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Le paradis empoisonné – Vallée de l’Orbiel


Denis et Cindy Morel avec leurs enfants


Au nord de Carcassonne, grimpant vers la montagne Noire, apparaît un petit bout d’Aude au charme fou. La vallée de l’Orbiel est un paradis naturel avec ses collines verdoyantes, ses rivières bucoliques, les ruines romantiques des quatre châteaux à Lastours, les maisons dans la roche de Mas-Cabardès… Pourtant, dans ce village, le jardin de Lucas, Benoît et Léa semble à l’abandon. Les enfants de neuf, sept et deux ans ont délaissé leur balançoire, leurs jeux et les grands arbres fruitiers. « Nous croulons sous les pommes et les poires mais nous les laissons pourrir sur place », se désole Denis Morel, le père des trois écoliers, assis à la table de sa cuisine. « Tout l’été, nous avons regardé les tomates mûrir sans pouvoir les cueillir », poursuit Cindy Morel, son épouse. Privés de jardin, les enfants s’amusent derrière les murs de la petite maison.

Après chaque sortie, ils se lavent soigneusement les mains. La petite Léa ne peut surtout pas jouer en mettant les mains dans la terre. Comme les autres enfants de la commune, depuis le mois d’octobre, ils n’ont plus accès à l’aire de jeux du village testée par l’Institut national de l’environnement industriel et des risques (Ineris) et dont les concentrations en arsenic, plomb ou mercure sont « bien supérieures aux niveaux de concentrations admissibles ». Au total, 10 sites publics sur 25 sont concernés. Pour respecter les consignes de l’Agence Régional de la Santé (ARS) Cindy et Denis Morel devraient aussi lessiver le sol de leur maison plusieurs fois par jour, ne plus consommer les végétaux locaux, proscrire la chasse aux escargots. « Nous avons choisi de nous installer ici en 2012 parce que c’était pour nous un paradis. Personne ne nous a parlé de la mine. Ni le notaire, ni l’agent immobilier. C’est en nous promenant que nous l’avons découverte », raconte Denis Maurel.


Une pollution presque invisible

Retour un an plus tôt. Dans la nuit du 14 au 15 octobre 2018, suite à des orages, les rivières montent et inondent plusieurs communes de l’Aude. Dans la vallée, Conques-sur-Orbiel et Lastours sont particulièrement touchées. « Nous avons vu de nos propres yeux des traces de pollution dans la rivière ! », se souvient le premier adjoint de Lastours, Jean-Louis Tessier. Ce natif du village sait très bien ce qui se cache derrière la carte postale : l’ancienne mine d’or et d’arsenic de Salsigne fermée en 2004 après une dépollution partielle réalisée par l’État, mais aussi le site d’enfouissement de la SEPS, qui incinérait par exemple les décodeurs de Canal+.


L’ancien chercheur Guy Ogé


Il suffit d’une petite balade dans la vallée de l’Orbiel pour prendre conscience de ce lourd passé et de son héritage presque invisible. Cette colline sur laquelle on s’installerait aisément pour pique-niquer, c’est le Pech de Montredon, où sont stockés 120 tonnes de résidus miniers, et qui n’est plus étanche. « Il n’y a pas de clôture et le panneau Entrée Interdite vient d’être posé », lâche Guy Ogé, ancien chercheur au CNRS et habitant de la vallée.

À quelques kilomètres de là, à la sortie de Salsigne, nous empruntons le chemin de la mine. Des traces brunes remontent à la surface et une odeur âcre pique les yeux et les narines : « Il n’y a pas que de l’arsenic, qui est un toxique cancérigène dont on connaît mal les conséquences sur la santé, mais aussi des métaux lourds, du plomb, du cadmium. Sur les sept sites il y a 1,2 million de tonnes de déchets toxiques dans 14 millions de tonnes de tout venant », poursuit le chercheur. Cent tonnes d’arsenic pur ont été abandonnées à l’air libre sur le site de Nartau. Le ruisseau du Grésilhou passe à ses pieds. Celui qui a inondé la cour de l’école de Lastours. Pourtant, après les inondations, les autorités se veulent rassurantes. Le 13 novembre 2018, la DREAL (Direction Régionale Environnement Aménagement Logement) assure qu’il n’y a pas de pollution des cours d’eau. Le 6 décembre, l’ARS confirme qu’il n’y a aucun danger.


« Je suis née ici et personne ne m’a jamais dit qu’il ne fallait pas manger Les légumes arrosés avec l’Orbiel. » Laurie Bauer, habitante de Conques


À Lastours, la municipalité continue néanmoins de douter et en avril 2019 le maire, Max Brail, fait analyser la cour de l’école par un scientifique indépendant. Les résultats sont édifiants : la concentration en arsenic est dix fois supérieure à la norme. Quand la famille Morel prend connaissance de ces résultats, cela résonne en eux : après 30 ans de travail dans une usine des Ardennes, Denis a été reconnu victime de l’amiante. « Nous nous sommes tournés vers notre médecin et avons décidé de faire faire des analyses à nos enfants. Benoît avait un taux de 15 milligrammes par gramme de créatinine. Lucas avec 20 µg, était au double du taux limite. On nous a renvoyé vers le centre anti-poison de Toulouse qui nous a dit que c’était sérieux », se souvient, avec émotion, Cindy Morel. Médiapart et le Canard Enchaîné s’emparent de l’affaire. France 3 vient tourner un reportage sur la famille Morel. À une dizaine de kilomètres de là, dans un quartier résidentiel de Conques-sur-orbiel, Marlène Simonet reste interdite en visionnant le reportage. La jeune mère au foyer réagit : si des enfants sont touchés en amont de la mine, à Mas Cabardès, qu’en est-il de Conques où elle habite ? « Je me suis dit qu’il fallait qu’on fasse quelque chose pour les enfants. J’ai eu peur : après les inondations, enceinte de six mois, j’étais allée aider à nettoyer l’école de Conques, personne ne m’avait rien dit », affirme-t-elle la gorge nouée. 


L’Orbiel, un poison

Après ces premiers cas de surexposition, l’ARS convie les familles à une réunion d’information qui se veut rassurante et propose de faire tester les enfants de zéro à six ans. « Nous avons dû nous battre pour obtenir que tous les enfants jusqu’à 11 ans bénéficient des tests », se souvient Laurie Bauer, habitante de Conques et mère de Mélina, huit ans et Charles, cinq ans. L’agence invite aussi les habitants à suivre les fameuses recommandations en vigueur depuis 1997. « Je suis née ici et personne ne m’a jamais dit qu’il ne fallait pas manger les légumes arrosés avec l’Orbiel, ni de truites pêchées dans la rivière. Ce n’est affiché nulle part, ni dans les mairies, ni au centre-médical », poursuit Laurie Bauer. En août les résultats des tests de l’ARS tombent : 38 enfants ont des taux supérieurs à la norme. En septembre, second test, ils sont 58 surexposés. Encore une fois, l’ARS calme le jeu et affirme que « le seuil de référence (soit 10 µg d’arsenic par litre de créatinine, ndlr) n’est pas un seuil de toxicité ».


Gilles Marty


Mais la confiance des familles est entamée. Marlène Simonet, dont la petite Louane, alors âgée de 6 mois, a été testée à 25 µg au mois d’août, se renseigne sur cette fameuse mine. Comme Laurie Bauer et son compagnon Antony Liégeois, comme la famille Morel, elle découvre l’impensable : « Nous habitons au milieu d’une poubelle toxique et on nous demande de vivre dans un scaphandre ».

En prime, les familles réalisent que cette pollution est connue de la Préfecture comme de l’ARS depuis très longtemps. En 1937, déjà, on retrouve de l’arsenic dans les urines d’un habitant de Villeneuve-Minervois, et un médecin interdit aux nourrices d’allaiter les enfants. À la même époque, le tribunal de Carcassonne condamne à de nombreuses reprises les industriels à verser des indemnités aux agriculteurs dont les terres sont rendues incultes par la pollution de la mine. En 1970, Eugénie Ravelant, infirmière de 33 ans de Villalier, meurt empoisonnée par l’eau de l’Orbiel. En 2006, des scientifiques révèlent des taux de cancers deux fois plus élevés dans la vallée, et en 2017 une étude indique que l’eau de la rivière contient 4469 microgrammes d’arsenic par litre. C’est 450 fois plus que la norme fixée par l’OMS.

Le combat des familles

Mais comment expliquer que Mas-Cabardès, en amont de la mine, soit aussi touchée par la pollution ? C’est la question que Gilles Marty a posée à l’ARS. Cet ancien professeur nous reçoit dans sa maison au bord de l’eau où il s’est installé il y a 16 ans pour vivre au grand air et cultiver un potager bio. Sophie, sa fille de huit ans, présente un taux très élevé d’arsenic : 30 µg aux derniers tests. Il nous montre la réponse qui lui a apporté l’ARS : « La commune de Mas-Cabardès étant naturellement riche en arsenic, cela peut expliquer ces taux anormaux. ». Gilles Marty hoche la tête : « Comment peuvent-ils affirmer cela alors qu’aucune étude n’a été menée pour différencier l’origine naturelle ou non de l’arsenic ? ». De plus en plus d’habitants se demandent s’il n’y aurait pas aussi une pollution par l’air d’arsenic de la mine à 10 microns, donc très volatile.

Malgré tout, Gilles Marty tente de suivre les recommandations. « Nous ne buvons plus l’eau du Théron toute proche, j’ai fait tester la terre de mon potager pour savoir si nous pouvions continuer à manger les légumes ou non. Mais on ne peut pas garder nos enfants enfermés dans la maison ! Sophie est en train de jouer avec une copine de l’autre côté de la rivière, on vit ici pour ça », lâche t-il.


« Nous habitons au milieu d’une poubelle toxique, et on nous demande de vivre dans un scaphandre. » Marlène Simonet, habitante de Conques


Lui aussi se sent abandonné par l’ARS qui n’a pas proposé de suivi médical à sa fillette : « c’est moi qui suis forcé de les solliciter ». Comme Marlène Simonet qui a fait tester à ses frais ses enfants pour des toxiques autres que l’arsenic. Comme Laurie Bauer qui s’inquiétait de la pollution dans son jardin, et à qui les autorités ont conseillé « de décaisser un petit carré et d’envoyer à mes frais la terre polluée en Allemagne ! ».

Pour leurs enfants, les parents des enfants surexposés ne baissent pas les bras, malgré les pressions. « On nous a dit vous allez faire baisser l’immobilier et le tourisme. Si vous n’êtes pas contents vous n’avez qu’à partir ! », témoigne Marlène Simonet. Ensemble, ils ont créé l’association des parents d’élèves de la vallée de l’ Orbiel et adressé une pétition à l’attention du Président de la République. Ils demandent la dépollution de la mine, la création d’un centre médical pour suivre les enfants surexposés et la création d’un fonds d’indemnisation des victimes. « Nous ne pouvons pas vivre comme ça, nous ne lâcherons pas et nous iront devant les tribunaux », promet Marlène Simonet, sa petite Louane dans les bras.

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