Laurent Mauvignier, dans Histoires de la nuit vos personnages traînent comme un boulet leur condition de ruraux, de provinciaux, de résidents de la France périphérique. Était-ce votre cas ?
Je suis né et j’ai vécu longtemps en Touraine. À Descartes d’abord, à Tours ensuite. J’ai eu très vite envie de quitter la campagne. J’ai intégré les Beaux-Arts à Tours avant même d’avoir le bac. J’avais certes le goût de la peinture et du dessin, mais ce qui m’attirait dans les Beaux-Arts, c’était l’idée de la ville.
La première rencontre avec la ville, c’était comment ?
Tours m’a semblé gigantesque. J’y ai vu un Escalator pour la première fois de ma vie, et découvert qu’il fallait payer pour prendre le bus.
Et les Beaux-Arts ?
J’avais autour de moi des gens borderline. Certains sortaient de taule. On faisait la fête tout le temps. On arrivait en cours dans des états pas possibles. Une époque d’ivresse, de rencontres artistiques marquantes, comme avec Valère Novarina qui était venue passer quelques jours avec nous. Une période un peu folle, peut-être, au cours de laquelle j’ai réalisé que je n’étais pas le seul à ne pas vouloir devenir comptable.
C’était donc la comptabilité que vous fuyiez ?
Ma mère me rêvait guichetier au Crédit Agricole de Descartes. Ce n’était pas vraiment mon objectif. Ce n’était pas méchant de sa part. C’était juste comme ça. Quand on était jeune, à cette époque, à la campagne : la vie était tracée d’avance, finie avant d’avoir commencé. Un peu comme si on vous disait : « Tu ne risques pas de rater ta vie : c’est déjà fait ». Moi je voulais inventer quelque chose pour ma vie. C’est bien l’ambiance à la Chabrol, mais il vaut mieux en sortir. En même temps, ça m’a libéré. En me lançant dans la vie je me disais justement que je n’avais rien à perdre… parce que j’avais déjà perdu. Quand j’ai publié mon premier livre, une rencontre a été organisée à la Fnac de Tours avec les lecteurs. Dans l’assistance il n’y avait que des gens que je connaissais. Adorables, bienveillants, amicaux. C’était joyeux mais je me suis dit : « Il faut que je parte ». Il y a des moments où le passé devient un passif.
Gardez-vous tout de même un sentiment d’appartenance à la Touraine ?
Je fuis ce sentiment d’appartenance. Je le recherche aussi, parfois. J’ai toujours peur de me fossiliser.
Vous vivez depuis 16 ans à Toulouse, où le sentiment d’appartenance est très fort. Vous arrive-t-il de l’éprouver aussi ?
La première chose que je suis allé faire en arrivant à Toulouse c’est assister à un match de rugby. Je n’y connais rien mais je voulais voir. Je me suis retrouvé dans un Stade plein, avec une ambiance très bon enfant. Autour de moi les gens gueulaient « Toulousains, Toulousains, Toulousains ! » Cette idée de faire corps, ça m’a plu. J’étais envieux, je dois dire, de cette communauté qui se reconnaît autour d’une équipe, d’une ville. Et puis, je me suis demandé ce que ça donnerait si, en Touraine, des gens se mettaient à hurler « Tourangeaux, Tourangeaux, Tourangeaux! ». Ce n’est pas imaginable. Ça les ferait mourir de rire. C’est peut-être parce que je suis de là-bas que ce sentiment m’est étranger.
Est-ce l’identification à un lieu ou l’effet de groupe qui vous est désagréable?
Quand je suis avec un groupe constitué et heureux de se sentir en groupe, je ne me sens pas à l’aise. J’ai toujours un mouvement de recul. Pourtant je trouve ça touchant. En même temps ça me fait envie. Je ne suis pas très au clair avec moi-même sur ce point-là ! L’effet de groupe est souvent une question centrale dans mes livres. C’est le cas évidemment pour Dans la foule, qui traite du drame du Heysel. C’est aussi au cœur d’Autour du monde. Mais je ne suis pas parvenu au bout du sujet. Je voudrais écrire une histoire qui soit à la fois une utopie de groupe et un ensemble d’individus. Un groupe sans dilution des individus dans un grand tout.
Vous vous sentez bien, malgré tout, à Toulouse ?
J’aime Toulouse parce que c’est une ville en couleurs. Moi, je suis né dans une ville en noir et blanc. Dans la rue Nationale à Tours, si vous enlevez les voitures, il n’y a que du noir et du blanc. Les murs sont blancs, les toits sont noirs, le goudron est noir, et le ciel est gris. Ici, c’est la couleur. J’aime cette brique, plus chaleureuse que celle du Nord, avec son orangé, son ocre, qui vont si bien avec le vert de la végétation. C’est tellement beau qu’en arrivant ici j’ai pensé que je n’arriverais pas à bosser ici. Je me disais que c’était définitivement une ville pour les vacances. Sentiment qui s’est amplifié quand j’ai découvert que le supplément week-end de la Dépêche sortait… le jeudi !
Entre Tours et Toulouse vous avez vécu à Paris. Y avez-vous étanché votre soif de littérature, d’anonymat, de ville ?
Ce qui m’attirait à Paris, c’était l’idée d’une vie moins cadenassée. L’anonymat je ne le cherchais pas. Au contraire, j’en ai souffert. Je connais des Parisiens qui ont l’impression de vivre en province tellement ils sont isolés. Quand vous venez de votre campagne vous n’avez aucun repère. Vous êtes libre, mais cette liberté se fracasse contre la solitude. J’étais comme dans la chanson de Souchon : mal en campagne, mal en ville. Rien n’est plus difficile que de se trouver un territoire. Le seul lieu habitable, finalement, c’est la littérature. Le plus important pour moi à Paris n’était pas la question du lieu mais celle des gens que je rencontrais. Leurs parcours familiaux me paraissaient extraordinaires. Des petits-fils de réfugiés espagnols, des fils d’Italiens qui avaient fui le fascisme… Leur histoire familiale faisait partie de la grande Histoire alors que chez moi, on avait dû parcourir 5 km en 3 siècles… J’ai mis du temps à comprendre que cette non histoire était tout de même une histoire. Et qu’on pouvait en faire quelque chose. Aujourd’hui elle innerve mon travail.
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Laurent Mauvignier est l'invité du festival
Toulouse Polars du Sud, les 8, 9 et 10 octobre.
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