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Le catalyseur de Mélenchon – Manuel Bompard


Méconnu du grand public, le Toulousain Manuel Bompard est pourtant un rouage essentiel dans le dispositif de La France Insoumise et l’un des atouts majeurs de Jean-Luc Mélenchon en vue d’une qualification pour le second tour de l’élection présidentielle. Boudu a voulu en savoir plus sur ce directeur de campagne atypique, autant apprécié pour sa vivacité d’esprit que pour sa capacité à apaiser le volcanique leader de LFI.


Le blizz a beau souffler en cette froide soirée de février, il en faut plus pour refroidir les ardeurs du peuple de gauche venu assister, au Petit palais des sports, au premier meeting de campagne de L’Union Populaire pour la Présidentielle à Toulouse. À mesure que la salle se remplit, la température monte en attendant l’arrivée des tribuns, Adrien Quatennens, député du Nord et coordinateur de LFI et Mathilde Panot, députée du Val-de-Marne et présidente du groupe LFI à l’Assemblée nationale. À leurs côtés, Manuel Bompard souffre un peu de la comparaison en matière de notoriété. Le député européen est pourtant le régional de l’étape et le chef d’orchestre de la soirée, et au-delà le grand ordonnateur de la campagne présidentielle de Jean-Luc Mélenchon. C’est d’ailleurs lui qui se charge, en premier, de chauffer la salle à grands renforts de slogans qui font mouche comme « Macron est l’incarnation de la pratique autoritaire du pouvoir », ou de promesses enivrantes telles que « c’est notre programme qui s’appliquera, quoiqu’il en coûte, même s’il faut désobéir aux règles européennes ». Et d’exhorter la foule à croire à une issue heureuse : « N’écoutez pas les sondages, nous pouvons y arriver, on a tous une part du résultat entre les mains. À condition d’aller voter ! »

Réduire Manuel Bompard à un simple chauffeur de salle, si bon soit-il, reviendrait cependant à se tromper sur le personnage. Et à minimiser son importance au sein du parti comme ne manque d’ailleurs pas de le rappeler dès sa prise de parole son successeur à la tribune ce soir-là, Adrien Quatennens : « Sa modestie est proportionnelle à son talent ». Il faut dire qu’avec son jean bleu, sa petite veste noire et ses baskets blanches, l’homme cultive la sobriété vestimentaire. Pas vraiment le genre de la maison de se soucier de son allure. Ni d’amuser la galerie. Manuel Bompard, c’est le fond qui l’intéresse. Et la victoire. Parce qu’il en est convaincu, la révolution est (encore) possible, même si l’espoir de renverser la table, il le confesse du bout des lèvres, n’est sans doute pas aussi grand qu’en 2017. « Je n’arrive pas à m’enlever de la tête que l’on ne retrouvera peut-être jamais une aussi belle occasion de l’emporter… »


Si la politique constitue aujourd’hui l’alpha et l’oméga de Manuel Bompard, il n’en a pas toujours été ainsi. Né à Firminy dans la Loire, il grandit à côté de Valence dans une famille où l’on discute politique mais où l’on ne milite pas, « à part peut-être lorsque ma mère s’est présentée aux municipales sur une liste citoyenne ». Adolescent atypique, il brille dans les résultats autant qu’il irrite ses professeurs. Une sorte de « bon élève du dernier rang » : « J’étais assez dissipé, un peu insolent, rebelle, comme disait ma mère. » Rebelle, peut-être, mais sachant très tôt ce qu’il veut. Contrairement à beaucoup d’enfants de son âge, il est animé par une passion, l’informatique, sans doute transmise par son paternel informaticien de son état, dont il compte faire son métier : « Tout petit, je cherchais à comprendre comment fonctionnaient les ordis que mon père ramenait à la maison. Je m’amusais également à faire un peu de programmation. » Aussi une fois le bac en poche avec un 20/20 en mathématiques, il intègre l’école d’ingénieurs Ensimag à Grenoble, comme il se l’était promis : « Je m’étais fixé un objectif et je l’ai fait ». En dehors de l’informatique, Manuel Bompard vit une jeunesse banale, partagée entre le foot, la Playstation et les copains. La politique est perçue comme le reste, avec un certain détachement, pour ne pas dire nonchalance, même lorsque l’heure est grave. Le 21 avril 2002, c’est avec un sourire narquois qu’il accueille le résultat (qualification de Jean-Marie Le Pen au second tour de l’élection présidentielle, ndlr) au grand dam de sa mère : « Je me souviens m’être fait rabrouer. C’est vrai que je m’en foutais un peu. » Lien de causalité ou pas, il participe néanmoins aux manifs de l’entre-deux tours, sans que l’on puisse véritablement parler, de son propre aveu, de déclic.



Le déclic du CPE Celui-ci n’interviendra que deux ans plus tard, à l’occasion du contrat première embauche. Parmi ses pairs, au sein de l’école d’ingénieurs, le projet de loi rencontre une grande indifférence. Qu’importe, il se rend à une réunion d’information à la faculté de lettres voisine pour en savoir plus. En parallèle, il se documente, lit des journaux, bref bosse le sujet pour se faire une opinion : « Quand quelque chose suscite ma curiosité, je procède toujours comme ça. Et une fois que j’acquiers la conviction que ce contrat n’est pas bon, je m’engage. » Passé l’épisode de la mobilisation contre le CPE, il retrouve l’anonymat de l’Ensimag jusqu’à ce que le référendum sur le traité européen le fasse une nouvelle fois, un an après, sortir de l’ombre. Et s’engager, plus fortement encore que la première fois, dans la bataille des idées, au point de faire du prosélytisme dans son entourage : « Parce que le sujet en vaut la peine. » Jean-Luc Mélenchon a beau être l’une des principales figures du camp du non, Manuel Bompard jure ne pas avoir, à l’époque, fait le lien politique : « C’est alors plus le sujet que les gens qui m’intéresse ».

Alors que l’on pourrait l’imaginer enfin lancé dans le grand bain du militantisme, il hésite encore à franchir le pas, faute d’une offre politique pleinement satisfaisante : « Je sens que je suis de gauche mais je ne me reconnais ni dans le PS, qui a abandonné une perspective de transformation de la société, ni dans les autres partis plus à gauche qui n’ont pas de stratégie de conquête du pouvoir. » Après avoir hésité à s’impliquer en 2007 dans la campagne de Ségolène Royal, à qui il reconnait le mérite de « casser un peu les vieux schémas politiques », il finit par renoncer. Tout juste diplômé de son école d’ingénieur, c’est la lecture d’En quête de gauche, le brûlot de Mélenchon sur le PS, qui éclaire son chemin : « J’y lis ce que je pense aussi bien sur le fond que sur la stratégie à adopter pour conquérir le pouvoir. Il met vraiment des mots sur ce que je pense. »


Aussi lorsqu’il se retrouve quelques mois plus tard seul à Paris (il est alors en stage dans les Hauts-de-Seine), il s’aventure dans une réunion du PRS, courant mélenchoniste du PS, organisée dans le XXe arrondissement. À l’issue du débat, la conversation s’engage avec quelques participants dont Eric Coquerel, François Delapierre et Danielle Simonnet, qui lui proposent de rejoindre les ateliers des lois, où les troupes du futur dissident socialiste décortiquent les projets de lois en vue d’en expliquer les enjeux lors de réunions publiques. Une sollicitation que ce passionné du travail de l’ombre ne peut refuser. C’est le véritable démarrage de l’aventure militante. Tout s’enchaîne assez vite par la suite. Il est invité aux réunions du PRS qui prépare sa sortie du Parti Socialiste. Après avoir participé à l’élaboration du meeting de lancement du nouveau Parti de gauche fin 2008, il se voit, dans la foulée, confier l’animation du parti dans le 75 en binôme avec Danielle Simonet. Au contact de la conseillère de Paris, il enchaine les réunions dans les arrondissements, apprend à prendre la parole en public, à organiser une manifestation. Une formation en accéléré qu’il complète par des lectures philosophiques, marxistes « pour rattraper son retard de formation » et gommer ce désagréable sentiment de ne pas être « tout à fait légitime dans les tâches qui lui sont confiées ».

Reste que dans l’immédiat, c’est un boulot que Manuel Bompard doit trouver et c’est à Toulouse, plus précisément à Ramonville, qu’il le décroche dans une startup aéronautique. Rien d’étonnant vu l’intitulé de son sujet de thèse : « Modèles de substitution pour l’optimisation globale de forme en aérodynamique et méthode locale sans paramétrisation ». La proximité avec l’aéronautique n’est toutefois pas la seule raison de son installation dans la Ville rose : « J’ai eu envie de m’installer ici dès l’instant où j’y ai posé le pied. Je suis comme ça… » Sur un plan politique, il voit également l’intérêt de s’éloigner un peu de la capitale où il est difficile de s’émanciper de l’ombre forcément écrasante de Jean-Luc Mélenchon : « Ici, j’ai davantage de marge de manœuvre, de visibilité. Je rencontre de nouvelles personnes. J’acquiers de l’expérience, je travaille la relation avec les autres partis, avec les médias. » Jean-Christophe Sellin, alors co-secrétaire départemental, se souvient de l’arrivée d’un jeune homme assez timide, presque réservé, mais qui était déjà « très construit politiquement, sérieux et méthodique, un militant qui savait mettre la main à la pâte quand il le fallait. Capable de réfléchir, comme de remplir la place du Capitole ». Et lors des européennes de 2014, celui qui est devenu responsable du PG 31 se voit confier la responsabilité de la campagne de Mélenchon dans la circonscription du Sud-Ouest. Le véritable début de son histoire avec l’ex enfant terrible du PS. « Quand on est directeur de campagne, on voit le candidat presque tous les jours. Forcément, ça rapproche. » Le galop d’essai s’étant conclu par une réélection au Parlement européen, c’est (presque) sans surprise qu’il est à nouveau sollicité par le patron de La France Insoumise pour piloter sa campagne présidentielle 2017. « Parce que c’est le meilleur », ne manque jamais de répondre Jean-Luc Mélenchon lorsqu’on l’interroge sur le sujet. L’enjeu a beau ne pas être le même, l’ingénieur accueille la promotion avec détachement, sans se préoccuper des jalousies que sa nomination pourrait engendrer : « Vu que je n’ai jamais couru après quoique ce soit, je n’ai pas eu l’impression d’écraser les pieds de quelqu’un. Ce qui m’amène à considérer sans être arrogant, que personne ne trouve cette proposition saugrenue. » La tâche est cependant immense, à la hauteur de l’attente qu’a fait naître la promesse de la précédente campagne. Mais Manuel Bompard n’est pas homme à crouler sous la pression. Concentré, il déroule le plan établi en amont, de manière quasi scientifique : « Je sens que ma formation m’aide à rationaliser, à trier ce qui est important. Et le fait de ne pas avoir de relations conflictuelles me permet d’être un liant entre tout le monde. Et donc de pouvoir entrainer une équipe. »



Une impression confirmée par Alexis Corbière, alors porte-parole de Jean-Luc Mélenchon, pour qui l’apport de son camarade est précieux : « À côté de nous qui sommes plutôt des littéraires, ça fait du bien d’avoir ce regard précis, carré, moins dans le verbe. Il fabrique de la confiance, il garde son sang-froid. Jean-Luc apprécie par exemple le fait qu’il le ramène à des faits objectifs. Ses jugements sont toujours fondés. Ça tempère par rapport à nous qui sommes parfois exaltés. » « C’est quelqu’un qui le rassure par ses qualités d’organisateur  », approuve Jean-Christophe Sellin, aujourd’hui coordinateur national du Parti de gauche. Cette tempérance, Manuel Bompard la revendique, tout comme une relative distance avec Jean-Luc Mélenchon : « Bien sûr qu’une relation de confiance, même amicale, s’est tissée entre nous au fil du temps. Mais mon rôle exige de ne pas être dans la fascination. Sinon je n’ai plus d’analyse critique sur ce qu’il fait. » Ce qui ne l’empêche pas de mesurer sa chance : « Je suis d’autant plus déterminé que j’ai un candidat avec lequel j’ai l’impression d’être totalement en accord. Du point de vue de l’engagement en politique, je vis une sorte de plénitude. Je n’ai connu aucun moment de doute depuis le début, même lors des défaites électorales. » Celle de 2017 est pourtant difficile à encaisser pour le jeune mathématicien, surtout après l’élan né le 18 mars à l’occasion de la marche vers la place de la République : « J’ai ressenti un grand vide, physique, dès le lendemain. J’étais épuisé mais sans nourrir véritablement de regret. J’ai l’impression que l’on a respecté la feuille de route et que l’on a franchi les étapes telles qu’on les avait imaginés. » Cinq ans après, celui qui est devenu en 2019 député européen persiste à penser que Jean-Luc Mélenchon est le bon candidat, en dépit des coups de sang dont il est coutumier : « Je ne connais pas de personnalité parfaite. On a tous des points forts et des points faibles. Mon rôle est qu’on les voit le moins possible. Il y a beaucoup de gens qui aiment son tempérament, sa sincérité et sa détermination. » Et de regretter l’image erronée que certains Français ont du leader de LFI : « Il n’a aucune difficulté à accepter la contradiction à partir du moment où c’est étayé et surtout qu’on lui propose des solutions. En tant que directeur de campagne, il attend de moi que je sois dans la proposition et non dans le commentaire. Après j’ai intégré le fait que c’est lui qui a le dernier mot. Mais ça lui arrive très rarement de prendre une décision avec laquelle je suis en désaccord profond. »



Une nouvelle fois choisi, cette année, pour orchestrer la campagne, il estime s’être bonifié depuis 2017 : « Je pense que j’ai plus de poids dans la réflexion stratégique et surtout je fais en sorte de moins le solliciter. Parce qu’un bon directeur de campagne, c’est savoir prendre les décisions à la place du candidat en décidant comme il le ferait. Donc ça suppose avoir une compréhension, et une vision des choses très proche. Je crois le faire mieux que la dernière fois. Mais on le verra à la fin car seul le résultat compte. » Une chose est sûre, il force l’admiration de tous, comme Adrien Quatennens qui ne tarit pas d’éloges à propos de celui qu’il qualifie de « pièce maitresse du dispositif » : « Il a beaucoup œuvré dans l’ombre mais son importance gagne à être connue. Car il est souvent à l’origine de bonnes idées. C’est véritablement lui qui met en musique. Et c’est très agréable de travailler avec lui, nos réunions sont stimulantes, il définit bien les enjeux, il a une capacité de travail et une rapidité intellectuelle impressionnante. » Localement, il est également très apprécié comme le confirme François Piquemal, conseiller municipal d’opposition à la Ville et futur candidat aux législatives sous la bannière LFI : « C’est quelqu’un dont l’objectif est avant tout de faire avancer le camp de la gauche. Certes il défend les intérêts de LFI mais il sait s’ouvrir quand les circonstances l’imposent. C’est un pragmatique. Lors des dernières municipales, LFI aurait pu avoir une liste autonome. Il a fait partie de ceux qui ont milité pour qu’il y ait une liste unitaire. Ses conseils sont toujours précieux. » Reste à savoir, une fois la campagne présidentielle passée, quel pourrait être l’avenir de Manuel Bompard au sein de LFI. Bien qu’elle l’épanouisse, il reconnaît être un peu gêné d’avoir dû abandonner son travail pour se consacrer à la politique. « Je ne nie pas être confronté à une contradiction. Mais ce n’est matériellement pas possible de continuer à travailler en étant député européen. Il faut absolument se pencher sur cette question si l’on ne veut pas que les mandats soient trustés par des gens travaillant dans la fonction publique. » En attendant, il pourrait, dans un proche avenir, faire son entrée au Palais Bourbon. Même si rien n’est, assure-t-il, pour l’heure, décidé : « J’avance étape par étape, je ne suis concentré que sur l’élection présidentielle car je sens que c’est possible »

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