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Sébastien Vaissière

Le iel, les réseaux et ta mère – Lorànt Deutsch

Dernière mise à jour : 19 févr.

Le 10 décembre à Altigone, Lorànt Deutsch jouera presque à domicile (sa belle-famille est toulousaine) un seul en scène tiré de son livre Romanesque. En guise de préambule, celui dont les raccourcis défrisent, dont les penchants royalistes agacent, et à qui Télérama voulait « couper la tête » il y a dix ans, nous parle d’histoires écrites avec les pieds, de réseaux sociaux, du pronom iel et de notre langue mère, le latin.



À la lecture de Romanesque, on apprend que rugby  vient du viking, que les Wisigoths, dont Toulouse fut la capitale, ont donné aux Français le mot soupe, et que sans les Occitans, on ne connaîtrait pas l’« amour »…  C’est ça. Sans les troubadours, qui ont eu la préséance sur les trouvères, on ne dirait pas « amour » à la toulousaine, mais « ameur » à la champenoise. Et franchement, tant mieux. Le mot « ameur » ferait passer à tout le monde l’envie de tomber amoureux.


Depuis la sortie de Métronome en 2009, ce genre de curiosités historiques est le carburant de vos succès de librairie. Pourquoi cette fois ajouter un spectacle au livre ? J’avais envie d’écrire une histoire de la langue française et de la porter sur scène pour retrouver mon métier premier, qui est de m’exprimer avec la langue et pas avec la plume.


Le spectacle est donc une adaptation du livre ? J’ai écrit les deux conjointement. J’ai réservé au livre les passages les plus didactiques et les plus argumentés, et j’ai choisi pour le spectacle les scènes les plus marrantes et dont j’étais curieux de découvrir l’effet qu’elles produiraient sur le public. J’enfile des costumes, je projette des vidéos, des illustrations. Cela ressemble un peu à un cours, mais c’est surtout un spectacle comique.


Vous jouez une espèce d’Alain Decaux exalté et costumé, en somme…  Si on veut… Il est vrai que j’aimais la manière qu’il avait de raconter l’Histoire, avec cette épaisseur, cette onctuosité particulière. Il prenait des risques dans l’incarnation, dans la vulgarisation. C’est cela qui fait du bien, qui rend l’Histoire proche de nous, et qui nous aide à regarder le présent. Contrairement à ce qu’on dit, l’amour de l’histoire de France n’est pas une nostalgie. Bien au contraire. Quand on aime l’histoire, on savoure deux fois plus le spectacle de son époque.


Outre les livres, le spectacle, l’émission Laissez-vous guider que vous co-animez sur France 2 avec Stéphane Bern, vous avez créé en 2018 une chaîne YouTube consacrée à l’histoire des villes de France. Un passage obligé pour s’adresser aux plus jeunes ? On caricature sans doute en disant qu’on touche les jeunes sur les réseaux sociaux, les vieux à la télé et les seniors au théâtre, mais il y a un fond de vérité. La jeunesse réclame de la vitesse. Elle nous inocule à tous son désir de vitesse. On a tous, désormais, cette dépendance au tout-tout-de-suite. C’est à cela que j’essaie de répondre avec ma chaîne YouTube.


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Qu’y postez-vous ? Des visites de villes de France à toute berzingue (c’est le titre de la chaîne), c’est-à-dire en moins de 10 minutes. Dans le Sud-Ouest, je me suis baladé à Montauban, Mont-de-Marsan, Dax, Pau et bientôt Toulouse. Raconter les villes sur le digital est un exercice très particulier. Il faut en dire un maximum en un minimum de temps, et s’affranchir de la méthodologie des historiens qui soupèsent chaque mot, usent de notes de bas de page, de précisions et de nuance. Chacun ses compétences. La mienne est de capter l’attention, de divertir, d’intriguer. Certains jeunes internautes se découvriront peut-être une passion pour l’histoire dans ces vidéos.


Et vous, où avez-vous découvert la vôtre ? Dans les épopées romanesques à la sauce hollywoodienne. Elles avaient une dramaturgie, une flamboyance, une émotion propres au cinéma. Évidemment, on était loin de la matière brute historique et scientifique qui se veut aussi froide et rigide que les mathématiques ou la physique. Moi, j’ai appris l’histoire comme ça, et c’est pour cela que je la raconte autrement.


C’est précisément ce que vous reprochent certains historiens…  Je m’autorise à regarder l’histoire avec des yeux d’enfant. Cela rend jaloux les historiens en question parce qu’ils ne peuvent pas se le permettre. Et d’ailleurs, ceux qui m’ont attaqué sont démasqués depuis longtemps. On a compris qu’ils s’agissait de militants politiques. Pour autant, je ne veux ni leur couper la tête ni les interdire d’antenne, parce qu’on m’a appris la tolérance et le respect des autres. Je ne suis pas un politique, je suis un passionné d’histoire, et je la traite à ma manière.


Comment définiriez-vous cette « manière » ? J’écris l’histoire avec mes pieds. Au gré des rencontres et des traces qui m’interpellent. Ma matière, c’est celle de tout le monde. Les déplacements quotidiens, les stations de métro, les routes, les mots. Autour de Toulouse, ce sera la Nationale 20. Pourquoi cette route-là ? Que signifie cette route de Paris ? Pourquoi Montauban est-elle placée en amont, pourquoi a-t-elle été souvent le verrou de Toulouse etc. Notre réalité géographique quotidienne a une histoire. Elle est souvent source de surprise, d’émerveillement. Et cet émerveillement né du quotidien… améliore le quotidien.


Romanesque réveille le plaisir de l’étymologie et des racines latines. On en regretterait presque d’avoir glandé au collège en cours de latin… J’ai fait moi aussi du latin à l’école. On me l’a appris, comme à beaucoup d’autres, d’une façon insupportable, focalisée sur les cas, les déclinaisons. Alors que le latin à l’école, ça pourrait être passionnant comme une chasse au trésor à la recherche du vocabulaire. C’est terrible de couper ainsi les ponts entre les enfants et le latin. La langue française en gros, c’est 80 % de latin, 10 % de grec et 10 % de tout le reste… dont l’anglais. On est paniqués par les anglicismes, mais c’est rien du tout ! 500 mots au maximum, et souvent du vocabulaire de niche, technique, économique. C’est une question d’air du temps. On en reparlera dans un siècle et on verra bien. Alors que latin, c’est fondateur, structurel, et ça dure.


Tout de même, ce que montre Romanesque, c’est bien l’inexorable évolution de la langue ! Il n’y a pas de langue d’avant. Simplement une langue qui, depuis toujours, répond à une seule priorité : l’usage. C’est pour cela qu’elle ne doit pas être excluante. On le voit bien avec le débat actuel autour du pronom iel. C’est ridicule. Des militants politiques et des idéologues veulent nous l’imposer. Il n’y parviendront pas. La langue française ne se fera pas avec eux. Elle a été orale avant d’être écrite. Elle a été autonome 500 ans avant qu’existe une académie pour la fixer. Elle répond au besoin de se comprendre et de se parler, pas de s’exclure.


Le fait que iel figure dans le Robert 2022 ne change-t-il pas la donne ? Un peu, mais le Robert ne fait pas l’usage. Il est très engagé politiquement. Il suffit de chercher dans le Petit Robert les définitions de la gauche et de la droite pour le vérifier. Après tout, laissons faire ceux qui veulent instrumentaliser la langue française, il ne font que bâtir des châteaux de sable qui seront balayés par la marée.


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ROMANESQUE La folle aventure de la langue française


Altigone (Saint-Orens-De-Gameville) Vendredi 10 décembre 2021

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