogue participatif. La volonté de faire société doit être au cœur parce que comme le disait Bertrand Russell, philosophe du XXe siècle, « Une bonne vie est inspirée par l’amour et guidée par la connaissance ». Mettre l’humain au cœur du projet, c’est la politique que je veux mener. C’est fondamental dans la société d’aujourd’hui, l’empathie, la volonté d’entraide, défendre le vivant et non les dividendes. Parce que défendre les dividendes va nous amener à la mort.
Un pronostic pour cette élection ? Je ne crois pas, localement, à la victoire du populisme. Ce scrutin doit montrer que la gauche peut gagner, surtout dans la perspective des prochains scrutins nationaux où je crains davantage la menace de l’extrême droite. Il faut donc que les progressistes l’emportent. Je suis confiant en Haute-Garonne. Mais je ne suis pas aveugle. Une élection n’est jamais gagnée d’avance.