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BOUDU

Le Grand cercle : à la naissance d’un mouvement citoyen

19h15, on se croirait presque à l’entrée d’une boîte de nuit à l’heure d’affluence. À ceci près que les trois physionomistes ont passé l’âge de montrer les muscles et que tout le monde peut entrer. Seule condition : donner son mail. Forte affluence oblige, on fait la queue pour passer le second sas. « On fait entrer au compte-goutte pour que les stands ne soient pas saturés », précise le jeune homme chargé de faire barrage. Derrière lui, la salle San Subra fourmille de monde.

Acte I : les îlots

Quand le malabar d’un soir libère le passage, encore désolé pour l’attente, débute la navigation à travers les « îlots ». Des stands thématiques qui présentent les grands principes, les objectifs et le fonctionnement du nouveau mouvement citoyen. Pas de tracts imprimés à la va-vite. Ici, on ne gaspille pas le papier. « Il est important pour nous que tout le monde ait les clés pour comprendre l’esprit et le fonctionnement du mouvement avant de rentrer dans le vif du sujet », nous explique Émilie Teyssèdre, l’une des deux porte-paroles provisoires de L’Archipel Citoyen.

Et si on rêvait de la société telle qu’on la voudrait avant de trouver des moyens d’y arriver ?

Depuis cet été, une quarantaine de citoyens actifs et près de 200 sympathisants jettent les bases de ce mouvement. Parmi eux, beaucoup ont déjà un passé militant – de gauche ou écolo pour la plupart. À l’origine de cette initiative, « l’envie de dépasser le ras-le-bol de la politique politicienne alors que la politique est essentielle à la société », détaille Émilie Teyssèdre. Leur credo, « remettre le citoyen au centre des décisions qui le concernent directement, à l’échelon métropolitain ». Dans leur viseur, une candidature aux municipales de 2020. Pour le moment, le socle idéologique commun se résume à une volonté de penser la démocratie différemment et de prôner des valeurs positives. La définition de la feuille de route sera le grand enjeu des prochains mois. C’est justement pour faire le point sur la méthodologie et amorcer les réflexions de fond que plus d’une centaine d’habitants de la métropole a fait le déplacement pour le premier Grand Cercle – néologisme pour remplacer la trop connotée AG. De la petite vingtaine à l’âge de la retraite bien tassé, toutes les générations sont représentées. Autant d’hommes que de femmes. Peu de costumes, quelques parkas, beaucoup de doudounes. « Par contre, la population est très blanche… », déplore Martin. Pour l’enseignant de 32 ans, lui-même impliqué dans le mouvement Nouvelle Donne, « on voit bien que ceux qui sont là ce soir sont des gens qui se sentent déjà légitimes pour prendre la parole. L’un des grands enjeux sera d’aller chercher un peu de mixité, d’inciter d’autres profils à s’exprimer ».


Acte II : le Grand Cercle Partout, de petits groupes se forment et le débat s’engage. Certains se connaissent déjà, les autres font rapidement connaissance. On ajoute des rangées de sièges pour faire face à l’affluence. 45 minutes ont passé. Le Grand Cercle peut commencer. Sur scène, absence de chef oblige, les interlocuteurs se succèdent. Hommes et femmes, jeunes et moins jeunes. « Pour être tout à fait transparent », le noyau primitif du mouvement présente ses avancées, mais aussi ses débats internes et ses doutes. Surtout, on prône l’horizontalité et le refus de mettre en avant une quelconque personnalité. Le cercle de coordination ? « Ce ne sera surtout pas un Politburo ! ». Tous marchent sur des œufs. « C’est compliqué de trouver un nouveau mode de fonctionnement qui ne soit pas vertical, mais qui soit quand même efficace pour prendre des décisions », reconnait Catherine, une enseignante de 57 ans qui suit le mouvement depuis ses prémices. « Il y a toujours un moment où il faut déléguer ses pouvoirs à quelqu’un, surtout quand on veut se présenter à une élection… ». Autre obsession lors du Grand Cercle : l’éducation populaire. Le mouvement en est convaincu, le citoyen doit « monter en compétence », comprendre les mécanismes des collectivités, se confronter à la réalité et maîtriser ses sujets pour être pertinent à l’heure des propositions. Ça tombe bien, c’est le moment d’entrer dans le vif du sujet.

Acte III : les ateliers participatifs Tous s’activent, et en quelques secondes, les rangées de chaises se transforment en rondes. Une pour chacun des cercles thématiques : identité et communication, gouvernance et démocratie, outils, urbanisme et mobilités, écologie et biens communs, lutte contre l’exclusion et solidarité, économie, et culture, sport et lien social. La répartition est rapide, les centres d’intérêt respectifs marqués. Les cercles ont désormais 40 minutes pour jeter sur une feuille les premiers objectifs concrets que leurs commissions devront relever. Malgré la centaine de personnes, le niveau sonore est étrangement bas. Les participants se présentent à voix feutrée. Alors les cercles se resserrent pour mieux s’écouter. Dans le cercle Écologie et Biens communs, un peu gênés aux entournures, les deux animateurs provisoires avouent être élus d’opposition à la Métropole. « Encore heureux que ce soit dans l’opposition… », souffle une participante. François Lepineux, maire de Brax et vice-président divers gauche de la commission Développement durable & Énergie de Toulouse Métropole, tient rapidement à dissiper la gêne. « Ce n’est pas une position confortable pour nous et elle n’a pas vocation à durer. » Une fois le sujet évacué, personne n’ose vraiment se lancer. Tous ont leurs marottes, mais par quoi commencer ?

JE FERAI UN DOODLE, MAIS COMME C’EST GOOGLE, IL NE FAUDRA PAS LE DIRE AUX AUTRES 

Un peu plus loin, le cercle Urbanisme et Mobilités, le plus fourni, a trouvé son rythme de croisière et donne de la voix. Beaucoup sont du métier, de l’archi au BTP. On y parle déjà PDU, PLUIH, et autres échéances proches sur lesquelles se positionner. Juste à côté, plus restreint et plus discret, le cercle dédié à la lutte contre l’exclusion et à la solidarité reconnaît son manque d’expertise sur le sujet et discute de la méthodologie à adopter. Par quel bout saisir le sujet ? On peine à rentrer dans le concret et certains ne se privent pas de le souligner. Jusqu’à ce que l’un d’eux lance un « Et si on rêvait de la société telle qu’on la voudrait avant de trouver des moyens d’y arriver ? ». À mesure que la soirée avance, les langues se délient et le niveau sonore s’amplifie. On annonce qu’il ne reste plus que 5 minutes aux cercles pour remettre leur copie. À la Solidarité, on commence à s’inquiéter. La feuille A3 est toujours désespérément vide. « C’est pas bon ça… ». Le volume monte encore d’un cran. Au micro, on annonce la fin du chrono. Certains cercles, sereins, ont déjà consciencieusement rempli leur feuille. Ailleurs, on se hâte. Dans le cercle Solidarité, le principe de la prochaine « réunion rêve » est acté. Il ne reste plus qu’à fixer sa date. Avec quel outil ? « Je ferai un Doodle, mais comme c’est Google et qu’on est censés utiliser des outils collaboratifs, il ne faudra pas le dire aux autres… », glisse l’une des membres. « Il faudra m’expliquer comment ça marche… », s’inquiète une autre. Tous les groupes se promettent de se retrouver dans un mois. Mais d’abord, tous se réunissent pour l’« auberge espagnole ».

Épilogue : l’auberge espagnole Il est 23 heures et la salle affiche toujours complet. L’air toujours bien réveillé malgré l’heure tardive, les participants poursuivent les débats autour de vin, de jus de fruits bio, de quiches maison et de gâteaux. On y parle PLU entre deux chips, et énergie la bouche pleine. À l’heure du premier bilan, tous semblent enthousiastes mais prudents, conscients de la difficulté de penser un nouveau modèle égalitaire, participatif, efficace et pertinent. À l’image de Nathalie, chargée de marketing chez Airbus et membre du cercle Solidarité : « Il faudra être à l’écoute de ceux pour qui on veut porter des projets. Parce que même avec les meilleurs intentions du monde, si on ne se confronte pas à la réalité, nos propositions risquent de tomber à côté ». Au buffet, les conversations s’éternisent. Personne ne semble vraiment vouloir partir. « On se sent en famille même si on vient tous d’horizons différents, souligne Nathalie. Enfin… pas sûr qu’il y ait beaucoup de gens de droite ici… » 

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