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Jean Couderc

Le flegme frontonnais – Frédéric Ribes

Dernière mise à jour : 17 janv.

Désormais associé à sa fille et à son neveu à la tête du Domaine du Roc à Fronton, Frédéric Ribes n’a eu de cesse, depuis 20 ans, d’adapter sa manière de travailler au changement climatique. Sans pour autant s’inquiéter outre mesure sur sa capacité de continuer à produire du (bon) vin.



En ce matin de novembre, la température à Fronton serait presque de saison. Une quasi anomalie cette année tant l’été indien se prolonge sur le vignoble comme dans toute l’Occitanie. Frédéric Ribes, qui a rejoint l’exploitation en 1988, n’a d’ailleurs pas le souvenir d’avoir connu une telle douceur à cette période de l’année. Pour preuve, les (nombreuses) feuilles vertes que l’on trouve encore dans ses vignes. Mais le changement climatique, cet œnologue de formation n’a pas attendu 2022 pour le découvrir. Lorsqu’il succède, avec son frère, au paternel à la tête du Domaine du Roc, les vins de Fronton n’ont pas très bonne réputation. En cause, une restructuration du vignoble, récente, et une manière de travailler à moderniser. « Dans les années 60-70, où l’objectif était avant tout de produire massivement du vin, les vignerons utilisaient beaucoup de désherbants et d’engrais. Cette façon de procéder n’était pas très satisfaisante pour nous qui avions une sensibilité écologique. » Déterminés à trouver d’autres solutions, les frangins se mettent en tête de retrouver des sols vivants. « Parce que jusqu’à présent les produits utilisés empêchaient la biologie du sol. » Première initiative : l’enherbement des sols, c’est-à-dire le fait de mettre de l’herbe dans la vigne. Un procédé révolutionnaire dans le Fronton où l’on ne voulait pas en entendre parler jusqu’alors, considérant l’herbe et la vigne concurrentes : « Or c’est faux. Une herbe maitrisée est un facteur positif, notamment par rapport à l’eau. Plus le sol a de la matière organique, plus la capacité de rétention d’eau est forte. » Faisant fi des regards de travers de gens qui « trouvaient que c’était sale d’agir ainsi, alors qu’aujourd’hui c’est le contraire », les frères Ribes, sans le savoir, sont en train d’anticiper les changements climatiques à venir. Ce changement, c’est au mitan des années 2000 que le cadet des Ribes commence à l’appréhender  : « Au début du nouveau millénaire, je pensais que c’était une phase que nous traversions, comme on en a déjà connu par le passé. Même si j’avais une formation scientifique, je n’étais pas au Giec ! » Sinon que d’année en année, il se rend compte que la quantité de sucre dans le raisin ne cesse d’augmenter, conséquence directe de l’élévation des températures. « Dans les années 1990, un raisin à maturité montait à 12, 12°5. Aujourd’hui, on arrive à 14°5 sur la même parcelle avec la même vigne, ce qui représente 35 grammes de sucre en plus par kilo de raisin. »


« La plante s’adapte. Le vigneron aussi »

Pour pallier cette progression des températures, Frédéric Ribes décide, à partir du début des années 2010, de ne plus planter de vignes sur terrain sec. Loin d’être une sinécure dans une région qui ne dispose pas de sols très profonds. Il décide également de repenser son rapport à la production : « Avant, il fallait augmenter la densité à l’hectare pour monter en qualité. Depuis 2010, on cherche à stabiliser la densité à 35-40 hectaux par hectare. Car le facteur limitant, c’est l’eau, pas le soleil. » Un soleil de plus en plus présent qui n’a toutefois pas conduit Frédéric Ribes à avoir recours à l’irrigation extérieure grâce aux mares creusées sur son exploitation qui lui permettent de récupérer les eaux d’hiver et d’irriguer les périodes critiques. Comme l’été 2022 où « cela nous a été bien utile quand il a fait très chaud ».


Les conséquences de cet ensoleillement persistant sont multiples. À commencer par les vendanges désormais avancées d’une bonne quinzaine de jours : « Cette année, on a vendangé le 15 août. Vu la chaleur qu’il faisait, inutile de dire qu’il était impossible d’envoyer un vendangeur dans la vigne après midi ! » Le travail de la vigne se trouve également impacté : « Avant, on effeuillait mi-juillet pour que la vigne soit aérée et que ne se forme pas de pourriture. Maintenant, il faut la laisser pour éviter les coups de soleils ! On est également repassé à la taille en gobelet plus adaptée à notre production.» Autre impact non négligeable, l’équilibre du vin : « Les raisins disposant d’un peu moins d’acidité et étant plus riches, la fermentation est plus difficile. » Les cépages n’échappent évidemment pas au changement. Si la négrette, cépage phare du Fronton, demeure dominant parce qu’il n’est pas le plus gourmand en eau, la syrah, qui aime la chaleur, est de plus en plus utilisée par les vignerons du territoire. Mais Frédéric Ribes n’a pas hésité également à exhumer le bouysselet, un cépage blanc tombé en désuétude et sauvé de l’oubli grâce à sa singularité, celle d’avoir une maturité tardive : « Du temps de la production intensive et de la rationalisation, avoir un cépage aussi tardif n’était pas intéressant. Aujourd’hui, on s’aperçoit qu’il s’en sort mieux car il gèle moins et qu’il souffre moins de la chaleur. Dans le fond, les raisons qui ont conduit à l’abandonner il y a 40 ans sont celles qui conduisent maintenant à le réhabiliter. » Si le bouysselet doit son retour en grâce au réchauffement climatique, Frédéric Ribes sait bien qu’il ne doit pas composer qu’avec l’augmentation du thermomètre.


« Il ne faut pas vouloir lutter frontalement contre le changement climatique »

Car c’est l’idée même de la saisonnalité de la météo qui se trouve profondément chamboulée : « Les printemps peuvent être plus humides, les automnes plus secs, on n’a plus les mêmes flux, masses d’air. » En bref, pour Frédéric Ribes, c’est plus de changement que de réchauffement climatique dont il convient de parler. « Parce que les orages de grêles, les tempêtes, les épisodes de gel se multiplient de plus en plus, à n’importe quel moment de l’année. » Plutôt que s’apitoyer sur son sort, celui qui est aussi président du syndicat des vins de l’AOP Fronton estime qu’il faut accepter les aléas climatiques… et répercuter ses conséquences sur les tableaux Excel ! « Je ne crois pas qu’il faille vouloir lutter frontalement contre le changement climatique. La plante s’adapte, le vigneron aussi. Il faut d’ailleurs qu’elle souffre un peu pour donner un bon vin. Et puis les solutions qui existent sont parfois très chères comme les filets anti-grêle. Je pense en revanche qu’il faut arrêter de raisonner en rendement plein mais anticiper les aléas dans le prévisionnel. C’est en tous cas ce que je fais puisque je prévois désormais une perte de 20 % en 10 ans. » Une manière de moins angoisser lorsque le ciel s’assombrit dans le ciel de Fronton.

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